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Convaincu par la Théorie Monétaire Moderne (MMT) - Ancien cadre Ministère des finances - Finances publiques internationales

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Billet de blog 18 novembre 2024

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Les emprunts publics : impératif économique ou choix politique ?

Sous un régime de taux de change flottant, un État qui contrôle sa devise n’a pas besoin d’emprunter pour financer ses dépenses. Les titres d’État servent à stabiliser les taux d’intérêt, non à financer les dépenses. Dès lors, la persistance de leur émission résulte-t-elle d’une méconnaissance du système monétaire ou bien d’un choix politique ?

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La dette publique est devenu un sujet central de débat dans la gestion budgétaire des États. Pour beaucoup, l’accumulation de dettes par les États constitue un facteur de risques économiques, notamment en raison des intérêts à rembourser, qui viendraient peser sur les finances publiques et justifier des politiques d’austérité. Cette approche traditionnelle mérite d’être réévaluée dans le contexte des systèmes monétaires contemporains.

Cet article met en évidence la nécessité des emprunts publics dans un régime de taux de change fixe, mais souligne que, dans un système de taux de change flottant, l’État émetteur de sa propre monnaie n’a pas besoin d’emprunter pour financer. Puis il propose de repenser la dette publique à la lumière de la Théorie Monétaire Moderne (MMT), qui dévoile la véritable nature de la dette publique, et qui défend l’idée selon laquelle le taux d’intérêt naturel pour un État qui maîtrise sa devise est zéro. Pour conclure, l’article pose la question de savoir si la nécessité des emprunts publics est la conséquence d’une compréhension biaisée du fonctionnement du système, ou bien un choix politique.

Les emprunts publics, une nécessité en régime de taux de change fixe

Il est essentiel, dans toute analyse économique ayant une dimension monétaire, de préciser si l'on raisonne dans un cadre de taux de change fixe ou flottant. Cette précision est souvent omise par les autres approches économiques, mais, pour la MMT, elle constitue un élément fondamental.

Le régime de taux de change fixe est une situation dans laquelle la devise est ancrée à un étalon qui nécessite un stock-tampon pour le maintenir, soit une marchandise (en général un métal précieux), soit une devise étrangère. Le taux de change doit alors être manipulé, d’une manière continue (avant tout par des opérations de vente et d’acquisition de l’étalon (or, argent ou devises étrangères) et de devises domestiques) par une politique monétaire, afin de le maintenir fixe. En effet, dans la mesure où la devise est fixée à un étalon, l’État doit être en permanence disposé à vendre cet étalon à chaque fois qu’un acheteur est disposé à l’acheter à ce prix et ne le trouve pas au niveau du marché privé, ce qui entraîne donc la nécessité de l’intervention de l’État. Ce point concernant la nécessité de maintenir le taux de change fixe par des manipulations de l’État est central pour le différencier du taux de change flottant. Il existe donc un rapport étroit entre le stock-tampon que constitue l’étalon et la capacité de l’État de maintenir le taux fixe, ce qui rend ce régime de taux de change fragile. Il en découle que la pression que l’État doit exercer en permanence le limite dans ses capacités de dépenser. Sous ce régime, lorsqu’il dépense, l’État doit compenser par des recettes sous forme d’impôts ou d’emprunts. Ce régime est donc un régime qui entraîne des restrictions financières.

En régime de taux de change flottant, nul besoin pour l’État d’emprunter

Sous un régime de taux de change flottant, la relation entre le maintien d'une réserve tampon (étalon-or ou autres) et la capacité de dépenser est abandonnée. L’État est alors le créateur monopolistique de sa devise, et ses dépenses ne sont financées ni par ses impôts ni par les titres d’emprunt qu’il émet. L’État n’a donc pas de limite nominale dans sa dépense. Il peut dépenser autant qu’il le souhaite, sans aucune restriction financière, à condition qu’existent des biens et services réels disponibles à la vente. Cet État n’est jamais financièrement contraint dans sa devise. Sa capacité de dépenser est donc illimitée en termes nominaux, mais toutefois limitée par la disponibilité des ressources réelles (ressources technologiques, ressources naturelles et force de travail).

Dans cette logique, un État qui dispose du monopole de création de sa devise en régime de taux de change flottant ne peut donc faire faillite, à moins de le vouloir. Et le fait pour un État de fixer des limites à ses dépenses est purement volontaire.

La véritable nature de la dette publique

Il apparaît donc que la compréhension du fonctionnement réel du système monétaire est cruciale pour dissiper les craintes liées à la dette publique. En régime de taux de change flottant, les titres d’État ne servent pas à financer les dépenses, mais à soutenir les taux d'intérêt. C'est la raison pour laquelle Warren Mosler, le principal penseur de la MMT, suggère de ne plus utiliser l'expression "dette publique", mais celle de "compte de maintien des taux d’intérêt". Et ce que l'on appelle la dette publique n'est rien d'autre que la devise nationale qui a été créée par la dépense publique et qui n'a pas encore été retirée par l'impôt. Elle est la somme de cash + réserves bancaires + titres d’État. Elle est donc, au centime près, la richesse financière nette des agents du secteur privé. Cela signifie que, quand l’État émet des titres, il n'"emprunte" pas, au sens d’une dette privée, mais change simplement la forme de sa devise, qui passe de réserves à titres.

En effet, l'émission d'un titre d’État est en tous points comparable au transfert d'une somme d'un compte courant non rémunéré à un compte de dépôt rémunéré. Elle ne procure aucun moyen supplémentaire pour dépenser à l’État, qui en réalité, crée sa propre devise en dépensant. Et lorsque les titres arrivent à échéance, il ne s'agit pas d'un "remboursement", mais du changement inverse de la forme de la devise domestique, qui passe de "titres" à "réserves", comme d'un compte de dépôt rémunéré à un compte courant non rémunéré.

Le taux d’intérêt directeur devrait être maintenu à zéro

Cette compréhension du fonctionnement monétaire, qui révèle l'émission des titres d'État comme un vestige de l'ère de l'étalon-or et des taux de change fixes, permet de dépasser la fixation trop souvent faite sur l'équilibre budgétaire, ainsi que la conception d'une devise nationale quantitativement limitée. Et, quoi qu’il en soit, face à la montée en puissance du coût des intérêts1, la MMT propose une solution radicale : le maintien du taux d'intérêt directeur de la banque centrale à zéro.

Cette proposition découle de l'analyse des mécanismes monétaires modernes, qui démontre que le taux d’intérêt nominal sans risque égal à zéro est normal pour les devises nationales créées par les États2. Ces systèmes reposent sur des devises « fiat »3 à taux de change flottant, avec un monopole de création de la devise nationale par l’État.

Dans ce contexte, comme cela a été exposé plus haut, les États, en tant que créateurs de leur propre devise, ne sont pas limités par leurs recettes pour financer leurs dépenses. Les impôts ne servent pas à financer directement les dépenses, mais à créer une demande pour la devise nationale. De plus, les déficits publics sont « naturels », car les dépenses de l’État précèdent les recettes. La vente de titres d’État sert principalement à réguler les réserves bancaires et à stabiliser les taux d’intérêt, tandis que les déficits créent des excédents de devise nationale dans l’économie.

Le Japon en est un exemple concret : malgré un taux de dette publique très élevé, le pays maintient des taux d’intérêt proches de zéro depuis des années, démontrant que les déficits publics et les taux bas peuvent coexister sans nuire à la stabilité économique. En résumé, un taux d’intérêt nul est une caractéristique fonctionnelle du système monétaire moderne, où les dépenses publiques n’ont pas besoin d’être financées par des recettes4.

L'impératif des emprunts publics : compréhension biaisée du fonctionnement du système ou choix politique ?

Les développements qui précèdent révèlent une profonde contradiction entre l’analyse que fait la MMT et les pratiques courantes. Cette divergence soulève la question de savoir si la persistance des emprunts publics est due à une méconnaissance des mécanismes monétaires, ou bien à des choix politiques.

L’exemple de l’Eurozone, qui fonctionne elle-même sous le régime du taux de change flottant, illustre particulièrement bien cette tension entre les caractéristiques fonctionnelles intrinsèques du système monétaire et la façon dont il est utilisé. En renonçant au contrôle de leur monnaie, les États membres, dont la France, se sont soumis à des règles contraignantes dictées par la gouvernance de l’euro, comme l’obligation de maintenir un solde positif sur leur compte du Trésor auprès de la BCE. Ces contraintes, qui ne relèvent d’aucun fondement économique, traduisent une vision idéologique favorisant une stricte discipline budgétaire.

Ainsi, réduire l’explication de la dépendance aux marchés financiers à la seule méconnaissance des principes monétaires contemporains serait trop simpliste. En effet, le recours aux marchés financiers peut aussi être interprété comme un choix idéologique visant à renforcer leur influence et à servir les intérêts des investisseurs. En émettant des titres d’État, les gouvernements offrent un actif sûr aux acteurs financiers, ce qui perpétue l’idée néolibérale de la soumission de l’État aux contraintes du marché ainsi que les politiques d’austérité, privilégiant ainsi des intérêts privés à l’intérêt général.

Conclusion

La persistance des emprunts publics, malgré l’inutilité économique de cette pratique en régime de taux de change flottant, repose sur des fondements aussi bien liés à la méconnaissance du système monétaire qu’à des choix politiques. Bien plus qu’une simple option financière, en nourrissant l’illusion d’une contrainte budgétaire pesant sur l’État, l'émission de titres d'État incarne une forme de soumission aux marchés financiers. Il en découle que, sous le prétexte infondé de « soutenabilité » de la dette publique, cette vision surannée limite l’espace des politiques publiques de l’État, et donc empêche une gestion budgétaire orientée vers les besoins réels de la population.

Pourtant, comme Warren Mosler le suggère, il pourrait être mis fin à toute émission de titres d’État.

« Au lieu de cela [toute émission de titres du trésor], toute dépense en déficit s’accumulerait sous forme de soldes de réserve excédentaires à la Fed. L’émission de titres du Trésor assortis d’une politique de devises et de taux de change flottants non convertibles n’est d’aucune utilité publique. » Mosler (2009)5

Un tel changement permettrait de rompre avec la logique de dépendance aux marchés financiers et, en dissipant l’illusion du financement nécessaire des dépenses publiques par emprunt, de recentrer la politique budgétaire sur l’intérêt général. Toutefois, pour les États-membres de l’Eurozone, une semblable évolution reste conditionnée à une remise en cause des contraintes financières qui leur sont imposées.


Notes

1. Ce point fera l’objet d’un autre article.

2. Voir : https://mmt-france.org/2019/04/23/le-taux-dinteret-naturel-est-zero-2/

3. La devise fiat est une devise émise par l’État convertible uniquement en elle-même, par opposition à une devise nationale à taux fixe telle qu’un étalon-or ou une autre convertibilité en toute autre marchandise ou devise nationale fixée par l’état qui l’émet (comme les caisses d’émission, les devises nationales ancrées ou les unions monétaires). Les États-Unis, le Japon et la plupart des économies industrielles du monde, sont des exemples de systèmes monétaires de ce type, y compris la zone euro.

4. Stephanie Kelton, posant la question « To bond, or not to bond ? », suggère dans cette vidéo un choix de mesures incluant celle du taux d’intérêt à zéro : https://www.youtube.com/watch?v=ql0OFY7W3Qs

5. Voir cet article : https://mmt-france.org/2022/06/06/propositions-de-warren-mosler-pour-le-tresor-la-fed-le-fdic-et-le-systeme-bancaire/

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