La France Insoumise, a-t-elle fait le choix de ne plus se définir comme l’héritière de la philosophie des Lumières ? Quelle est cette conception qui pousse Mélenchon et son mouvement à donner une estrade au rappeur Médine pour son université d’été ? Lequel est à juste titre accusé d’antisémitisme, nous soulignerons dans cet article l’attaque hystérique dans les textes du rappeur contre la laïcité. Cette question va souvent de pair avec des positions antisémites…
Situons le débat : les années 1981 et suivantes, ont vu la capitulation en rase campagne de la gauche historique lorsque Mitterand accède au pouvoir. S’ensuivra l’autoliquidation du CNAL (Comité National d’Action Laïque) suivi en 1990 de l’éclatement de la FEN (Fédération de l’Education Nationale). Tout ce qui était en mesure de résister au néo-libéralisme dans le domaine de l’éducation, et d’une façon générale des rapports des religions à l’Etat sous la Vème République, a laissé la porte ouverte pour des révisions totalement réactionnaires. Laissons Médine et son salmigondis idéologique de démagogue pour l’instant et citons par exemple l’œuvre de l’un de ces théoriciens de la déconstruction de la laïcité.
L’anthropologue Talal Asad, auquel les universités américaines ont ouvert largement leurs portes, explique que l’islam est incompatible avec ce que les pays colonisateurs leur ont imposé, à savoir une séparation du domaine de la religion qui doit être rendu à l’initiative privée et le domaine de la vie publique. Loin d’être un acquis de civilisation, la laïcité dans la tradition républicaine et ouvrière de la France, devient une couverture du colonialisme et du racisme d’Etat. Pour Asad les musulmans doivent la rejeter.
Pour Asad la société politique ne peut avoir aucune autonomie au regard de la religion musulmane. On arrive à une négation d’un mouvement de « sécularisation » des Etats qui a mis depuis la fin du Moyen Age plusieurs siècles à mettre à distance, puis à se séparer des religions, et encore pas partout et dans des histoires nationales différentes. En fait la position d’Asad est très exactement le pendant de la théorie du choc des civilisations d’Huttington et de l’extrême droite américaine.
Après les attaques terroristes de 1997, les théories d’Huttington avaient fait l’objet de réactions saine dans la gauche française : lorsque Mélenchon préparait la rupture avec le PS et développait le courant PRS (Pour la République Sociale), puis l’épisode PG, sa ligne était de condamner Huttington tout comme le repli communautariste qui n’est que l’envers de la médaille. C’était un point de vue qui restait ancré dans la défense de la laïcité.
Lorsque Karl Marx reçoit les conseillers consistoriaux de sa région qui défendent les intérêts de leur communauté et qui ont à faire face à des attaques antisémites, il défend qu’un peuple ou une fraction de peuple opprimé, en raison de ses pratiques religieuses, ne peut être libéré de cette oppression que si l’Etat lui-même est sécularisé. Le programme du mouvement ouvrier naissant intègre pleinement cette question, les états démocratiques bourgeois doivent se dépouiller de leurs « oripeaux chrétien » (1). Marx explique que la revendication de la « sécularisation », dans la tradition allemande, ou laïque dans la nôtre, appartient au programme du libéralisme bourgeois alors progressiste. Dès lors où, après la vague des révolutions de 1848, les différentes bourgeoisies commencent à reculer devant l’application des mesures libérales, il appartient au mouvement ouvrier d’en reprendre l’exigence. Jules Ferry d’ailleurs, s’il applique le principe de laïcité sur le territoire national, en tant que partisan acharné de l’extension de l’empire colonial, il s’en remet aux frères ignares des écoles chrétiennes pour les populations autochtones. C’est ainsi que la Commune de Paris de 1871, qui surprend d’ailleurs Marx lui-même, laïcise d’emblée les écoles, rejette l’enseignement des congrégations et pose les bases de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le mouvement ouvrier s’est alors situé comme l’héritier légitime de la philosophie des Lumières. Militants du mouvement ouvrier, comme démocrates radicalisés pour la République sociale, nous rejetons l’enfermement de l’individu dans sa communauté d’origine, musulmane ou autre. L’émancipation sociale va de pair avec la liberté absolue de conscience.
Venons-en à Médine : ce n’est pas seulement une estrade qui est proposée au rappeur. La presse souligne : à Valence, l’artiste doit échanger le 26 août avec la cheffe de file des Insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, sur des sujets tels que les rapports entre le militantisme et la musique, l’engagement contre la réforme des retraites, ou encore le combat contre l’extrême droite. Les responsables de La France Insoumise le confirment à l’AFP, et Le Figaro reprend l’information. Alors que même le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, désavoue, et que des voix s’élèvent dans le courant écologiste, celle de Noël Mamère par exemple, Mélenchon persiste et signe sur les ondes dans sa défense de Médine.
En janvier 2015, notre pays est ensanglanté par les attaques terroristes, dont en particulier les meurtres commis à Charlie Hebdo et à l’hypercacher de la porte de Vincennes. Médine commet un texte « Paroles » dans lequel on relèvera ce retour à l’obscurantisme le plus crasseux, tout à fait dans la ligne de l’anthropologue proislamiste Talal Asad :
« Dieu est mort selon Nietzsche
"Nietzsche est mort" signé Dieu
On parlera laïcité ente l'Aïd et la Saint-Matthieu
Nous sommes les gens du Livre »
D’emblée rejet de tout ce qui dans la pensée existentielle moderne est mise à distance de la religion, à travers la notion de la mort du Dieu qui émerge chez Nietzsche… Unité des cléricatures, chrétienne et musulmane contre la laïcité !
«…Crucifions les laïcards comme à Golgotha
Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn… »
« …Ils n'ont ni Dieu ni maître à part Maître Kanter
Je scie l'arbre de leur laïcité avant qu'on le mette en terre… »
« … On ferme les portes de l'éducation
"Ah bon? Pardon patron, moi y'a bon"
Vas-y Youss', balance le billet
J'mets des fatwas sur la tête des cons
Religion pour les francs-maçons, catéchisme pour les athées
La laïcité n'est plus qu'une ombre entre l'éclairé et l'illuminé
Nous sommes épouvantail de la République
Les élites sont les prosélytes des propagandistes ultra laïcs
Je me suffis d'Allah, pas besoin qu'on me laïcise… »
Et d’ajouter encore :
«…Si j'te flingue dans mes rêves j'te demande pardon en me réveillant
En me référant toujours dans le Saint-Coran… »
Et dans un autre texte intitulé Jihad :
« Étudier reste la seule solution
Pour les blancs, les noirs, les gens issus de l'immigration
Ma richesse est culturelle, mon combat est éternel
C'est celui de l'intérieur contre mon mauvais moi-même
Mais pour le moment les temps resteront durs
Et pour le dire une centaine de mesures, Jihad »
La perspective du Jihad (la guerre sainte contre la civilisation dite matérialiste) mais, dit-il, par les moyens démocratiques… quel est le modèle social de Médine, le retour au Califat ?
La France Insoumise est traversée aujourd’hui par un fort mouvement de contestation réclamant une pratique démocratique en son sein contenu dans l’appel des 400 publié récemment. On peut demander à ceux et celles qui la composent, comment ils entendent résister à cette dérive ? Après Ségolène Royal et Médine ! C’est quoi la prochaine : une conférence de l’Institut La Boétie sur Marcel Déat et Jacques Doriot !
Notes :
(1)La formule est de Marx dans « la Question juive »