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Billet de blog 21 juillet 2010

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à propos de l'affaire Polanski

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Encore une réaction que je reprends (pardon !), cette fois à propos du papier suivant :

http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/190710/roman-polanski-une-question-de-survie

NB : Il y a eu près de 70 réactions à l'article en question, souvent très critiques, dont beaucoup pour dire à certains contributeurs (ou à l'historienne auteur de l'article), ou à tout le monde... de se taire ou encore d'arrêter de parler de l'affaire Polanski, qu'elles émanent de personnes défendant Polanski, ou voulant (re)mettre l'accent sur la gravité des faits...Cet appel au silence me laisse rêveur, même si je peux évidemment le comprendre de la part de victimes de viols. Il y a eu, en particulier, un appel à peine voilé au silence, à la pudeur, ou à la retenue des contributeurs masculins, soupçonnés d'entretenir une sorte de complaisance sinon envers Polanski, du moins envers l'affaire, comme si ça les excitait. Il me semble pourtant qu'on peut être un homme et s'interroger sur le déni qu'il y a eu dans cette affaire, sur les différentes réactions, sans pour autant basculer dans je ne sais quel voyeurisme, ou je ne sais quelle complaisance. Pour ma part, la question que je me pose est la suivante : suffit-il de laisser la justice faire son travail, enquêter, punir, suffit-il de relayer des paroles de victimes, de femmes, qui s'emparent de la question, suffit-il de supposer qu'il y a des monstres (pédophile, violeurs, abuseurs...) et que pour l'essentiel, la réponse doit être pénale (et éventuellement médicale), ou est-il permis de s'interroger sur le type d'éducation sexuelle masculine (et d'éducation tout court) qui rend possible, et peut-être facile, à des hommes, de traiter, dans certaines circonstances, des femmes et parfois des enfants comme de simples objets sexuels, parfois au moyen d'artifices qui les aident à ignorer l'absence de consentement ou la minorité de leurs victimes. Outre la question de l'éducation des garçons, je m'interroge sur tous les lieux où l'on peut impunément entretenir une certaine complaisance à l'égard du viol ou de la pédophilie, notamment sur le net, mais pas seulement, et à tous ces discours qui nous disent "n'en parlons plus". Voilà pour ce qui m'a poussé à écrire à ce sujet.

Complexe... cette affaire l'est, assurément.

Il semble établi qu'il y a eu viol sur mineure, laquelle mineure avait été préalablement droguée par Polanski. Je n'ai trouvé nulle part, à l'époque où j'ai lu divers documents sur l'affaire, de version discordante des faits. Plus de 30 ans après, ce n'est pas ce que contestent ni Polanski, ni Samantha Geimer (la victime).

Par ailleurs, il semble tout aussi établi qu'il y a eu accord pour une compensation financière et une réduction de peine, puis que cet accord a au dernier moment fait l'objet d'un revirement du juge. Que ce genre d'accord ait été possible à l'époque fait évidemment partie du débat.

Enfin, il n'est pas complètement absurde de supposer que les juges ayant eu à intervenir dans cette affaire ont voulu, d'une manière ou d'une autre, montrer leur fermeté face aux viols pour se faire réélire, et que le renom du cinéaste leur offrait une occasion de le faire assez facilement.

La personnalité de Polanski et la position de principe sur le viol, en particulier le viol des mineurs (notamment, le souhait d'en faire un crime imprescriptible pour mieux combattre cette forme de violence) ont concurremment contribué à enflammer les positions. Ceux qui vouent une dévotion particulière à Polanski (en tant qu'artiste, mais aussi en tant qu'homme marqué, lui-même, par un certain nombre de drames personnels) refusent de s'attarder sur les faits, préférant insister sur leur ancienneté, et sur le fait que la victime appelait à cesser les poursuites. Ceux et celles qui sont particulièrement sensibiliséEs aux violences sexuelles souhaitaient précisément que l'on démontre l'imprescriptibilité du crime, qu'on empêche toute forme d'arrangement judiciaire (en particulier financier, sans doute), même a posteriori, qu'on ne prenne pas en compte l'avis de la victime (de ce point de vue, ils ont sans doute raison, en tout cas du point de vue d'un droit pénal à la française, car l'objet d'une sanction pénale n'y est pas en principe de satisfaire la victime,en tout cas, pas forcément), et surtout qu'on démontre que le statut de Polanski ne le mettait pas à l'abri de devoir répondre de ses actes.

Sur ce dernier point, il convient de s'interroger sur les effets de positions opposées de personnes en grand nombre. Certains artistes (et sans doute la plupart des internautes !) se sont tus sur cet affaire. D'autres ont bruyamment pris parti, soit pour le soutenir, soit pour le condamner. Sur les effets de la renommée de l'homme Polanski, on peut se dire qu'ils sont pour le moins ambigus. Il est probable que l'affaire continue à le poursuivre, surtout si il peut un jour retourner aux Etats-Unis (quelle obsession aussi sur ce point précis : l'exil ou la lâcheté ! Est-ce si important de retourner aux Etats-Unis - ou pas ?).

Faut-il le dire ? Ce que montre la force des arguments assénés de part et d'autres, c'est que ceux qui s'expriment font le choix de s'inscrire dans un combat ou une appartenance. Défense et illustration de l'homme, de l'oeuvre, ou défense de la cause des victimes, pour que cessent les violences sexuelles (et leur déni), et pour qu'elles soient considérées comme des formes de crime particulièrement odieuses et destructrices. Ces deux causes sont assez difficiles à hiérarchiser pour beaucoup, mais elles n'ont pas le même poids pour chacun de nous. Pas étonnant donc que des défenseurs de l'une ou l'autre de ces causes aient aisément pris parti : reste le silence de ceux qui n'y parviennent pas, et le doute de ceux pour qui, si ils ne souhaitaient pas pour autant que l'extradition se fasse, il est difficile de voir Polanski avec les mêmes yeux qu'avant.

Non juriste, je ne sais par quelle voie on en est arrivé au refus d'extradiction, mais j'ose espérer que ce soient bien les arguments juridiques avancés par la Ministre suisse qui ont pesé dans ce refus d'extrader, où il me semble que la renommée de Polanski pouvait faire pencher la balance dans un sens comme dans l'autre, et tant il était nécessaire que ce soit le droit qui ait le dernier mot, face au déchainement des passions, des pressions et des attentes symboliques.

Il est clair que c'est une désillusion pour tous ceux, toutes celles, qui attendent à ce qu'on punissent les viols, et en particulier les viols de mineures, avec une sévérité sans faille. Polanski aurait purgé sa peine avec 42 jours de détentions : cela ressemble à une triste farce. La justice suisse se met au compteur de la justice américaine d'il y a 33 ans, faute de coopération de la justice américaine actuelle, qui semble moins accomodante, et ne s'arrêtera sans doute pas là. Du coup, ce sera aussi une désillusion pour tous ceux qui n'attendent qu'une chose : que Roman Polanski reprenne sa vie normale, son travail, et qu'il tourne à nouveau ! Pas si sûr que cela soit si simple, même si le personnage a montré (peut-être un trait en commun avec sa victime) une certaine résilience face à des événements douloureux, et face à sa fuite.

C'est peut-être cette double désillusion qui pourrait, en fin de compte, être intéressante (je me permets d'insister sur l'intérêt de l'affaire Polanski parce que j'ai tant lu sous le clavier de ceux qui pourtant prenaient le temps d'y réagir que les faits n'étaient pas intéressants en eux -mêmes que j'ai envie de soutenir le contraire !)

Faisons quelques hypothèses :

1) ce n'est pas parce que Polanski est un être parfaitement recommandable qu'il est le cinéaste que beaucoup admirent (ou ont admiré) : le caractère "moralement ambigu" (voire cynique, sous certains aspects) du personnage a peut-être contribué à lui donner une certaine "patte", une certaine aura

2) le viol d'une mineure rêvant de devenir mannequin ou actrice à Hollywood par un cinéaste au faite de sa gloire était relativement facile, dans les circonstances où il l'a fait (des séances de photos avant et après prise d'alcool et de drogues), et on peut remarquer qu'il s'est entouré d'un certain nombre de précautions pour dissimuler les faits. C'est là le scénario d'un certain type de viol, où la pure violence physique est remplacé par l'influence et le pouvoir, qui permettent d'amener graduellement la victime à un certain point où l'abuseur peut se passer de son consentement, et minimiser sa résistance. On peut comprendre que ceux qui veulent que cela cesse ait du mal à digérer que Polanski s'en soit tiré si facilement.

3) comme dans d'autres formes de crimes qu'il s'agit (peut-être) de rendre imprescriptibles (je pense aux crimes contre l'humanité, mais c'est à une toute autre échelle évidemment), l'agresseur n'apparaît pas comme un monstre inhumain, mais comme quelqu'un de banal (en particulier sur le plan de l'ambiguïté morale, justement) : cela ne veut pas dire qu'à la place de Polanski, n'importe quel homme aurait violé cette jeune fille. Simplement, confronté à certaines occasions particulières de puissance, de tentation, avec une certaine forme de lâcheté morale (personnellement, je vois un lien entre le fait de commettre ce genre de viol, et de n'être pas capable, ensuite, de les reconnaître comme tels), alcoolisé, donc davantage capable de transgresser les interdits moraux comme ceux relatifs au viol, ou au détournement de mineure, certains succombent à la tentation, d'autres non, ou ils n'y pensent même pas. Je ne crois pas (c'est une opinion personnelle) que Polanski ait délibérément et froidement planifié de violer cette jeune fille, mais qu'il a "géré" une intention sexuelle plus ou moins implicite en se passant de son consentement, sans se soucier des conséquences, pour elle évidemment (ce qui est le plus grave évidemment, puisque c'est de là que part le viol), mais aussi pour lui (ce qui me semble significatif). Autrement dit, ce qui est problématique dans le viol, ce n'est pas seulement qu'il y ait dans la nature des monstres obsédés sexuels prêts à tout pour satisfaire leurs pulsions aux dépends de femmes, de jeunes filles, d'enfants, etc. passant à leur portée ou à leur merci, mais aussi que beaucoup d'hommes puissent succomber à la tentation dans une situation favorable, ou du fait d'une frustration sexuelle, ou encore se donnent des moyens moraux, parviennent à créer des situations ou des stratagèmes dans lesquels ils pourront se satisfaire en échappant quelques instants au regard des autres et surtout à celui de leur propre conscience. Cela peut nous ouvrir des abîmes, notamment sur les rapports hommes-femmes, sous pas mal d'aspects.

4) il semble que Polanski ait accepté de plaider coupable et de reconnaître les faits vis à vis de sa victime, et que cette démarche ait pesé à l'époque dans le choix d'une solution négociée entre les parties. Si le viol est mutilant et destructeur en général, si il est peu pensable de trouver une réparation, il se peut, néanmoins, que le moins qu'on puisse attendre est justement que l'agresseur reconnaisse son acte devant sa victime. C'est sans doute peu de chose au regard de ce qu'elle a subi, mais c'est peut-être plus significatif que la compensation monétaire qu'elle a également obtenue. Reste la partie pénale, la dette à l'égard de la société, le souhait que de tels actes ne soient pas oubliés, banalisés, niés, reproductibles à l'infini. Il y a là matière à discussions.

5) Dans ces débats, il est assez facile de se construire une image de probité en condamnant l'homme et ses actes. Pourtant, il ne me semble pas que l'enjeu soit de condamner Polanski à 15 ans de prison, mais plutôt qu'on reconnaisse les faits pour ce qu'ils sont. À l'évidence, pourchasser Polanski n'empêchera pas les viols, les détournements de mineurs, les abus sexuels de tous ordres. Mais si on pouvait simplement réfléchir à la façon dont nous avons "ouvert les yeux" sur un certain type d'agissement, et dont nous pouvons souhaiter les fermer à nouveau (parce que c'est sordide, parce que Polanski nous a déçus, parce que la machine médiatique génère ce genre de nausées...), cela permettrait peut-être aussi de dépasser la mise en scène de ceux qui ont peut-être cherché à se faire une virginité morale à moindre frais (aux dépends de Polanski... et de sa victime), et qui en sont, pour l'instant, pour leurs frais.

6) On fait de tout cela ce qu'on veut, et je n'avais à titre personnel pas de souhait particulier vis à vis de ce qu'il adviendrait de Polanski. Mais si on veut bien reconnaître que les viols sont des crimes ordinaires et odieux à la fois, si les qualités particulières de l'homme Polanski pouvaient aider à ce qu'on cesse de vouloir oublier que ce type de viol existe et qu'ils sont peut-être significatifs d'un certain type de rapports entre les sexes... peut-être qu'en dépit des souffrances de Polanski et de ses fans, de Samantha Geimer, en dépit des déceptions des deux camps qui se sont dessinés au fil de la polémique, peut-être que tout cela n'aurait pas été totalement vain.

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