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Billet de blog 3 octobre 2023

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L’ombre de Jacques Doriot et de Marcel Déat sur la gauche

Les dérives dans la SFIO et le PCF, à l'heure de la montée au pouvoir des nazis, vers l'extrême droite hante la mémoire de la gauche. Le développement de la crise de la NUPES voit France Insoumise traiter ses alliés de fils de Déat ou de Doriot, pour dédouaner sa propre position. Est-ce un fantasme?

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par Robert Duguet

(Voir ci-joint l’article de Jean Numa Ducange)

[Dans cet article, il est question de Louis Mexandeau et de son opposition à la candidature de Ségolène Royal en 2006: j’en profite pour rendre hommage à ses positions après son décès le 16 août 2023, qui fut au sein de la commission nationale Education du PS avant 1981, un défenseur de l’école publique et de la laïcité. Face à l’offensive du courant Unité et Action, à l’époque contrôlé par la direction du PCF, multipliant les attaques contre l’unité PS-PCF, Louis Mexandeau soutiendra les efforts de plusieurs composantes de la Fédération de l’Education Nationale (FEN) pour défendre l’unité du syndicalisme enseignant. Il sera en mai 1981 mis sur la touche au profit d’Alain Savary par Mitterand et déplacé aux PTT, qui prendra directement en charge la ligne mitterandiste de prorogation des lois antilaïques. Il soutiendra la campagne du non socialiste au référendum de 2005. Nous le retrouverons, dans la tentative de reconstruire une opposition à la gauche du PS en 2002 avec Marc Dolez dans le courant Forces militantes. Louis Mexandeau ne suivra pas Marc Dolez au Parti de Gauche]

L’article de Jean Numa Ducange dans Marianne du 27 septembre 2023 (1), porte sur la caractérisations qui a été avancée par Sophia Chirikou, compagne de Jean Luc Mélenchon, reprise ensuite par la direction de France Insoumise à l’encontre du PS et du PCF : ils ne veulent pas « l’unité » pour les prochaines élections européennes de juin 2024, donc en refusant la ligne de « l’unité » dans la NUPES, ils viennent, à l’images de Jacques Doriot et de Marcel Déat, décrète l’impérium de Mélenchon, de faire un pas vers l’extrême droite…

Soyons plus précis que Jean Numa Ducange qui, pourtant historien, a une certaine capacité de survol éclectique des événements importants. (2) Mussolini et ses groupes d’assaut avait marché sur Rome en octobre 1922 avec la complicité de la bourgeoisie italienne et de la monarchie qui lui avait ouvert les portes du pouvoir. La couleur brune se répand sur l’Europe, elle y sera bientôt en Espagne où le parti stalinien mettra toute sa science à imposer l’unité avec « l’ombre de la bourgeoisie », les républicains qui ne représentent rien ou à peu près rien dans la révolution. Les tueurs de Staline décapitent l’avant-garde ouvrière, CNT-FAI et POUM, jusqu’à l’aile caballeriste du PSOE. Staline vole l’or de la République espagnole contre des livraisons tardives à la résistance contre Franco d’armes hors d’état de fonctionner, dont des fusils de la première guerre mondiale sans culasse… L’internationale stalinienne est sur la ligne de la troisième période, dite « classe contre classe ». Aucune alliance avec les sociaux-démocrates !

Voici ce qu’écrit Numa Ducange sur Doriot :

« Les recherches un tant soit peu sérieuses sur Doriot montrent en effet que sa conversion politique à l’anticommunisme tient beaucoup à sa haine de l’appareil du PCF dont il avait été un des éminents représentants. Il lui devait tout ; il n’est plus rien après son exclusion du Parti communiste en 1934… Remuant et indiscipliné, Doriot a été marginalisé puis voué aux gémonies car il pointait en 1932-1933 des contradictions réelles. »

Lesquelles ?

Doriot est réduit à son itinéraire personnel d’opposition à l’appareil du PCF… En fait il est porté par un courant à l’intérieur du mouvement communiste et dans la SFIO, plus généralement dans la classe ouvrière pour l’unité contre le fascisme. Un comité interrayon se constitue à Saint Denis regroupant les courants gauches du socialisme de Jean Zeromski et Marceau Pivert, les doriotistes et les trotskystes de La jeune Ligue communiste qui vient de se constituer. La prise du pouvoir par les nazis en 1933 et la marche des ligues d’extrême droite du 6 février 1934 marque le développement d’une crise profonde dans le mouvement ouvrier : Marcel Déat et ses affidés, dont Adrien Marquet le député maire de Bordeaux, engagent la lutte contre la direction de la SFIO au congrès de Paris de juillet 1933, soit six mois après la victoire de Hitler, sur l’orientation « ordre, autorité, nation ». Les néo-socialistes - rapppelons que Déat qui était pressenti comme le futur dauphin de Léon Blum - viennent de passer au fascisme. Ils finiront dans les wagons de la collaboration. Face à la nouvelle stratégie de l’internationale stalinienne, dite des front populaires, consistant à neutraliser l’évolution du PS sur la gauche, il s’agit pour le PCF et pour Staline de forcer à l’alliance avec le parti radical. Blum annonce la couleur face à la grève générale de juin 36 : « nous serons les gérants loyaux du capitalisme ». Des pans entiers du mouvement ouvrier, pas seulement les chefs, commencent une évolution qui va les conduire en 1940 chez Pétain.

                Revenons à la situation actuelle : pourquoi Mélenchon reprend aujourd’hui ces éléments de l’histoire de la gauche dans une situation dramatique qui était celle de la montée des fascismes ? Le titre de l’article de Numa Ducange est : « se prendre pour Léon Blum, le fantasme éculé de Mélenchon ». On peut lui reprocher beaucoup de choses, sauf le prendre pour un homme d’Etat – car c’est ce qu’il est  - qui réduirait une politique aux humeurs de sa personnalité. Il sait où il va et il est aujourd’hui dans une impasse politique, il cherche donc le moyen d’en sortir. Numa Ducange fait de la psychologie, Mélenchon de la politique.

                Déjà sur la continuité de Léon Blum, non, celle de François Mitterand, oui, et ce n’est pas de même nature. Nous sommes dans la Vème République bonapartiste, et non dans une république parlementaire. Parvenu au pouvoir ce dernier a bien vite oublié ses mises en cause des institutions du coup d’Etat permanent. En fait Mélenchon polémique de manière outrancière contre ses alliés de la NUPES, pour faire face à une situation, qui est en train de se retourner contre lui.

                Le « néo-socialisme », « il s’agit, écrit Ducange, d’une simple reprise d’un argument éculé venu directement des joutes internes des congrès PS. ». Donc pas sérieux, pour l’historien ! En 1933, un pan du PS passe au fascisme, cela n’a rien « d’une joute interne », en face il s’agit, pour ceux qui ont choisi de résister, de rassembler contre cette dérive, bien au-delà des frontières du Parti Socialiste, les courants, les militants qui veulent unir leurs forces et qui posent la question : comment vaincre le fascisme ?

Toutes proportions gardées – les panzers ne sont pas aux frontières en 2006 ! - Louis Mexandeau, ancien responsable de la commission Education du PS jusqu’en 1981, puis ministre des PTT des gouvernements Mauroy, met en cause les interventions sur « l’ordre juste » de Ségolène Royal, qui ne sont pas sans rappeler les positions de Déat. C’est la stricte vérité. Ce n’est pas une joute : l’électorat et beaucoup de militants PS vont plus à gauche que l’appareil. Mélenchon fera de même dans son livre « En quête de gauche », il est à l’époque sur une ligne d’infléchissement et de résistance contre les positions de Royal qui aboutiront à la défaite présidentielle que l’on sait. Ce sera ensuite pour lui PRS, association pour la République sociale au sein du PS puis la naissance du Parti de Gauche, formation éphémère dont il porte la responsabilité de sa destruction puis la naissance de France Insoumise. Il a essayé, il ne veut pas d’un parti !

Numa Ducange ne pose à aucun moment la question du passage au populisme. Partout en Europe, les mouvements populistes que ce soit en Grèce avec Syriza, en Espagne avec Podemos, en Italie avec Beppe Grillo, en Amérique latine avec Chavez, gagnant dans un premier temps le soutien populaire, deviennent des échecs retentissants en raison de leur soumission aux intérêts de leur capitalisme national. Toute la question est là ! Ajoutons à la liste aujourd’hui le mouvement Aufstehen de Sahra Wagenknecht en Allemagne qui reprend le positionnement de France Insoumise. Nous entendons par populisme, non l’analyse développé par les politologues ou sociologues bourgeois, destinée à nous enfumer, mais une orientation cohérente qui rejette le rôle de la classe ouvrière comme acteur central du combat pour l’émancipation sociale. C’est le contenu de la révolution dite citoyenne. Mélenchon a expliqué cela très clairement dans son livre « l’ère du peuple », au moment où il a délibérément cassé le Parti de Gauche et par voie de conséquence le Front de Gauche après la présidentielle de 2012. Il lui fallait se couler dans le personnage du Bonaparte de 2017, dans les plis du drapeau bleu-blanc-rouge et l’interdiction de l’Internationale pour les troupes. Et je ne pose même pas les positions actuelles des Insoumis sur les questions internationales, notamment sur la guerre d’Ukraine.

Il semble que dans l’extrême gauche française, c’est à dire dans cette frange militante qui a quitté les formations traditionnelles, j’inclus les organisations de la IVème Internationale, et qui est orpheline de parti, il y ait une perte de repère, une incapacité, et Numa Ducange en est un reflet idéologique, de poser la question : France Insoumise, c’est encore la gauche ou c’est déjà autre chose. La violence avec laquelle la voix des opposants dans FI est combattue pour entraver le droit des militants de contrôler leur propre mouvement, est une donnée essentielle. La force de Macron, en tant qu’il assume jusqu’au bout les institutions gaullistes, lui vient du cartel de forces – la NUPES - qui légitiment son pouvoir jusqu’à échéance de 2027. Au sein de ce cartel, Mélenchon détient la responsabilité centrale. Coller l’étiquette Doriot-Déat sur le PS et le PCF, c’est essayer de dédouaner FI.

Le populisme désarme ceux et celles qui veulent combattre l’extrême droite…

Notes :

(1)Doriot-Déat : Se prendre pour Léon Blum, le fantasme éculé de Mélenchon, par Jean Numa Ducange, Marianne du 29 septembre 2023.

(2)Nous avions consacré une étude précédente au livre consacré aux révolutions allemande (de 1918 à 1923) de l’auteur, dans lequel il minimisait, dans l’héritage de Rosa Luxembourg, complètement le rôle de Paul Lévi ainsi que l’impasse faite sur la poussée révolutionnaire de 1923.(La République ensanglantée, Armand Colin, 2022)

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