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Billet de blog 13 juillet 2010

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Présomption d'innocence ? (sur quelques dimensions des affaires qui touchent le Président Sarkozy et son entourage)

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Bonjour,

écoutant ce matin les invités des matins de France Culture (et tout particulièrement Alain-Gérard Slama) revenir avec insistance sur la présomption d'innocence, qui serait mise à mal depuis la fin des années 1980 et les premières affaires de financements politiques, je ne peux m'empêcher de me dire qu'il est vrai que ces "affaires" se focalisent souvent sur un seul homme, cible principale des accusations : ici, par la force des choses, c'est Woerth qui est au centre des attentions, ne serait-ce que parce que le président de la république est "protégé" par son inviolable immunité, et peut se draper dans sa fonction pour laisser de côté les questions qui le dérangent.

Or, si cette affaire prend de l'ampleur, c'est aussi par sa signification toute politique, par ce qu'elle peut révéler de liens incestueux entre l'argent et toute une fraction du parti politique actuellement au pouvoir dans ce pays (notamment dans l'entourage de l'Élysée, qui est parfois appelé "le chateau" dans certains papiers, et notamment en liaison avec le financement de la campagne électorale de 2007). Certains refusent de voir le lien (c'est peut-être leur droit) ou plutôt, font comme si on visait la politique sans le dire et sans l'assumer, d'autres (dont je suis) assument ce lien avec la politique en cours, avec les sacrifices demandés à la majorité de la population, car il s'agit des principes, assumés ou non, qui guident cette politique. De ce côté-là, la révélation des "remboursements" octroyés à Liliane Bettancourt a clairement enfoncé le clou. Ce "clou", décidément bien douloureux (à moins qu'il ne s'agisse de clou du spectacle), l'attitude de Nicolas Sarkozy, venu suite à ces affaires pour ne rien nous en dire (avec ce rapport qui n'innocentera rien ni personne, car enfin, il n'a aucune valeur juridique en ce domaine), venu en même temps nous vendre une fois de plus son "volontarisme" politique, venu se plaindre des circonstances défavorables à sa politique si "courageuse", aussi, l'enfonce encore plus.

Car il est clair, dans ce discours, qu'on ne touche pas au bouclier fiscal, que la retraite à 62 ans se fera, que les personnes ayant élevé 3 enfants ou plus vont perdre leurs "avantages", et qu'on va continuer à ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires partant à la retraite, sans trop se soucier des conséquences pour le fonctionnement des écoles, des hôpitaux, des services publics, en somme. Ou plutôt, on nous dira, dans quelques années (on nous le dit déjà), que décidément, tous ces services publics fonctionnent bien mal, sont trop mal gérés, et que l'école privée (oups, pardon, l'école "libre"), les cliniques privées, les "services" soumis aux lois de la concurrence, (et surtout au service de leurs actionnaires majoritaires, bien plus que du "public" - de leurs bons clients, peut-être ?) fonctionneront bien mieux : et tant pis pour ceux qui, à cette date pas si lointaine, seront de moins en moins couverts par la sécurité sociale, dont il aura fallu boucher un énième "trou" parce qu'on aura encore baissé les cotisations sociales (pour défendre l'emploi, bien sûr), comme par les mutuelles, parce qu'ils ne seront pas assez solvables (mais je m'égare, sans doute). Quoiqu'il en soit, je trouve, en tant que citoyen qui n'a pas voté pour ce monsieur, que, même élu pour 5 ans, il présume trop de la légitimité de cette politique après 3 ans de pouvoir (et 8 ans de gouvernements RPR, puis UMP, qui ont été particulièrement revanchards vis à vis des mouvements sociaux, et de tout ce qui avait été fait par le gouvernement Jospin en particulier, ne l'oublions pas). Il y a une frange de la population qui aurait pu voter Royal en 2007 et qui a cru en lui et en ses promesses de réussite pour tous : que la conjoncture ait été défavorable à la réussite d'une telle politique, c'est possible, qu'au dela de la conjoncture, on se soit moins soucié de la réussite de tous que de protéger la fortune de quelques uns, c'est plausible pour certains (dont je suis).

Je me permets donc quelques hypothèses (même si beaucoup les ont exprimées, déjà) :

- d'abord, si certains d'entre nous (nous, c'est à dire tous ceux qui considèrent que c'est en l'espèce aux hommes politiques de balayer devant leur porte, et non aux journalistes de cesser leurs investigations ou d'en euphémiser la portée) sommes tant indignés, non seulement par l'affaire, mais aussi par l'attitude des ténors de l'UMP et du Président, c'est d'abord en raison de la dimension politique de l'affaire, qui ne peut manquer de nous apparaître comme cruellemement révélatrice vis à vis de cette politique, que nous jugeons injuste, dont nous dénonçons les conséquences pour le plus grand nombre, en particulier la politique fiscale, la gestion de l'argent public, la répartition des moyens entre administrations, collectivités locales, la pérennisation des financements de la protection sociale. D'un côté, on rabote, on met en cause des professions entières, trop syndiquées, trop à gauche, soi-disant trop protégées (mais pour combien de temps ?), et on ose appeler ça réformer ; de l'autre, on rembourse !

- ensuite, si "en face" (j'y reviendrai) l'indignation s'adresse aux journalistes et à leurs méthodes d'investigation, c'est d'après moi, là aussi, par une conviction partisane symétrique : ceux qui croient à cette politique craignent qu'on veule l'enterrer. Et ils s'indignent de ce qu'on prenne les choses par des affaires, sur un seul nom, par le petit bout de la lorgnette. Ils ont raison sur ces deux faits : mais le lien ne vient pas d'un quelconque complot journalistique, de Mediapart ou d'ailleurs, il vient d'une situation assez singulière : le scandale de cette politique, qui est permanent (comme le "coup d'état" du même nom), n'est pas dénoncé par une opposition fatiguée, déchirée, en panne d'idée, incapable de fédérer nos mécontentement, de défendre efficacement des services publics ou une fiscalité par répartition auxquels les français sont pourtant attachés (si Sarkozy n'a pas supprimé l'ISF, c'est grâce à la force de cet attachement : sans vergogne, comme toujours, il n'a pas manqué de s'en prévaloir, comme si cela compensait le reste), incapables aussi de défendre efficacement la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la presse et de l'audiovisuel public.

Qu'est-ce qu'il reste alors, aujourd'hui, pour critiquer cette politique et être audible, face à un pouvoir qui a verrouillé un grand nombre de media, en particulier media audiovisuels contrôlés par l'état via des personnes nommées par le Président (en personne, s'agissant de France télévision), par ses ministres, ou par des groupes dont les dirigeants sont ses amis politiques, mais aussi une grande part de la presse écrite ? Trop de journalistes n'osaient plus remettre en question la rhétorique bien huilée des "éléments de langages", ils n'arrivaient plus à s'extraire du tempo imposé depuis la campagne de Sarkozy, démarrée (médiatiquement) dès son entrée au ministère de l'intérieur. Tout ce qu'il reste, c'est justement le petit bout de la lorgnette (si l'on veut), c'est à dire des scandales suffisamment choquants pour marquer les esprits, surgis à l'occasion de l'affaire Karachi ou à propos de la mise en question de liens d'argent entre Bettencourt et l'entourage du président. Le président étant trop bien protégé, les soupçons retombent sur cet homme-clé que semble avoir été Woerth en tant que trésorier du parti majoritaire, mais c'est la confiance en cet État appelé à devenir irréprochable qui vole en éclat. Ou peut-être, plutôt que la confiance, c'est la censure que s'imposaient certains, n'osant dénoncer la politique actuelle, n'osant en faire remarquer la moindre impasse, la moindre injustice, censure qui commence à céder quand les apparences se retournent contre le Président lui-même, mis en cause nommément. Que les policiers chargés d'une des enquêtes préliminaires aient mis un tel zèle à obtenir une rétractation de la comptable sur ce point précis (je pense à la fréquence et à la durée des interrogatoires subis, sans avocat), m'apparaît comme révélateur de cette protection du Président. Comme d'autres, je ne suis pas convaincu par les dénégations du Procureur de la République en charge du dossier. Mais qu'importent mes opinions ? On nous demande de respecter la présomption d'innocence, on le demande aux journalistes, que ne le demande-t-on vis à vis de cette comptable, simple témoin mais accusée d'avoir fait de fausses révélations (sauf bien sûr, quand elle parle de "romance de Mediapart") ?

Venons-en, donc, à la présomption d'innocence. Dans cette affaire, un seul homme est mis en cause médiatiquement, et il semble prêt à témoigner devant une juridiction compétente : c'est Éric Woerth. On ne peut nier, d'après moi, que c'est effectivement un problème, voire une injustice, car ce qui est en cause, toujours d'après moi, c'est la signification politique de cette affaire : pour la séparation des pouvoirs, pour la séparation entre pouvoir politique et puissances d'argent, entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire, pour l'indépendance de la presse, mais aussi s'agissant de la signification de la politique actuelle d'austérité et de sacrifice des services publics et de l'État Social, et de promotion de l'enrichissement privé (celui du plus grand nombre étant censé, du moins, nous sommes fermement invités à y croire, suivre celui des propriétaires et patrons de grands groupes privés, entretenant manifestement des liens de grande proximité avec le pouvoir actuel, liens que nous sommes également invités à minimiser ou à accepter comme parfaitement légitimes et "innocents"). Sous ce rapport, les attaques de l'UMP ont comme "complété" la vision que nous pouvions avoir de ces significations de l'affaire : là où nous voyons une presse libre ressurgir, il nous font le coup de "l'internet de caniveau", des "sites de ragots", et puis (ne nous gênons pas pour banaliser le facisme, puisque le faciste, c'est toujours l'adversaire) le coup des "années 30". En soulignant les liens de "certains sites internets" avec la gauche voire l'extrême gauche, ils pousseront dans les bras de l'opposition nombre de ceux qui font confiance au travail des journalistes de cette presse, qu'importe, mais qu'en est-il du fait que "l'affaire" se focalise sur Woerth ? Est-ce le fait de Mediapart ? Ou est-ce plutôt un effet indirect du fait que M.Woerth était plus exposé que d'autres, mieux protégés ou mieux cachés ?

Si, donc, le débat public était un tribunal dont les jurés sont le peuple, appliquant quelques règles usuelles de bonne justice en matière pénale, il faudrait effectivement défendre Woerth contre ses accusateurs, mais, si cet homme est exposé, ce n'est pas uniquement lui qui est en cause, et ce n'est pas tant son intégrité qui est en question, que celle du pouvoir en place dans son ensemble. La solidarité affichée jusqu'ici le montre bien. Malheureusement, on ne peut questionner cette intégrité du système de pouvoir et du mode de gouvernement actuellement en vigueur (en fait, la position de l'UMP est actuellement de nous dire que cette intégrité est intouchable et inattaquable presque dans l'absolu, avec comme seuls arguments, des arguments d'autorité, et des attaques d'une rare violence destinées à détourner l'attention) sans questionner des personnes dont le nom a été cité dans "l'affaire". On comprend donc que M.Woerth souffre, on comprend même qu'il "tienne bon", ou encore que Michel Rocard ou Simone Veil crient "Halte au feu", mais en tant que responsable politique, de ministre en exercice, son "innocence" n'est pas aujourd'hui ce qui est en question, mais bien le refus de sa famille politique et des responsables en place d'entendre que les questions posées doivent recevoir des réponses imparables, formulées dans le cadre d'une enquête indépendante, dès lors que c'est toute leur pratique du pouvoir qui est en cause, y compris dans la façon de museler toute critique, et d'empêcher toute investigation sur leur méthodes de pouvoir, sur la façon dont ils traitent les puissants et les proches. Or, mettre en cause cette pratique, c'est un peu l'essentiel de ce qu'a à faire une presse d'opposition (faute d'opposition, du moins). Il reste que les voies qu'empruntent aujourd'hui les questions qui se pressent, les indignations qui montent, l'irrévérence qui s'enhardit un peu après 3 ans de révérences et de critiques étouffées, mises sous le boisseau, n'ont trouvé pour l'instant que cet étroit canal pour "sortir", qu'un seul homme semble atteint aujourd'hui. C'est dommageable, mais n'en soyons pas si sûr : ce n'est sans doute pas Éric Woerth qui s'est le plus déconsidéré ces derniers jours.

Mon opinion est donc que la présomption d'innocence de M.Woerth ne pourra être effectivement défendue que lorsqu'il sera en face d'une procédure menée par une autorité judiciaire indépendante du pouvoir en place, par un juge non cité dans l'affaire, probablement hors du tribunal de Nanterre. Pourquoi ? Parce qu'il pourra alors, éventuellement, répondre à des accusations qui le visent lui, nommément, parce qu'il pourra apporter des éléments susceptibles d'éclairer le public sur l'affaire elle-même, mais surtout parce que cessera le conflit d'interprétation sur ce que signifie cette affaire, conflit qui est entretenu tant que durent les attaques de l'UMP contre la presse en ligne en général et contre Mediapart en particulier, et par la complaisance qui est accordée dans certaines interventions politiques aux conflits d'intérêts de M.Woerth et de son épouse. Ces conflits d'intérêts et le contexte politique général font qu'une partie non négligeable de l'opinion n'a absolument aucune raison de "présumer" l'innocence de M.Woerth, ni d'ailleurs du président Sarkozy. Et comme, sans parler des journalistes, les citoyens ne sont pas nécessairement convaincus de "l'innocence" de leurs gouvernants, ce n'est que devant des tribunaux indépendants que cette innocence pourra être, d'abord, présumée, puis, éventuellement, rétablie.

L'avenir nous le dira.

Peut-être, enfin, pourrons-nous reparler de ce que fait aujourd'hui ce pouvoir, de ce qu'il a déjà fait, et de ce qu'il faudrait faire si l'on veut redonner du sens à l'action publique, et à la participation de tous (pensons notamment, mais pas exclusivement, à la participation financière) à cette action. Aujourd'hui, nous restons limités à quelques symboles qui montrent à nos yeux (mais pas à ceux de leurs partisans les plus farouches) la mauvaise foi accompagnant les politiques actuelles.

Quoiqu'il en soit, je pense que tous ceux qui calculent tout ce qu'on aurait pu faire avec les millions remboursés à Liliane Bettencourt (et à d'autres) ont raison, parce qu'ils nous rappellent que cet argent aurait pu être utilisé à bon escient. Mais pour entendre cet argument, il faut aussi se rendre compte de ce que signifie, par exemple, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux : pourtant, si une telle politique était appelée à durer, cela voudrait dire la division par deux les effectifs en une quarantaine d'années, dans un pays dont la population augmente dans le même temps. Est-ce vraiment ce que veulent les citoyens de ce pays, qui envoient leurs enfants dans ces écoles, qui vont dans ces hôpitaux pour se soigner ? Seuls ceux qui, en vertu de convictions anarchistes de droite (excusez-moi de ne pas accepter que le libéralisme et l'idée de liberté soient confisqué par ceux qui se disent libéraux, aujourd'hui, en France) ou encore d'une humeur anti-fonctionnaires particulièrement haineuse, pourraient aspirer à une pareille extinction des services publics, et peuvent être favorables à une telle politique. Seulement, c'est une liquidation lente, par étouffement, à coup de classes surchargées, d'heures supplémentaires dans des hôpitaux dont la gauche Jospin avait déjà refusé d'augmenter les effectifs au moment du passage aux 35h, de rationnalisation gestionnaire censée rendre nos services publics plus efficaces, à coup d'objectifs, de primes au chiffre. Les policiers ne sont pas épargnés par cette politique, d'ailleurs. Ils l'ont peut-être même inaugurée. Mais après tout, la droite, du XIXe siècle aux années 30, n'a cessé de lutter contre l'État Social, toujours jugé trop cher, mais trop cher pour qui ? Le consensus de l'après-guerre n'aura peut-être été qu'une parenthèse. Quel événement funèbre faudra-t-il pour que cette droite qui nous paraît redevenue réactionnaire (on dépasse de loin la "liquidation" de mai 68, on reprend l'expression lepéniste de "droitdelhommistes", on crée un ministère de "l'identité nationale" chargé de gérer des expulsions menées dans des conditions pour le moins contestables : les symboles ne manquent pas), et si proche des milieux d'argent (dont ce sont les intérêts qui sont protégés avant toute chose, quoiqu'on en dise), remette un peu d'eau dans son vin droitier, de respect des services publics dans son bouillon anti-état, de respect des opinions divergentes dans ses diatribes anticommunistes (toujours bien commodes, 21 ans après la chute du mur de Berlin) ? Bref, c'est tout cela que nous regardons quand nous pensons à cette affaire, et c'est plutôt de cela qu'il faudrait parler, de manière urgente.

Alors, pardonnez-nous d'avoir perdu notre innocence, de trouver que l'honneur d'Éric Woerth n'est pas la chose la plus importante à défendre à l'heure actuelle, et de demander que l'on passe des présomptions à une enquête indépendante, où il existera une chance que les soupçons à son encontre et à celle du Président, entre autres, soient réellement levés. Le débat politique restera marqué par des conflits durs, mais il pourra revenir aux "vrais sujets".

Post-scriptum : ce raisonnement pourrait sans doute s'étendre aux affaires où était moins en cause la politique du gouvernement en place (si tant est qu'il soit possible que l'opposition n'exploite pas, toujours, de semblables affaires). Ce qui questionne la probité d'un ministre en fonction, lorsqu'il reste en fonction face à un scandale d'une telle gravité, tendra peut-être toujours à questionner, au delà, l'intégrité de l'action du gouvernement auquel il appartient. Au lieu de s'en indigner, de s'en prendre à l'intégrité des journalistes et de leur demander, soit de se taire, soit de fonctionner comme si ils étaient les supplétifs irréprochables d'un tribunal de l'opinion, il vaudrait peut-être mieux comprendre pourquoi c'est le cas, et reconstituer une justice indépendante.

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