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Billet de blog 14 novembre 2025

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La libération de Boualem Sansal et la gauche française

Lorsque Boualem Sansal a été arrêté et mis en prison par le pouvoir algérien quelle a été l'attitude de la gauche française?

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La politique d’un parti ou d’un mouvement déclarant lutter pour l’émancipation sociale se juge d’abord sur la question de la défense des libertés démocratiques. Trump a déversé ses étrons récemment sur les manifestations de 7 millions d’américains, tandis que Poutine emprisonne ou tue ses opposants, vole les enfants ukrainiens… Comment peut-on prétendre mettre en cause le néo-libéralisme, alors que la montée en puissance des idéologies d’extrême droite s’installe à la tête des plus grandes puissances économiques mondiales, si on a des réticences à défendre les droits humains fondamentaux.

Rosa Luxembourg nous l’a appris : « la liberté c’est d’abord celle de celui qui pense autrement ». Georges Brassens dans un de ses dernières textes posthumes écrivait :

« Jouant les ingénus le père de Candide,

Le génial Voltaire, en substance écrivit

Qu’il souffrait volontiers – complaisance splendide –

Que l’on ne se conformât point à son avis :

« Vous proférez, Monsieur, des sottises énormes,

Mais jusqu’à la mort, je me battrai pour qu’on

Vous les laissât tenir. Attendez-moi sous l’orme ! » (1) 

Ce principe fondamental de la philosophie des Lumières inspira la génération de 1789. Il faut le rappeler avec force dans une période où le régime poutinien désigne la cible à détruire, la Révolution française et ses valeurs. Liberté absolue de pensée, donc droit d’écrire ou d’utiliser par toute autre forme artistique ce que l’on pense face au régime bonapartiste algérien, dérivant face aux pressions de l’islamisme radical, qui n’accepte pas la critique et la mise en cause de sa propre histoire. Toutes les révolutions du XXème siècle ont été trahies : quand le colonel Boumediene prend en main l’Algérie, commence une contre-révolution. 

Donc, l’écrivain Boualem Sansal a été libéré, suite à l’intervention du social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, actuel président de la République Fédérale d’Allemagne depuis 2017. Sa réaction humanitaire doit être comprise aussi par les liens de l’écrivain avec l’Allemagne : lors de la remise du Prix de la Paix des libraires allemands en sa faveur il a prononcé et édité en particulier son « Discours de Francfort ». Il disait dans sa présentation : 

« Dans un pays qui n’a connu que la dictature, celle des armes et de la religion, la seule idée qu’on peut avoir de la paix est la soumission, ou le suicide, ou l’émigration sans retour. L’absence de liberté est une douleur qui rend fou à la longue. Elle réduit l’homme à son ombre et ses rêves à ses cauchemars. Le peintre Giorgio De Chirico disait cette chose troublante : « Il y a plus d’énigmes dans l’ombre d’un homme qui marche au soleil que dans toutes les religions passées, présentes et futures. » C’est possible, et sans doute vrai, mais il n’y a que de la honte et rien de mystique dans la douleur chez l’homme qui se réduit à son ombre. Qui n’est pas libre ne respectera jamais l’autre, ni l’esclave car son malheur lui rappelle sa propre humiliation, ni celui qui est libre car son bonheur est une insulte pour lui. Seul le désir de liberté le sauvera de la haine et du ressentiment. Sans ce désir consciemment porté, nous ne sommes pas des humains, il n’y a rien de vrai en nous. » 

La demande de la grâce présidentielle a été formulée auprès de Abdelmadjid Tebboune, en raison de l’état de santé de son détenu. C’est un véritable soufflet pour la diplomatie française et Emmanuel Macron pris dans une stratégie d’affrontement avec le pouvoir algérien qui n’a rien à voir avec le combat pour le respect des droits de l’Homme. Au reste, le gouvernement français ne dit rien sur les 200 détenus d’opinion qui croupissent actuellement dans les prisons algériennes, en raison de leur appartenance au mouvement Hirak de contestation du pouvoir né en 2019. 

La gauche française aura-t-elle été à la hauteur des principes dont elle est l’héritière dans l’affaire Sansal. ? 

Dès le 26 novembre 2023 la direction du PCF réagit : 

« L’écrivain est connu pour sa liberté de pensée et de parole, contre le pouvoir algérien et l'intégrisme religieux. Son arrestation est une atteinte grave à la liberté d’expression et à la liberté de circulation d’un auteur dont on peut craindre qu’il ne paie aujourd’hui son opposition au régime en place en Algérie.

Boualem Sansal doit être libéré ! Un écrivain ne peut être enfermé pour délit d’opinion ! La France doit se mobiliser et intervenir auprès des autorités algériennes pour qu’il soit libéré. » (2) 

Puis le PS le 26 mars 2024 : 

« Après sa condamnation à 5 ans de prison, le Parti socialiste renouvelle sa demande de libération de notre compatriote Boualem Sansal.

Nous dénonçons cette atteinte inacceptable à la liberté d’expression. On n’emprisonne pas un écrivain pour ses idées !

Cette condamnation s’inscrit dans un contexte d’exacerbation des tensions entre Paris et Alger.  Le Parti socialiste déplore l’instrumentalisation de cette injustice manifeste par les gouvernements algérien et français autant que par l’extrême droite

Le Parti socialiste réitère sa demande d’une désescalade. Une diplomatie constructive entre nos deux pays doit se substituer à la surenchère publique qui conduit à une impasse dont les peuples français et algériens sont les victimes ultimes. »

C’est bien de faire des déclarations. Avant que la gauche ne gouverne dans notre pays, quand il y avait un problème de cette nature, on appelait à la mobilisation de rue et on marchait sur les ambassades. Mais enfin ces deux timides positions ont toutefois le mérite d’exister. 

Par contre à gauche il faut dénoncer un vilain petit canard. Nous n’oublierons pas les faits suivants. Le 23 janvier 2025 une résolution du Parlement européen votée par 533 voix demande la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré depuis novembre. La délégation de LFI a émis 4 votes contre et 2 abstentions. Rima Hassan a voté contre et Manon Aubry s’est abstenue. Raphaël Glucksmann, qui est intégré dans le groupe socialiste déclarait sur BFM-TV et RMC : 

« C’est une honte ! Franchement, s’abstenir ou voter contre un tel texte factuel où il n’y a rien d’idéologique, rien d’historique qui soit contestable, c’est simplement cautionner l’emprisonnement d’un immense écrivain dans des geôles et c’est profondément scandaleux » 

François Ruffin qui s’est éloigné des positions de Jean Luc Mélenchon exprimait son « désaccord complet… La place d’un écrivain n’est pas en prison, qu’on soit d’accord ou pas avec ce qu’il écrit. Evidemment qu’il faut tout faire pour la libération d’un écrivain », avait-il déclaré sur France Inter. 

Le 2 juillet le chef des Insoumis, lui si prompt à dénoncer sur l’heure les trahisons de la social-démocratie, fait volte-face et demande la libération de l’écrivain. Il a pris le temps de la réflexion, 7 mois. Comme quoi un début de campagne, mené essentiellement dans des instances officielles, a suffi cependant pour imposer un soupçon d’unité. C’est une leçon pour les échéances à venir. 

Notes:

(1) Texte posthume de Georges Brassens, Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons ! Poèmes et chansons de Georges Brassens, Editions musicales 57, 1987.

(2) https://www.pcf.fr/boualem_sansal

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