Un article nuancé, où l'on se demande quel est l'écho de ces militantes dans leur société ou dans les communautés musulmanes dans les pays du Nord : http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2443760&rubId=4077#1288024200000
Si l'égalité reste un objectif très lointain pour elles, n'est-ce pas parce que les oppositions sont sociales, dans le contrôle exercé par les hommes, et politiques, bien sûr ? Mais on voit que les pays du Nord jouent ici un rôle ambigü, avec diverses injonctions qui contribuent à faire penser l'égalité entre les hommes et les femmes comme contraire à l'islam, ou comme une politique de stigmatisation, d'exclusion ou de domination des personnes de religion musulmane.
De fait, en France, les conflits autour des "symboles" de l'oppression des femmes ont tendance à se régler d'une façon "réactionnelle", en punissant en quelque sorte une deuxième fois les femmes voilées ou vêtues d'un niqab, en les chassant encore plus de l'espace public, c'est à dire, peut-être, en les plaçant encore plus sous la dépendance des hommes. Aujourd'hui, toutes les raisons de cacher ses cheveux, son corps ou son visage de façon plus ou moins "totale" ont été mises sur le même plan en France, seules les personnes devant protéger leur visage pour des raisons de sécurité (CRS par exemple) en sont exemptes.
Alors peut-être la laïcité est-elle sauve, quoiqu'elle puisse souffrir ailleurs. Mais les logiques patriarcales en France n'en sont guère affectées, et peut-être renforcées, puisque ces femmes avaient déjà choisi pour s'affirmer la voie d'une affirmation "religieuse", et n'auront pas, ou guère, la possibilité de rompre avec leur milieu ou leur famille, et seront renforcées dans l'idée que la société française leur est décidément hostile.
Faut-il pour autant s'abstenir de critiquer ce que symbolisent pour nous (occidentaux), d'oppression des femmes, ces tenues vestimentaires ? Non, au contraire, le dire est peut-être plus important que vouloir interdire, ou que vouloir cacher. Mais peut-être pourrions-nous voir tout ceci autrement : nous avons peut-être voulu cacher encore plus ce qui l'était déjà (caché), c'est à dire des corps que nous voyons comme opprimés par un patriarcat qui se donne comme religieux, qui ont été définis par ce qui en était caché (notamment le visage). C'est parce que nous avons en tête une certaine idée (presque esthétique) de la citoyenne libérée, qui expose son visage aux regards, dont le visage libre, et visible, est en quelque sorte l'expression ultime de l'autonomie : elle peut se montrer, aller là où ça lui chante, "ouvrir sa gueule" en somme. Il y a là quelque chose de fort, d'autant que laisser l'usage du niqab s'étendre pouvait pénaliser d'autres femmes.
Mais pour que ça change vraiment, il faut que la volonté de se libérer de cette façon vienne des intéressées, plus motivées, peut-être, souvent, à dénoncer les errements actuels de la société française que l'oppression patriarcale (que ne s'interroge-t-on sur certains défenseurs ambigüs de l'égalité homme-femme qui ne l'appliquent guère dans leur propre pratique), peut-être parce que c'est la seule voie d'affirmation qui leur est réellement ouverte. Et de ce point de vue, en voulant les chasser de l'espace public, on a pu donner raison à cette cause-là, paradoxalement. Et si cette expression là, si on laisse de côté le niqab (ou le hijab), était nécessaire aujourd'hui, à la fois pour faire évoluer la société française vers plus de tolérance envers les résidents de religion musulmane (en combattant les amalgames entre islam et islamisme, entre la religion et ses interprétations politiques), et pour donner aux femmes musulmanes les moyens de faire évoluer les rapports hommes femmes dans leurs milieux sans qu'on les somme de s'en couper radicalement ?
PS : si nous admettons que l'on cache son visage pour se protéger d'un danger, si certaines de ces femmes sont prises entre le milieu familial ou confessionnel où elles évoluent et la société française d'aujourd'hui, où la xénophobie a tendance à devenir omniprésente, l'exemple venant d'en haut, tout particulièrement vis à vis des immigrés et des citoyens de religion musulmane, et tout particulier quand ces derniers deviennent visibles (comme les "auvergnats", n'est-ce paaahhh ?). Alors on pourrait peut-être entendre l'argument de ces femmes jeunes et moins jeunes, qui est qu'elles s'affirment précisément en portant ces tenues qui nous choquent, même si elles s'affirment par là contre "nous". Ne devrions-nous pas au moins, dès que nous nous en sentons capable, garder une possibilité de dialoguer, sur ces questions et sur d'autres ?
PPS : je me suis un peu laissé déborder par mon sujet. Ce billet n'est sans doute pas suffisamment informé sur bien des points même si j'assume bien sûr ce que je viens d'écrire ;-) Il y a d'un côté l'espoir, qui vient à mon avis de la lutte des femmes elles-mêmes, en islam et ailleurs, et le soutien qui doit leur être apporté sans stigmatiser leur religion, pour laisser à la pratique de cette religion (notamment dans ses rapports au politique) une chance d'évoluer vers l'égalité hommes femmes (tout comme il y a encore du chemin à faire en occident, notamment dans les lieux de pouvoirs et la représentation politique des femmes, qu'on ne doit pas enfermer dans la défense de l'égalité homme femme, ou même dans la lutte contre les discriminations, comme si ce sujet pouvait devenir une spécialisation pure, sans effets pervers). Il y a d'un autre côté notre conception de la laïcité et de ce qui doit pouvoir être vu, ou ne doit pas se voir dans l'espace public. Peut-être devrions-nous, sur ce registre, tolérer certaines "provocations", sans y être pour autant indifférents, sans en figer à l'avance la signification, en laissant une chance au temps. Question ouverte.