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Convaincu par la Théorie Monétaire Moderne (MMT) - Ancien cadre Ministère des finances - Finances publiques internationales

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Billet de blog 14 octobre 2024

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De la véritable nature du déficit et de la dette publics

Le débat en France sur le déficit et la dette publics est devenu une véritable obsession, alimentant des discours alarmistes sur une prétendue catastrophe financière imminente. Pourtant, la Théorie Monétaire Moderne (MMT) montre que le déficit et la dette publics ne sont pas des menaces, mais des outils indispensables pour soutenir l'économie et répondre aux attentes de la population.

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Le débat français sur le déficit et la dette publics est devenu obsessionnel. Chaque campagne électorale et chaque discussion budgétaire sont l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur un supposé gouffre financier. La France ferait face à une situation catastrophique, sans précédent. La dette publique, qui atteint aujourd’hui plus de 3.000 milliards d’euros, est présentée par les responsables, quelle que soit leur position dans le spectre politique, comme une bombe à retardement. Ce discours alarmiste sur la dette publique au niveau de l’Eurozone est différent de celui qui prévaut dans d’autres pays, notamment aux États-Unis et au Japon où les analyses de Warren Mosler, le principal penseur de la Théorie Monétaire Moderne (MMT), sont de plus en plus discutées. Celui-ci montre que, en raison de leur véritable nature, le déficit et la dette publics, non seulement ne sont en aucune façon problématiques, mais, au contraire, sont nécessaires à l’économie pour lui permettre d’atteindre ses objectifs réels.

L’obsession française du déficit : un héritage dogmatique

Depuis le traité de Maastricht en 1992, les règles budgétaires européennes contraignent les États membres à maintenir leur déficit en dessous de 3 % du PIB et leur dette publique en dessous de 60 % du PIB. Malgré leur manque de fondement économique, et même si leur pertinence est de plus en plus remise en question, ces seuils sont devenus des dogmes. Ils sont pourtant de nature politique. En effet, le « Whatever it takes » émis par Mario Draghi en 2012 et le "quoi qu’il en coûte" pendant la pandémie de Covid-19 ont clairement montré que la question de la soutenabilité de la dette publique n’est pas une question économique, mais essentiellement une question politique. La crainte d’une crise de la dette souveraine en France est donc largement infondée. Pourtant, une fois les crises passées, le discours sur la réduction du déficit et de la dette refait immédiatement surface.

Il n’existe pas de preuves empiriques d’un seuil critique du niveau de la dette publique

Un argument récurrent dans les débats sur la dette publique repose sur le fait qu’il existerait un niveau d’endettement au-delà duquel la croissance économique serait menacée. Pourtant, aucune étude sérieuse n’a jamais pu démontrer qu’un tel seuil existait. La célèbre étude de Reinhart et Rogoff1 de 2010, qui suggérait que la dette au-delà de 90 % du PIB freinait la croissance, a été largement discréditée après la découverte d’erreurs méthodologiques majeures. En réalité, les exemples historiques abondent pour montrer qu’un niveau élevé de dette publique peut coexister avec une forte croissance économique, tant que l’État continue d’y apporter son soutien.

Le passé montre que réduire la dette publique provoque des récessions

Les États-Unis ont connu six périodes de dépression, en 1819, 1837, 1857, 1873, 1893, et 1929. Chacune de ces dépressions a été précédée d'une réduction significative de la dette publique en cours. De même, l’excédent public dont le Président Clinton était si fier au début des années 2000 fut suivi par la récession du Président Bush.

De la nécessité d’analyser différemment le montant des intérêts

Le montant des intérêts sur la dette publique est systématiquement analysé sous l’angle d’une charge du budget de l’État, en référence au budget de certains ministères. Il n’est jamais analysé sous l’angle de son impact économique. Or, dans la mesure où l’État est un payeur net d’intérêts, ceux-ci devraient être vus comme participant au déficit public, donc soutenant l’économie, même si certes ils le font d’une façon socialement régressive, car profitant aux seuls rentiers.

L'analyse des intérêts nous permet de comprendre que le débat public sur la dette est souvent biaisé par des idées préconçues. C’est pourquoi une bonne compréhension du fonctionnement de la création monétaire et de la relation entre l'État et le secteur privé est nécessaire pour déconstruire les mythes qui entourent le déficit et la dette publics.2

Le déficit et la dette publics sont la contrepartie de l’épargne et de la richesse financière du secteur privé

L’un des points occultés dans les débats sur le déficit et la dette publics est l’existence de l’identité comptable macroéconomique, qui se vérifie dans tous les pays3 et qui montre que le déficit public est, au centime près, la contrepartie de l’épargne nette des agents du secteur privé. Ainsi, lorsque l’État dépense plus qu’il ne prélève d’impôts, donc lorsque son budget est en déficit, il crée de la monnaie dans l’économie, participant alors à son soutien. De la même manière, la dette publique, qui est le cumul des déficits, représente, au centime près, leur richesse financière nette.

Il en découle que la dette publique n'est pas composée des seuls titres d'État. Elle englobe l'ensemble des passifs de l'État, à savoir le cash, les réserves bancaires et les titres d'État. Il est important de souligner que l’émission de titres d’État ne crée pas de nouvelle devise, mais change simplement la forme de la devise, passant de « réserves » à « titres », tout comme on transfère un montant d'un compte courant non rémunéré vers un compte de dépôt rémunéré.

Contrairement à ce que suggèrent les analogies simplistes souvent employées dans le débat public, la dette d’un État n’a rien à voir avec celle d’un ménage ou d’une entreprise. Là où un ménage doit rembourser ses dettes avec des ressources préexistantes, l’État, lui, crée sa propre monnaie lorsqu’il dépense. Et cette monnaie nationale ne peut être créée que par la dépense publique. Il convient toutefois de préciser que, en ce qui concerne l’Eurozone, les euros sont créés par l’entité que représente la consolidation des ministères du trésor des États membres et de la BCE, lorsqu’ils dépensent4.

Selon les économistes MMT, ni les impôts ni les titres d'État ne financent les dépenses publiques

Selon l’analyse des économistes MMT, l’État ne peut faire défaut dans sa propre monnaie, qu’il crée en dépensant. Le processus de création monétaire commence donc par l’État qui paie. Dans cette logique, ni les impôts ni les titres d'État ne financent les dépenses publiques. Les impôts, loin de servir à remplir les caisses de l'État, créent une demande de monnaie domestique. C’est parce que les citoyens doivent payer leurs impôts en euros qu’ils acceptent et utilisent cette monnaie. Quant aux titres d'État, leur émission n’a pas non plus pour objectif de financer les dépenses de l'État, mais de maintenir le taux d'intérêt cible fixé par la Banque centrale européenne, ainsi qu’offrir un actif financier sûr.

De la « finance saine » à la « finance fonctionnelle »

Cette analyse, qui ne relève en aucune façon d'une vision idéologique, mais qui est le résultat de l'observation du fonctionnement du système monétaire, débouche directement sur la nécessité de repenser la gestion budgétaire française. Plutôt que de se focaliser sur la réduction du déficit, les décideurs publics devraient s’interroger sur les ressources inutilisées dans l’économie et sur la manière de les mobiliser pour répondre aux besoins sociaux. Il s’agirait alors de passer d’une logique de « finance saine » à une logique de « finance fonctionnelle », qui abandonnerait la vision habituelle focalisée sur la recherche de l’équilibre des comptes publics, pour une vision qui consiste pour l’État à se fixer pour principal objectif d’assurer une économie prospère. Comme le souligne les économistes MMT, tant que le plein emploi n’est pas atteint, l’État peut utiliser son déficit pour stimuler la croissance et donc améliorer le bien-être général5. La véritable limite n’est pas financière. Elle n’est ni le niveau du déficit, ni celui de la dette. Elle est réelle, c’est-à-dire celle de la disponibilité des ressources (technologiques, naturelles et force de travail), d’où le caractère inopérant des contraintes financières en Eurozone.

Démystifier les croyances : la construction sociale du déficit et de la dette publics

La transition vers une gestion budgétaire plus fonctionnelle implique également de comprendre les croyances profondes qui façonnent notre perception du déficit et de la dette publics. En effet, comme le sociologue Frédéric Lebaron6 le développe, s’inspirant de Émile Durkheim, les concepts économiques, loin d’être des vérités objectives, sont des constructions sociales issues des interactions et des rapports de pouvoir. Idéalisées, des notions comme le "bon père de famille" ou la "gestion rigoureuse" de l'État perpétuent l’idée qu’une situation financière "saine" signifie une dette la plus faible possible, ce qui déforme la réalité de la dette publique. Ainsi, la peur irrationnelle de la dette repose sur des croyances économiques comparables à des croyances religieuses.

Cette croyance est amplifiée par les discours politiques et médiatiques, qui instaurent un climat de peur justifiant des politiques d'austérité, avec des conséquences sociales graves. Ce faisant, elle empêche la France de mobiliser pleinement ses ressources économiques. En réalité, loin d’être des menaces, le déficit et la dette publics sont des outils essentiels pour soutenir l’économie et pour répondre aux enjeux majeurs, notamment écologiques. Il est donc crucial de repenser ces notions sur des bases rationnelles et d'y apporter une perspective sociologique dans le but de démystifier ces croyances.

Conclusion : Repenser la façon d’élaborer les politiques publiques

Ainsi, la peur du déficit et de la dette publics repose non seulement sur une mauvaise analyse du système, mais également sur des croyances profondément ancrées. Pourtant, loin d'être les menaces souvent décriées, il s’agit d’outils essentiels pour soutenir l'économie et la richesse privée.

En comprenant la MMT, il serait possible de répondre aux attentes des services publics, qui souffrent d’un sous-financement chronique, mais également aux aspirations de la population en termes de bien-être. Plutôt que de chercher systématiquement à faire des économies, aggravant ainsi une situation déjà fragile, la MMT propose de repenser le rôle de l'État en tant que créateur de richesses et moteur de la croissance.

Ce changement de paradigme offrirait une perspective radicalement nouvelle sur les discussions budgétaires actuelles. L'objectif des coupes budgétaires serait remplacé par celui d'une mobilisation optimale des ressources, dans le but d’exploiter pleinement le potentiel économique du pays. Il s’agirait ainsi de rompre totalement avec l'idéologie néolibérale austéritaire dominante.


NOTES

1. Les limites et l’erreur de Reinhart et Rogoff est analysée dans cet article de Yeva S. Nersisyan et L. Randall Wray intitulé « Un excès de dette publique handicape-t-il réellement la croissance ? ». Sur le même type de questionnement, un article de Phillip Heimberger intitulé «  Do higher public debt levels reduce economic growth » montre que les données suggèrent que la littérature économétrique n’a pas jusqu’à présent fourni de preuves solides d’effets systématiquement négatifs de niveaux de dette publique plus élevés sur la croissance.

2. Quoi qu’il en soit, il est possible d’apporter une réponse efficace aux critiques souvent entendues concernant le montant élevé des intérêts en suggérant une politique de taux d’intérêt à zéro. Voir l’article « Le taux d’intérêt naturel est zéro » par Warren Mosler et Mathew Forstater

3. Les soldes sectoriels sont un cadre d'analyse sectorielle pour l'analyse macroéconomique des économies nationales développé par l'économiste britannique Wynne Godley

4. Voir l’article « MMT et l’Eurozone » : https://mmt-france.org/2020/09/21/mmt-et-leurozone/

5. Le passé récent montre que les USA, avec des déficits publics importants, ont connu une croissance plus forte que l'Eurozone, où les déficits étaient moins importants.

6. Il s’agit d’un article intitulé « Croyance économique et croyance religieuse: quelles relations? Quelques réflexions durkheimiennes »

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