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Billet de blog 20 octobre 2023

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Riposte « laïque », Pierre Cassen du souverainisme au… fascisme

Le reniement de la gauche historique lors de son accession au pouvoir dès 1981 a ouvert une situation de récupération d'une valeur centrale de l'identité républicaine et socialiste par la droite puis l'extrême droite. La question n'est plus le combat contre les institutions de la Vème République mais contre les envahisseurs musulmans.

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Riposte laïque, associations aujourd’hui en concordance avec l’extrême droite, le Front National et les réseaux d’Eric Zemmour, anime une revue et un site sur le web qui compte des milliers de lecteurs. Ce n’est pas une question à négliger. Il ne suffit pas, comme ce message d’une militante enseignante France Insoumise de l’Isère qui m’est parvenu, dire toute la répugnance que l’article du 16 octobre lui a fait éprouver, face à cette dérive vers le fascisme au nom de valeurs qui sont considérées par les milieux populaires comme celles de la gauche. Riposte laïque en vient à défendre à la fois la politique de Netanyahou contre les droits nationaux du peuple palestinien et celle de Poutine contre ceux du peuple ukrainien au nom d’une croisade « laïque » contre le bloc islamique. Et en France, c’est l’appel aux « sections d’assaut »(1), parallèlement aux forces de police, pour écraser l’infâme.

Revenons un peu à l’origine politique d’une dérive : la gauche historique parvenue au pouvoir en mai 1981 se coule d’emblée dans les institutions de la Vème République. François Mitterand charge Alain Savary du dossier des rapports de l’Etat gaulliste avec l’Eglise catholique pour régler la question du dualisme scolaire, qui s’applique avec les lois Debré-Guermeur de financement des écoles privées, catholiques à 90% depuis 1959. Il ne s’agit pas d’abolir les institutions du coup d’Etat permanent mais de les continuer : dans le domaine scolaire la gauche remet en selle un concordat qui ne dit pas son nom en continuant l’accord entre le trône monarchiste et l’autel. Les lois antilaiques seront aggravées. Crise politique qui aboutit, du fait du renoncement au mandat laïque, à jeter les « deux France », l’une contre l’autre dans la rue. Il en sort une défaite historique du mouvement laïque qui, en France, était puissant.

Les conséquences dans la représentation politique après 1984 de la gauche classique, mais aussi dans les associations qui organisent le mouvement laïque, vont être profondes. La perte des repères des valeurs qui faisaient l’ADN des citoyens se réclamant de la gauche ouvrira une brèche dans laquelles la droite, puis l’extrême droite s’engageront.

1989 marque un tournant : l’affaire des trois jeunes filles portant un foulard, soutenues par une association islamique, devient une affaire nationale et divise sur les tenants de la laïcité. Le proviseur du collège qui fera monter la température au lieu de régler les choses calmement sur le plan local, on le retrouvera quelques mois plus tard candidat du RPR dans sa circonscription. La droite dite « républicaine » utilise la question laïque pour diviser la gauche. Chevènement, à la faveur de son désaccord de type nationaliste sur le traité de Maastricht et de la guerre du golfe, se prononce pour l’union des républicains des deux rives avec Philippe Séguin et Charles Pasqua, le cœur du gaullisme.

A partir du moment où ceux qui sont à la tête du mouvement laïque (les syndicats, la FEN surtout, les associations dans le rayonnement du syndicalisme enseignant et de la fonction publique) ont été poussés pour se rendre à Canossa, c’est-à-dire à se soumettre à l’Elysée, il ne s’agit plus de défendre les conquêtes laïques, d’abroger les lois antilaïques et d’exiger d’appliquer réellement le régime de séparation de 1905. Pour le faire il faudrait changer de république ! Dans la représentation officielle de la gauche, personne ne veut y penser. Mitterand règne : il participe même es-qualité de chef de l’Etat au millénaire des capétiens. Il faut trouver une diversion, un nouveau bouc émissaire que l’on attaque au nom de la laïcité : le regard va se tourner désormais contre les citoyens de culture musulmane, pour l’essentiel fraction la plus exploitée du prolétariat. Ce sont eux qui remettent en cause concrètement la laïcité et non les régimes de la Vème République, alors que ceux-ci permettent justement de nouvelles guerres de religion. Toute une composante de la gauche historique va marcher dans cette union des laïques, même s’ils n’appartiennent pas à la même « rive ». Je pense à des secteurs de la franc maçonnerie, le réseau Bernard Teper, qui constitue l’organisation Initiative Républicaine en 1993. Puis le réseau de l’UFAL et de Gauche Républicaine. Ajoutons l’évolution du courant lambertiste qui dès 1985 avait tourné par rapport à l’héritage du trotskysme, à partir de la constitution du Mouvement pour un Parti des Travailleurs (MPPT), sur la ligne de la défense de la république, une, laïque et indivisible. Les « deux rives » aussi ?

A partir du moment où la gauche abandonne la bataille sur les principes démocratiques et laïques, du pont de vue du mouvement ouvrier, on ouvre la boite de pandore. Loin de moi de voir dans ces évolutions que je récuse comme laïque et internationaliste quelque chose qui conduirait mécaniquement vers Riposte laïque. Mais le cadre qui a été posé à partir du reniement permet les dérives.

Ainsi Pierre Cassen, le fondateur de Riposte Laïque, est un prototype de cette évolution désastreuse. Il est issu du mouvement ouvrier, militant de la CGT, puis du PCF. Il rompt pour adhérer à la LCR et milite dans les milieux laïques, la Libre Pensée, puis l’UFAL (Union des Familles Laïques) et le réseau Respublica, dont Bernard Teper est un des principaux animateurs. Au sein du journal Respublica il se radicalise, il va plus loin déjà qu’une orientation de type souverainiste qui est la ligne du journal : il ne veut pas "de gauchistes antirépublicains, anti-flics et pour la régularisation de tous les sans-papiers".(2) C’est alors qu’il fonde en 2007 son association sur une ligne qui fait penser à la dérive réactionnaire qui fut celle de Jacques Doriot.

En 2010, il écrira :

«[Je suis]convaincu que les alliances traditionnelles vont exploser. Le vrai clivage c’est la défense de la République face à ceux qui, dans une idéologie mondialiste, veulent faire péter la France. »

La République ? Laquelle ? Jamais Cassen ne met en cause la Vème République. Comme Marine Le Pen qui dans une polémique avec Mélenchon disait : moi la Vème République me va !

Riposte laïque c’est la reprise en 2007 des positions de l’extrême droite américaine, théorisées en 1997 par le livre de Samuel Huttington « le choc des civilisations ». Il n’y a plus le rapport antagonique des classes, qui fonde le développement de l’histoire humaine : le prolétariat étant la seule force capable de réaliser le programme démocratique dont la bourgeoisie ne veut plus. Non, l’heure est à la lutte à mort entre la civilisation occidentale et la civilisation islamique, décrite comme humiliée et réticente, aujourd’hui hostile au modèle démocratique et laïque. Citons :

« L’islam est le fer de lance et outil de la mondialisation pour casser les solidarités sociales et la République laïque. C’est l’outil anti-social du capitalisme. Aujourd’hui, le danger essentiel c’est l’islam. C’est-à dire un projet politico-religieux hégémonique qui ne peut s’accomplir que dans un esprit de conquête.»(3)

Je veux bien que l’on soit choqués par ces dérives, mais de grâce posons la question dans toute sa dimension. Un exemple pour conclure à propos du message de la camarade Marie de l’Isère : en 1989 la seule force politique à gauche qui dénonce l’imposture des foulards de Creil, c’est la gauche socialiste de Mélenchon-Dray qui vient de se constituer. De PRS (Pour la République Sociale) en 1994 et la naissance du Parti de Gauche (PG) les positions défendues sont dans l’héritage laïque de la gauche, ainsi que la condamnation qui suivra des positions du « choc des civilisations. Nous n’en sommes plus là avec les positions actuelles de France Insoumise : les amis de Mélenchon aujourd’hui se nomment Ségolène Royal et Médine. Sur la laïcité, sur le silence religieux depuis 600 jours de FI sur la légitimité de la résistance ukrainienne, et sur la caractérisation du Hamas aujourd’hui, c’est la question de la représentation de notre classe qu’il faut reposer. Riposte laïque, oui bien sûr, c’est répugnant. Mais quand la gauche renie les siens, les monstres sortent du bois. Souvenons-nous de ce qu’écrivait Antonio Gramsci :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent des monstres. »

Notes :

(1)Le terme de « sections d’assaut » renvoie aux milices parallèles aux forces de police constituées par le fasciste Röhm pour affronter les organisations du mouvement ouvrier allemand lors de la montée au pouvoir d’Hitler. Les partisans de Röhm étaient eux aussi « anticapitalistes »

(2)Extrait des archives du monde de 2010 : https://www.lemonde.fr/politique/article/2010/09/05/ce-qu-est-vraiment-riposte-laique_5976952_823448.htmlArticle du Monde 2010

(3)Ibidem, Le Monde, 2010.

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