Mme Martine Aubry, à l'Université d'été de La Rochelle, s'est souvenue avec nostalgie de l'action du gouvernement Jospin en matière de politique de l'emploi. Rendant compte de ses propos sur la sécurité, la journaliste Cécile Amar du Journal du Dimanche (29 août 2010) rapporte : Aubry (...) prévient, "Je donnerai la philosophie de ma position, je donnerai des exemples, mais je ne répondrai pas en quatre phrases. Il faut ouvrir toutes les pistes, sur ce sujet, comme on l'a fait sur le chômage en 1997. Et il faudra mettre les moyens."
Il est étonnant d'entendre Martine Aubry prendre pour exemple l'action du gouvernement Jospin sur le chômage comme modèle à suivre pour la gauche et plus étonnant encore de la voir afficher 1997 comme date de référence.
La politique de la gauche n'a pas enrayé le chômage qui est en 1997 à son plus haut niveau. A tel point que les associations de chômeurs agissant jusque là en ordre dispersé parviennent à mettre sur pied ensemble, avec le concours des syndicats Sud et du courant "CFDT en lutte" une marche européenne des chômeurs sur Amsterdam (juin 1997), jugeant que la politique en la matière se décide à Bruxelles, selon une ligne néolibérale privilégiant les profits sur l'emploi.
Au pic du chômage en 1997 correspond également en décembre le mouvement des chômeurs qui occupent des lieux publics, en particulier des agences ASSEDIC et ANPE, puis à partir du début janvier multiplient les actions spectaculaires et les manifestations. Elles aboutiront à la reconnaissance contrainte de leurs associations par le gouvernement et leur réception à Matignon. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité (1997-2000) n'est autre que Martine Aubry. À l'exemple du gouvernement Jospin dans son ensemble, elle n'avait pas vu venir le mouvement des chômeurs de l'hiver 97-98.
Dans son livre de souvenirs1 sur son travail de directeur de cabinet à Matignon, Olivier Schrameck confirme : "La brusque poussée des mouvements de chômeurs en décembre 1997 et janvier 1998, partie de la revendication d’une prime de Noël et dénonçant l’insuffisance de moyens d’existence reposant sur l’aide publique, n’avait pas été, quant à elle, anticipée par le gouvernement."
Diseurs de bonne aventure
C'est à la suite du mouvement des chômeurs et non d'une volonté du PS ou du gouvernement d'étudier "toutes les pistes" que la loi d'orientation de lutte contre l'exclusion a été mise en place. La loi, qui comportait des avancées positives, a été rapidement votée et mise en œuvre. De façon partielle car un appareil d'État hostile et les changements de gouvernements aidant, ce type de loi d'orientation "fourre-tout", pleine de bons sentiments sur le traitement social du chômage s'est avérée impuissante à combattre le chômage de masse.
La conjoncture internationale ayant été cependant durant quelques mois favorable à l'emploi, avec le renfort des emplois-jeunes et de la réduction du temps de travail, le gouvernement et le PS à sa suite se sont empressés de voir poindre à l'horizon et de théoriser avec Pisani-Ferry en 2001 la "bonne aventure" du "retour au plein emploi". Dont la date fixée était... 2010.
Hélas, les conjonctures vont et viennent et le mouvement de yoyo du chômage s'est aussitôt inversé tandis que le PS refusait de voir la réalité : le chômage de masse n'avait pas disparu et ses causes profondes non plus. C'est l'une des raisons du plantage de la campagne Jospin à la présidentielle, celui-ci continuant imperturbablement à annoncer la fin du chômage quand les chômeurs et leurs familles continuaient à le vivre dans leur quotidien et quand les salariés attendaient dans l'angoisse la prochaine restructuration.
Le bilan des pistes ouvertes en 1997 est donc pour le moins ambigu. Quant aux "moyens" mis en œuvre, lois sur les emplois-jeunes, contre les exclusions et la RTT, elles n'ont pas inversé durablement la tendance au chômage de masse qui n'est pas le fruit des conjonctures mais le résultat d'une orientation européenne et mondiale des décideurs financiers pour maintenir les profits à la hausse. Martine Aubry ferait donc bien de confronter ses souvenirs de ministre à ceux des salariés et des chômeurs si la gauche veut éviter en 2012 la catastrophe annoncée de 2002. Il reste encore beaucoup à faire pour "ouvrir toutes les pistes".
Robert Crémieux
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1 / Olivier Schrameck, Matignon rive gauche, 1997-200. Seuil. Paris 2001 - p. 44