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Billet de blog 21 novembre 2025

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Notes sur l’entrée en campagne de Jean Luc Mélenchon

Jean Luc Mélenchon multiplie les réunions, il entre en campagne électorale pour 2027. On notera en particulier un dialogue particulièrement complice et exquis avec Alain Duhamel, chroniqueur historique de la Vème République.

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Jean Luc Mélenchon entre en campagne électorale dans la perspective de l’élection présidentielle, que celle-ci ait lieu à échéance, c’est-à-dire en mai 2027, ou que le régime de Macron, pas seulement le fusible Lecornu, s’effondre avant. Le chef de FI a sans doute des informations que nous n’avons pas sur cette possibilité, d’où, hypothèse que nous avançons, qu’il prend les devants.

  1. Réunion au siège du POI, le 9 novembre (1)

On peut différencier deux types d’interventions de sa part. Il commence par la réunion tenue au siège du POI sur « le moment politique » avec son premier cercle militant. On se souvent que le développement des aspirations démocratiques dans le fonctionnement interne de France Insoumise avait conduit Mélenchon à se séparer brutalement d’une partie de sa direction historique, le groupe de députés autour d’Alexis Corbières et Clémentine Autain qui devait entrainer l’émergence du mouvement l’Après. Le POI lambertiste devait servir dans cette opération de police politique.

En faisant du PS le bouc émissaire qui a permis l’éclatement du NFP, FI défend devant ses militants que toute reconstitution d’un Front de la gauche dans les élections municipales puis présidentielles serait une impasse. La publication vidéo qui a été faite à l’issue de cette réunion a fait l’objet d’une coupure pour le moins significative stratégiquement : il y clouait au pilori le « traître Hollande ». Le mandat présidentiel de ce dernier a pour le moins laissé de mauvais souvenirs dans l’électorat du PS et de la gauche en général. Cette partie de la vidéo a été purement et simplement coupée. Mélenchon prend de front le PS en tant que tel et met tout le monde dans le même sac, alors qu’Olivier Faure est apparu dans la période NFP comme la gauche du PS contre l’héritage du hollandisme. Donc aucune fenêtre possible ne doit être ouverte pour l’Unité : c’est justifié par l’impossibilité au stade actuel du néo-libéralisme d’un réformisme de type social-démocrate. D’ailleurs, dit-il, partout dans la séquence historique qui s’achève, ce qui reste de la IIème Internationale ouvrière entre dans des combinaisons politiques avec la droite. Mélenchon exprime là une faiblesse de sa propre position face à ses militants : la logique du NFP, appuyée sur une mobilisation forte du prolétariat en juin juillet 2024, permettait d’entrainer le PS plus loin et l’associait au front commun.

  1. La deuxième réunion, c’est un meeting le 16 novembre à Saint Pierre des Corps (2).

Sur les questions internationales l’orateur intervient sur le génocide du peuple palestinien : « les malheureux … qui continuent d’être bombardés jours et nuits » dit-il. Et les malheureux ukrainiens qui subissent les mêmes choses jours et nuits, il ne connait pas… récemment il affirmait que Zélensky entrainait son peuple dans une impasse et il réclamait sa destitution. Rien de changé dans ses positions internationales propoutiniennes.

Sur la situation française, la stratégie précédente c’était la recomposition unitaire de la gauche. Par la méthode du front commun dit-il, on pensait avoir trouvé la méthode : chaque formation retrouvait une représentation dans le cadre d’un programme minimum pour gouverner. Tout repart à la division, dont il attribue la responsabilité aux autres, principalement au PS.

S’inspirant de la victoire de Mandani à New York, il affirme qu’il est possible de gagner contre tout le monde, sur une ligne de rupture. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la candidature de Louis Boyard à Villeneuve Saint Georges en 2024 contre tout accord à gauche, sur des questions locales sur lesquelles il était possible de défendre des positions communes, aura été un échec. Elle était un test national de la direction nationale de FI pour prendre des mairies de grandes villes comme Grenoble, Lille ou Lyon dans la perspective de la présidentielle. La réalité dans les communes à l’étape actuelle c’est l’éclatement de la représentation à gauche, générée par FI. A Perpignan ce sont trois listes différentes à gauche contre les néo-fascistes du RN.

  1. La discussion sur BFMTV avec Alain Duhamel (3)

Que signifie parler des problèmes de fond sur la crise économique, politique et morale que traverse le pays avec Alain Duhamel ? Chroniqueur, éditorialiste spécialisé dans l’histoire de la Vème République et des crises qui l’ont traversé, il a toujours pris le parti de la stabilité des institutions de 1958. Les militants de ma génération peuvent se souvenir qu’entre 1978 et 1981, alors qu’il était question de réaliser l’unité pour virer Giscard D’Estaing, Alain Duhamel avait pris le parti de Rocard contre Mitterand. Pour lui, les deux crises sérieuses que la Vème République a rencontré en 1961 avec la guerre d’Algérie et en mai 1968 ont pu être surmontées, il y avait un homme d’exception, le général De Gaulle. C’était 15 ans après la guerre et le rôle qu’il y avait joué contre le fascisme. Là dans des conditions radicalement différentes, nous sommes en face « d’un dysfonctionnement total ». De plus Macron par sa témérité, en procédant à la dissolution de la chambre n’a fait qu’approfondir cette crise. Ce qui hante la pensée d’Alain Duhamel, ce vieux conseiller politique lucide de la bourgeoisie, c’est qui va sauver la baraque : il pose la question de l’émergence d’une personnalité d’exception, appuyée sur une force politique pour régler à la fois la crise de la gauche et de la droite, en évitant l’écueil de l’extrême droite. C’est l’idée du père de la Nation qui dépasse les conflits de parti et qui arbitre le rapport Capital-Travail ! C’est la défense du bonapartisme !

On ne peut que conseiller de regarder cette vidéo. Il y a une vieille illusion que draine l’extrême gauche française sur Mélenchon : il serait un réformiste un peu plus radicalisé que les autres. Il suffirait donc de s’appuyer sur lui et de pousser plus à gauche. Est-ce que Mélenchon tourne en ce sens dans la situation ? Je pense que non.

Tout d’abord, l’échange entre les deux hommes est d’une sérénité et d’une courtoisie exquise, au passage la journaliste se fera poliment envoyer promener alors qu’elle cherchait à susciter la polémique à propos du « Mélenchon infréquentable ». Les deux protagonistes commencent par se féliciter pour l’esprit d’unité nationale qui a régné lors de la cérémonie d’hommage aux victimes du 13 novembre 2015. « Il n’y a pas l’ombre d’une division entre nous… C’est quelque chose qu’il faut qu’on protège… », dira Mélenchon.

Va suivre une partie de « passe moi le sel, je te passerai le poivre ! »

Pour Duhamel l’unité réalisée « entre les deux gauches » s’est faite sur les positions de Mélenchon, alors que la gauche dite « réformiste » (PS, Verts, PCF) s’y est provisoirement ralliée pour sauver et gagner des positions dans les législatives. Passé cet épisode la division est revenue. Mélenchon approuve le diagnostic de Duhamel. Il ajoute : nous voulions reconstruire une grande force de gauche, pour la première fois de l’histoire nous passons devant la social-démocratie et nous imposons des candidatures communes. Les autres nous quittent. Donc aujourd’hui nous en tirons les leçons. Il faut une autre stratégie. C’est le refus de tout front commun, l’unité de la base au sommet sur un programme d’urgence sociale…

Après différents échanges sur les retraites, sur le modèle de notre sécurité sociale, sur la natalité, Duhamel dit reconnaitre que la politique de Mélenchon a sa cohérence, même s’il est en désaccord avec le modèle de société proposé. Nous sommes à quelques mois du débat où se prendront les orientations. Duhamel pose les questions : est-ce que d’ici le 1er tour des élections présidentielles, y aura-t-il une candidature unique de la gauche ? Cela n’en prend pas le chemin. Comme il ne fait aucun doute que le candidat FI sera en tête de la gauche, le report républicain sera-t-il possible au second tour ? Dans le meilleur des cas il faudra un front républicain contre le RN. Par ailleurs, affronter une élection présidentielle, nécessite un charisme que Mélenchon possède malgré le poids de l’âge. Y aura-t-il d’ici mai 2027 l’émergence d’une personnalité politique possédant ces qualités, cela lui semble improbable. Tout cela sous l’œil goguenard de Mélenchon. Entouré de crises internationales (Duhamel est le seul à faire allusion à l’Ukraine !), économiques et morales, nous entrons dans une situation de chaos. Dans l’histoire c’est la gauche « réformiste » qui a su gagner les conquêtes sociales, Duhamel conclut en disant que Mélenchon est le premier à avoir inversé le rapport au profit de la gauche de rupture.

En conclusion je dirais qu’il y a pour l’un et l’autre la nécessité du recours à la stabilité que, malgré tout, la Vème République permettrait, alors que l’histoire sociale depuis 1958 n’est faite que d’affrontements avec les forces du travail ; les aspirations ont pu être jugulées par les institutions et par la politique des partis ouvriers qui en respectaient le cadre. Mélenchon est sur une ligne gaullienne contre la République des partis. Le parti, disait-il dans un interview précédent, c’est la classe. Le mouvement c’est le rapport direct du peuple au guide…

Le discours radical, effectivement c’est un organisateur et un orateur de talent, qualités qui hélas ne sont pas au service du socialisme. Dans sa forme oratoire la politique de Mélenchon me fait penser à la phrase de ce personnage du film de Visconti Le Guépard face aux émeutes de 1848 en Italie : « Il faut que tout change pour que rien ne change ! » Cela ne l’empêche pas de tresser des lauriers au Charles de Gaulle de la fin de la guerre d’Algérie, en justifiant la nécessité dans la montée de la guerre civile d’un régime autoritaire.

Méditons cet extrait d’interview de Charlotte Girard, qui a été un membre fondateur de PRS (Pour la République Sociale), puis sa responsable de campagne dans la période du Front de Gauche :

« En réalité, je ne suis pas sûre qu’il arrive à penser en dehors de la Vème République. Je pense qu’il n’a jamais cru à la VIème République, c’est un vrai homme de la Vème, il en connait tous les recoins, tous les personnages, il sait en jouer. Il adore les ors de la République, il a toujours adoré cela. Il n’est pas dans une configuration intellectuelle qui rende possible une vraie sortie du système. En théorie oui, mais en pratique, non. »

Notes :

1)Le moment politique, 9 novembre : https://www.youtube.com/watch?v=r0H4V7of6Bo

2)Meeting à Saint Pierre des Corps, 16 novembre : https://www.youtube.com/watch?v=JqCNpXXTDhI&t=6582s

4)Duhamel-Mélenchon, vendredi 14 novembre : https://www.youtube.com/watch?v=fho6z70rBOQ

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