La découverte d’une approche monétaire comme la MMT, qui, en l’occurrence, non seulement relève d’un domaine que je ne connaissais pas, mais également qui a été une totale remise en cause de mes propres connaissances relatives à la gestion des finances publiques que j'ai pratiquées durant toute ma carrière, n’est pas quelque chose de banal. J’ai donc décidé de raconter ma propre histoire.
Je souhaite tout d’abord évoquer mon parcours professionnel. Je suis entré très jeune, à 18 ans, dans l’administration des finances, au sein de laquelle j’ai pu exploiter les possibilités de promotion interne, qui existent d’ailleurs encore aujourd’hui. J’ai pu gravir successivement les échelons d’agent du trésor, puis de contrôleur, puis d’inspecteur. La préparation du concours pour l’accès à ce dernier grade représente un effort intellectuel intense.
A titre d’exemple, le programme de droit privé et de droit public des 2 premières années de fac doit être absorbé en 4 mois. L’accès à ce grade se fait d’abord par un passage d’un an à l’École Nationale des Services du Trésor, aujourd’hui École Nationale des Finances publiques, depuis la fusion de la Comptabilité Publique et des Impôts. Le Président Giscard d’Estaing, lors de son inauguration en juin 1978, avait qualifié cette école de « petite grande école ».
A la sortie de l’École Nationale des Services du Trésor, j’ai été affecté dans une perception, en qualité de comptable public, comptable de l’État et des collectivités locales. J’ai passé pratiquement toute la 1ère moitié de ma carrière dans ce type de fonction, dans l’hexagone, avec tout de même un passage inattendu auprès de l’Orchestre Philharmonique des Pays de Loire (OPPL, aujourd'hui ONPL), organisme qui est financé à hauteur de 90 % par des fonds publics, ce qui nécessite donc un contrôle soutenu.
Puis, une rencontre avec un collègue m’a fait me souvenir qu’il nous était possible de se faire affecter dans des postes en coopération. J’ai postulé et obtenu une affectation au Sénégal, comme conseiller du Trésorier Général, puis du Directeur du Trésor, avec pour principale mission de concevoir et mettre en place un plan comptable pour les collectivités locales. Cette affectation s'est avérée passionnante. Elle aura duré 8 années et m’aura procuré ce qui manque à la plupart des fonctionnaires dans l’hexagone, à savoir la possibilité tellement valorisante de prendre des initiatives, de créer, d’innover.
Puis je suis rentré en France, où j’ai retrouvé des fonctions de comptable public, mais que j’ai abandonnées rapidement, sollicité par Bercy pour développer un cahier des charges informatique destiné au développement d’un logiciel pour la tenue de la comptabilité des États africains francophones.
Ce positionnement au ministère des Finances aura été ensuite un tremplin pour une affectation auprès de la Banque Mondiale, le directeur de la Comptabilité Publique de l’époque souhaitant positionner des cadres dans les organismes internationaux, dans le but de faire connaître les techniques françaises de gestion des finances publiques. La plupart des organismes internationaux sont en effet dominés par la culture anglo-saxonne. Il s’agissait pour moi d’accompagner les économistes pays dans leurs travaux au sein des pays africains francophones.
Après un contrat de 5 ans, je suis resté sur le même type d’activité, intervenant comme consultant pour plusieurs organismes multilatéraux et bilatéraux qui œuvrent dans le secteur du développement, et ceci jusqu’à mon départ en retraite
J’ai quitté ces fonctions d’une manière progressive et, lorsque, il y a maintenant environ une dizaine d’années, je me suis retrouvé retraité à temps plein, j’ai cherché une activité dans le double objectif de conserver une activité intellectuelle et de me rendre utile. J’ai ainsi découvert, en surfant sur le web, le concept de revenu de base. Je me suis passionné pour cette idée, et j’ai adhéré au Mouvement Français pour le Revenu de Base. Puis, effectuant des recherches, au-delà des aspects économiques et sociaux, sur ses fondements philosophiques, je suis tombé sur un article dont la lecture aura été pour moi très déterminante.
Cet article développait, entre autres, l’importance pour les activistes du revenu de base de maîtriser le processus de la création monétaire. J’ai donc creusé cette piste, qui me semblait importante, et je suis tombé, encore en surfant sur le web, sur un article présentant la MMT. C’était il y a environ 6 ans.
Dans cet article, une phrase de Warren Mosler, dont j’appris ensuite qu’il est le principal penseur de la MMT, raisonna en moi comme un choc, comme une révélation, à savoir qu’un État en change flottant qui maîtrise sa devise n’a jamais fait défaut dans sa propre devise, sauf volontairement. Ce fait, qui n’a jamais été empiriquement démenti, m’est apparu immédiatement comme très important. Par contre, il remettait en cause ce que je savais, que j’avais utilisé pendant toute ma carrière, à savoir que les dépenses publiques sont limitées financièrement et donc qu'elles doivent être financées, par des impôts ou par des emprunts.
Ma curiosité en fut donc profondément piquée et, pour avancer, pour apprendre, je cherchai à rencontrer d’autres personnes qui s’intéressaient au sujet, ce qui me mena à adhérer à un groupe de discussion sur Facebook, groupe que je quittai rapidement, n’y trouvant qu’une connaissance superficielle du sujet et une ambiance peu favorable à la recherche.
Assez rapidement, après avoir visionné une courte vidéo montrant un activiste MMT italien, Ivan Invernizzi, qui s’exprimait, en français, sur son souhait de voir la MMT se développer également en France, je découvris que cette approche monétaire connaissait un activisme soutenu en Italie. Je cherchai donc à me mettre en contact avec lui.
J’appris par la suite que, à de nombreuses occasions, il avait accompagné en Italie et interprété les économistes à l’origine de la MMT, notamment Warren Mosler, qui eut le premier l’intuition de la MMT, en 1992, puis qu’il développa en collaboration avec des économistes académiques, notamment l’Australien Bill Mitchell et l’Américain Randall Wray.
Ivan ayant appris MMT directement de Warren Mosler, cette rencontre fut pour moi une fantastique opportunité. J’ai pu en effet, grâce à lui, rentrer en profondeur dans les rouages de cette approche, dans sa ligne de raisonnement, et découvrir l’importance, la puissance, du concept de l’État monopoliste de sa devise. Ivan m'apprit également le fait que, même s’il en existe une certaine proximité, la MMT est fondamentalement différente de l’approche post-keynésienne.
Mais je souhaite également évoquer le regretté Jean-Baptiste Bersac, prématurément disparu à l'âge de 27 ans, que je n'aurai malheureusement connu qu'à travers son blog et son livre "Devises - L'irrésistible émergence de la monnaie". Jean-Baptiste avait tout compris de la MMT, qu'il préférait nommer néo-chartalisme. Nous aurions eu tellement de choses à nous dire. Sa disparition a été pour la MMT dans l'espace francophone une perte incommensurable.
Il est certain que, pour moi, cette découverte de la MMT a été un choc culturel profond. Tout d’abord, bien qu’ayant réalisé toute ma carrière au contact des finances publiques, utilisant les outils eux-mêmes, en termes de préparation, exécution et contrôle des budgets publics, je n’avais jamais réfléchi aux questions monétaires. Il m’a donc fallu apprivoiser le langage ainsi que comprendre les rouages du système monétaire, étant précisé que ma connaissance de la comptabilité m’aura été très utile.
En effet, la description du système monétaire par la MMT utilise abondamment la comptabilité. Mais également, il m’a fallu comprendre le fondement d’idées totalement nouvelles, a priori « saugrenues », souvent contre-intuitives, comme celle qui consiste à considérer que les dépenses de l’État précèdent nécessairement le paiement des impôts et la souscription des titres d’État, ceux-ci ayant une autre utilisation que celle de leur financement.
Je dois donc considérer que j’ai réussi un saut qui n’est pas évident, car il demande une grande souplesse intellectuelle, ainsi qu'une grande capacité à accepter de nouvelles perspectives. Des discussions avec d’anciens collègues du Trésor français, qui, sauf pour l'un d'entre eux, ont réagi en exprimant clairement leur souhait de ne pas faire évoluer leur raisonnement, m’ont permis de me rendre compte à quel point il est frustrant de se heurter à la rigidité de notre propre système de pensée, de penser contre soi-même.
Mais en réalité la découverte de la MMT, qui m’a immédiatement séduit, a confirmé certaines de mes intuitions, notamment sur le rôle du déficit public. Et l’approfondissement de cette approche monétaire m’a fait découvrir sa puissance, montrant notamment que l'ignorance des décideurs publics quant au fonctionnement réel du système monétaire les amène à s'auto-imposer des contraintes financières totalement inutiles, mais leur servant à justifier les politiques d'austérité que trop souvent ils préconisent.
S’agissant de la description elle-même de la MMT, je ne rentrerai pas ici dans plus de détails, qui sont par contre disponibles sur notre blog https://mmt-france.org/ à travers ses articles fondamentaux les plus importants, ainsi que d’articles écrits à quatre mains par Ivan et moi-même. Les lecteurs pourront y découvrir, ainsi que dans ce blog de Mediapart, comment la MMT donne aux États les clés pour ouvrir de façon optimale leur espace de politiques publiques, leur permettant ainsi d’œuvrer beaucoup plus efficacement dans l’intérêt des populations.
Il me reste à espérer que cette description de mon propre parcours vers la MMT inspirera quelques lecteurs, et les incitera à prendre contact avec nous.