Je reproduis ici ce qui était au départ un commentaire à l'article de François Bonnet titré "Tout est maintenant à refaire. Enfin.".
Le 23 avril 2017 n'est pas un "séisme" pour tout le monde et surtout, je vois le F'Haine installé depuis longtemps dans le rôle de parti pivôt de cette cinquième république, rôle qui s'est vu renforcé à cette occasion. Il impose la concentration du débat public autour des migrants, désignés comme boucs émissaires et c'est ce parti pourtant dénoncé comme infréquentable qui oriente les politiques à leur égard. Ces politiques les traitent toujours plus comme des indésirables au mépris des droits humains, tout en légitimant un discours qui traite également comme un corps étrangers les français de confession musulmane, les roms, les personnes venues d'Afrique, alimentant les pratiques discriminatoires en matière d'embauche, de contrôle d'identité, d'accès aux droits en général. C'est un consensus mortifère qui s'est installé en France sur ces questions, considérant que les parcours de radicalisation voire d'enrôlement dans des cellules terroristes en fait encore davantage des "corps étrangers", en excluant l'idée que ce même pays qui les a pourtant vus grandir ait la moindre responsabilité dans leurs parcours ni vis à vis d'autres jeunes et moins jeunes qui pourraient demain continuer à grossir les rangs de Daech, en délégitimant toute explication et toute compréhension sérieuse du phénomène notamment de la part des sciences sociales, accusées de "justifier" le terrorisme (Merci Manuel Valls pour ce grand moment d'obscurantisme version PS !).
Les partis ayant exercé le pouvoir depuis 1974 n'ont jamais réellement ni sérieusement fait ce qu'il fallait pour contrecarrer le F'Haine dans leurs actes, tentant tout juste de donner une version édulcorée de ses positions, et acceptant au fond les termes du débat posés par ce parti, y compris le fait de faire des migrants une question centrale, et de leur nombre ainsi que des nouvelles arrivées un "problème".
Le F'Haine est aussi un pivôt parce que, dés lors qu'il a des chances d'accéder au pouvoir, c'est ce danger qui structure les comportements électoraux. À cette aune, le virage libéral et autoritaire du PS qui est au coeur de ses défaites électorales se trouve finalement renforcé : même si le PS éclate, ses principaux poids lourds d'élus qui nous ont empoisonné.e.s depuis 5 ans se réfugieront dans le rassemblement derrière "En marche", la plupart sans état d'âme d'autant qu'ils y sont déjà et considéreront que la sévère défaite d'Hamon confirme leur ligne et leurs options. En fait, il y aura chez les LR comme chez les PS ceux qui se battront pour être adoubés par Macron en vue de son rassemblement et ceux qui se placeront dans l'opposition mais ce sont ces positionnements qui vont probablement jouer dans leurs (in)succès si Macron a gagné le second tour. En effet, encore une fois, je ne crois pas au séisme ébranlant la 5e République et je crois en fait à une certaine continuité sur au moins un point depuis 2002, qui est de faire systématiquement des législatives une simple confirmation du résultat de la présidentielle et d'une cohabitation la pire crise de régime - pour la plupart des commentateurs, qui nous annonceront une France "ingouvernables" si les suffrages ne sont pas au rendez-vous pour les candidat.e.s labellisé.e.s ou rallié.e.s.
Même le dégagement des principaux leaders qui étaient censés avoir une chance de remporter cette élection il y a un an ressemble en réalité à une simple mue plus qu'à un séisme : on change les figurants et le décor certes mais on ne change ni les institutions ni la logique de leur fonctionnement ni demain les politiques qui seront menées, qui avec Macron iront sans dire au fond : respect obséquieux des préconisations européennes, alignement sur la logique MEDEF-CAC40, renforcement et agravation des inégalités, indifférence plus ou moins caractérisée au sort des résident.e.s de ce pays qui sont resté.e.s au bord de la route, indifférence plus policée aux enjeux écologiques qui continueront à ne rien peser face aux intérêts économiques, aggravation des antagonismes sociaux et politiques en particulier au sein des classes populaires ainsi incapables de prendre part aux luttes politiques et de faire prévaloir leurs véritables intérêts.
À ce titre, une question fondamentale sur Macron et sa future majorité entre autres si il est élu est la suivante : continueront-ils à réprimer les mouvements sociaux comme les socialistes l'ont fait ces dernières années et maintiendront-ils l'état d'urgence ou seront-ils capables de laisser se développer des espaces de contestation mais aussi d'éducation populaire pour tou.te.s qui sont le principal obstacle qui reste sur la route aussi bien de l'accession au pouvoir du F'Haine à terme que de la reproduction ad nauseam de ce fonctionnement ?
Sans ces espaces de mobilisation et d'échange politique à long terme, qui vont des pétitions en ligne aux occupations de zones de lutte en passant par les manifestations, je pense que le climat préfaciste en France continuera de se renforcer, ainsi que cette volonté punitive d'une grosse partie de la population qui se sentant ou sentant notre pays bafoués veut à tout prix punir les migrants, les musulmans, les enfants des quartiers difficiles mais aussi les "gauchos" comme certains trolls flingeurs nous appellent (oui je suis de gauche donc fier d'être un "gaucho") ou encore les "bobos" passés de nouveau marqueur sociologique à étiquette fourre-tout pour tous les amalgames haineux (le bourgeois c'est toujours l'autre et pourtant la bohème est pour presque tout le monde) : avec tout ça, je n'ai toujours pas compris pourquoi il fallait détester une petite bourgeoisie précarisée qui essaye des gestes citoyens qui gênent surtout les lobbys productivistes et anti-écolos. Je crains que ce nouveau centre-droit "niniste" ne sera que trop heureux de les laisser faire pour mieux se présenter comme un recours face aux "extrêmes" mis dans le même sac. Mais s'il vous plaît, allez-y, prouvez-moi le contraire.
Quant à Marine Le Pen, supposons qu'elle accède au pouvoir dans quinze jours ou dans cinq ans, elle qui a pu se qualifier pour le second tour sans grandes difficultés malgré une convocation chez les juges, une campagne plus que médiocre, et un score plus bas qu'espéré : elle se coulera à merveille dans les institutions de la 5e République et fera ses délices d'une prolongation de l'état d'urgence.