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Billet de blog 15 septembre 2011

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À propos de la controverse sur l'enseignement du genre

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Ce billet reprend, comme souvent, ma réaction à un autre billet (et aux commentaires l'accompagnant) :

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/140911/pourquoi-cacher-le-genre-monsieur-le-ministre?onglet=commentaires#comment-1132592

Grotesque, la "bataille" sur le "genre" ? En réalité, cette controverse part surtout d'un procès d'intention, peut-être à la mesure de la vitalité des recherches qui se réclament du "genre", apparemment pas seulement dans le milieu des sciences sociales, et où on tend à trouver... de tout.

Quand on connaît la virulence des débats, sur des listes de diffusion se réclamant des recherches sur le genre et le féminisme, ces visions complotistes et orientées apparaissent pour ce qu'elles sont : des mythes, une vision fantasmée, du délire s'appuyant au besoin sur d'autres délires, pour les projeter sur l'ensemble d'un champ de recherche. Pour décentrer un peu le débat, c'est un peu comme si on essayait de discréditer toute enseignement sur l'ADN et le rôle de la génétique dans la construction des êtres humains, sous prétexte que ces théories sont utilisées par des extrémistes de droite pour justifier les inégalités sociales et les inégalités de genre (je ne prends pas cet exemple au hasard). Ce qui est intéressant, c'est que même les tenants d'une promotion de l'homosexualité qui s'inspirerait des "queer studies" (si il en existe vraiment...) n'iront pas jusqu'à proférer de telles absurdités, alors que c'est ce qu'on tend à reprocher à l'ensemble de ces recherches. Apparemment, plus c'est gros, plus ça passe !!!

Une des caractéristiques du genre, comme distinction et comme champ et "label" d'un courant de recherche, est avoir entraîné une communication entre des courants très engagés dans la vie de la cité et des recherches qui au départ ont peiné à avoir un écho dans les milieux de la recherche. Certains tentent d'utiliser cette communication dans leur procès à l'enseignement du genre, pourtant très "soft" dans les programmes de SVT pour classes de 1e ES incriminés. Pourtant, si il ne s'était agi que de cela, cette notion ne serait pas en train de devenir classique dans les sciences sociales et peut-être même en biologie humaine : pour une fois que la communication entre un mouvement d'émancipation concrète, le féminisme, irrigue un champ de recherche qui à son tour fournit des moyens de penser la société, les identités personnelle, fait communiquer une théorie avec des "applications", que ce soit pour l'éducation, la politique, l'éducation populaire... cela devrait être salué, même si évidemment cela entraîne d'inévitables traductions et malentendus.

La controverse pose aussi la question de la place de l'enseignement des sciences sociales au lycée, de leur rapport avec les autres disciplines scientifiques et de leur statut intermédiaire entre "sciences" et "humanités", de leur utilité. Étonnamment, on a introduit dans le programme des SVT une notion qui oblige à penser les individus comme étant produits par leur éducation, par les interactions quotidiennes au sein d'une configuration sociale donnée, qui leur transmet des aptitudes, des codes, des connaissances spécifiques, à commencer par la façon de se situer à l'aide du langage, au moyen de nombreuses catégorisation dont le sexe, ou le genre, font partie. Autrement dit, on a introduit dans les SVT une notion qui oblige à utiliser les sciences sociales pour comprendre l'être humain, ce qui pourrait préfigurer une meilleure compréhension de l'importance de ces enseignements dans la formation des "citoyens", dans une période où, d'un tas d'autres façons, l'enseignement des sciences sociales a été combattu, amenuisé, transformé en caricature, au lycée. Et on le fait dans les filières ES, celles où se maintiennent des enseignements en sciences sociales.

C'est très étonnant, très intéressant : on peut à la fois espérer beaucoup de ce fait et redouter que la campagne actuelle contre ces programmes ne fasse qu'accentuer le recul de ce type d'enseignement vivant, réflexif et utile. On peut craindre aussi qu'on s'enfonce dans les malentendus, à la mesure de l'impréparation des professeurs de SVT à enseigner de tels contenus, et de la méconnaissance des enjeux. Se renforcerait alors un effet de ghettoïsation d'un enseignement "pour ES", fait à la va-vite par des enseignants réticents dans une filière parfois sous-estimée alors qu'elle "produit" de très bons étudiants, ayant une assez bonne culture générale, une grande ouverture intellectuelle, et des aptitudes assez larges, notamment pour réussir à l'université (ce qui n'est pas facile aujourd'hui, dans une époque qui sous-estime aussi ses étudiants, eux aussi très sélectionnés, à leur manière).

Qu'est-ce que le genre, sinon l'application aux différences entre le masculin et le féminin, et aux rapports de pouvoir et de domination entre hommes et femmes, de l'idée assez fondamentale, que les êtres humains ne se "construisent" pas qu'à partir de leurs gènes ou d'une hérédité biologique, et que l'appartenance au féminin et au masculin ne peut pas, dès lors, être réduit à une différence biologique, mais comporte aussi un aspect social irréductible. Quel contresens que de croire que cela reviendrait à "nier" les différences biologiques, alors que différencier le "genre" du "sexe", et ce dernier, de "l'orientation sexuelle", permet justement de faire la part du biologique et du social.

Il y a aussi un aspect réflexif à avoir par rapport à cette controverse : soit un ordre social. Supposons que cet ordre social entraîne des inégalités, des situations d'oppression, des formes de violence symbolique ou réelle ; suppossons qu'il existe des groupes qui en combattent les débordements, que ce soit sur le plan symbolique, par la dénonciation, la critique, ou sur le plan concret ; supposons qu'il existe des groupes antagonistes qui soient les "défenseurs" de cet ordre social, à commencer par ceux qui en bénéficient ou qui craignent les conséquences d'une révolution aboutissant à une recomposition ou, comme il est d'usage de le craindre, au chaos. Tout ordre social de ce type tend à dissimuler son arbitraire derrière un "ordre" qui lui serait en quelque sorte supérieur, et comme indépendant : il en va ainsi de la "nature", invoquée comme une sorte de réalité supérieure au fonctionnement des sociétés humaines, toujours suspect d'être arbitraire et malléable, et de la "religion", qui permet de fonder certaines distinctions sociales sur des préceptes renvoyés au divin, qui transcenderait nos contingences sociales. Ce ne sont heureusement pas les seules possibilités de fonder ou justifier un ordre social. En tout cas, ce n'est certainement pas un hasard si c'est une fraction de la droite traditionnaliste, proche de certains milieux revendiquant des références religieuses qui s'est mobilisée. Et je le redis : c'est vraiment intéressant que l'on retrouve la controverse à propos d'un programme de SVT, qui fait ainsi voler en éclat une sorte de consensus non-dit que l'on croyait avoir sur le religieux et le "naturel".

Reste alors "l'évidence" de bon sens de ceux qui s'appuient sur les différences physiques, sur les chromosomes, et qui s'imaginent que les "tenants" du genre confondent l'origine des dissimilarités physiques avec l'origine des inégalités homme-femmes. Là encore, pour leur répondre, on peut en revenir au vieux précepte durkheimien de la critique du sens commun, qui justifie d'autant plus ici de différencier le genre des différences physiques ou chromosomique "évidentes" que dans la pratique, ces "évidences" sont précisément utilisées comme ultime recours pour justifier discriminations, différences de condition et différences d'éducation. Nul doute que les différences physiques, chromosomiques et hormonales ne vont pas s'abolir dans la vie quotidienne, à commencer par tout ce qui inclut les rapports sexuels, l'approche de la puberté, celui de la maternité et de la paternité. Sur ce point, le "genre" nous invite à deux choses (au moins) : voir que ces différences physiques, chromosomiques et hormonales sont en permanence en interaction avec les autres dimensions de notre vie quotidienne, à commencer par les dimensions sociales. Nos changements, performances, attitudes physiques sont en permanence commentées, évaluées, auto-évaluées au regard de notre identité de genre, de ce qui nous fait garçon ou fille, et non pas "mâle" ou "femelle". Il en va de même de ce qui ne relève pas, ou pas seulement, du physique, du corps, mais aussi des rôles sociaux et de notre attitude subjective par rapport à ces rôles sociaux. Les rites d'interactions quotidiennes qui mettent en jeu notre appartenance de genre tendent à nous "normaliser" vers l'un ou l'autre de ces "genres" pour mieux assurer notre socialisation. L'une des façons d'assurer cette normalisation est de la justifier à l'avance contre toute remise en cause en disant qu'elles sont dans un ordre des choses à la fois "naturel", traditionnel, religieux... L'autre apport du genre pourrait être de changer cela, en cessant de croire qu'un ordre social, quel qu'il en soit, a nécessairement besoin de s'appuyer sur des différences extérieures à lui-même, alors que nous savons depuis Durkheim que le social s'explique d'abord par le social : il ne recourt à l'artifice ou à la fiction d'une justification "religieuse" ou "naturelle" de ses arbitraires que quand il ne parvient pas (ou plus) à les fonder en raison, ou encore lorsque les pratiques quotidiennes s'éloignent trop des préceptes qu'on croyait imputrescibles. Il en va ainsi de nos jours, des différences de genre, dans des exemples si innombrables qu'il serait trop long de les citer, qu'ils se produisent dans le monde professionnel, les relations familiales, les interactions quotidienne à l'école, dans les chambres d'hôtel, etc...

Il serait bon de ne pas en ignorer la signification : de nouveaux rapports de genre restent à inventer, qui ne seraient pas fondés sur une "nature" servant de paravent à un statu-quo inadmissible, et bien incapable de nous dire comment organiser notre vie et nos relations quotidiennes, femmes et hommes.

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