En novembre 2022, dans ce même blog, je publiais un article, sous quasiment le même titre, dans l'espoir qu'il susciterait quelques réactions. Nous étions alors deux mois après l’assassinat de Mahsa Amini et du soulèvement des femmes et de la jeunesse en Iran, quand « les adolescentes iraniennes voulaient « que le monde regarde leur combat » comme le soulignait ici-même Jean-Pierre Perrin.
10 mois après mon constat, à l’occasion de cet anniversaire, il n’est pas inutile de connaître les suites. Autant dire qu’il n’y a quasiment rien de nouveau, d’où mon rajout de « long » au titre initial pour qualifier ce silence. A ma connaissance, après avoir revu les sites et twitter des différentes organisations, jusqu’à aujourd’hui, seule l’UNEF a publié sur son compte twitter un long communiqué le 10 décembre 2022. C’était il y a 9 mois. Depuis, de longs mois de répression, les empoisonnements, arrestations, morts se sont accumulés. Le mouvement syndical français n’est pourtant pas resté inactif, il y a eu des initiatives intersyndicales (un meeting en décembre à la Bourse du travail, une manifestation à Paris le 8 février 2023 ) mais les seules signatures étaient celles des confédérations et unions de salariés. Au même moment, les syndicats étudiants et lycéens siégeaient aux côtés de ces confédérations dans l’intersyndicale contre le projet de réforme des retraites, preuve que l’intersyndicalisme est possible sur des thèmes communs. La mobilisation en Iran est "un mouvement qui vient de loin", mais ne nous est finalement pas si étranger que cela. Étudiantes, étudiants, personnels des universités iraniennes ont besoin de solidarité internationale : prises de position communes, manifestations, rassemblements. Mahsa Amini était une jeune femme, étudiante, Kurde... Quoi de plus « intersectionnel » que ces mobilisations en Iran où s’entremêlent la parole des femmes, droits des minorités nationales, aspirations de la jeunesse, volonté d'émancipation, revendications universitaires, libertés syndicales, questions démocratiques, politiques ? Peut-on regarder ailleurs quand, le 29 août, le président iranien Ebrahim Raïssi déclare à la télévision nationale « Si quelques individus ont l’intention d’enfreindre la loi, c’est à l’université elle-même de ne pas le permettre (…) Aujourd’hui, il y a ceux qui cherchent à entrer à l’université avec l’intention de violer la loi, de troubler l’ordre. Eh bien, les universités fonctionnent dans un cadre (…) Sans aucun doute, en ce qui concerne les universités, il faut souligner constamment l’importance du respect de la loi et du respect de la discipline. » Ce discours éclaire ce qui se déroule depuis plusieurs mois à l’université : licenciements de professeurs, arrestations, expulsions d’étudiants; l’intimidation s’accompagne d’autres mesures répressives et sécuritaires au sein des universités depuis la rentrée et surtout de l’anniversaire du soulèvement de 2022. Visiblement, le régime est inquiet du potentiel de soulèvement existant dans les universités. Dans un document confidentiel en date du 10 janvier 2023, récemment dévoilé, apparaît l’objectif de placer au sein des universités, comme enseignants, des membres des pasdarans et de la milice.
Entre les murs de nos établissements universitaires et scolaires, la rentrée se fait sans que l’on ne s’y intéresse et surtout que personne ne pousse à s'y intéresser (que font les avant-gardes?). Il y a pourtant des préoccupations internationales qui retiennent l’intérêt des organisations de jeunesse : le climat par exemple. Il y eut aussi la solidarité avec les femmes états-uniennes quand la Cour suprême des USA remit en cause le droit à l’avortement. On vit alors communiqués et rassemblements de solidarité en France. Les femmes iraniennes confrontées à la politique nataliste de leur État ne méritent-elles pas les mêmes égards et attentions ?
L'Université est une« Plaque sensible de la société », ce silence étudiant est-il le révélateur d’une indifférence plus globale de la société, et plus particulièrement de la gauche, à l’égard de ce qui est hors de nos frontières nationales ? Regardons du côté de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, ou même la répression qui frappe en Russie, particulièrement l’Université avec son cortège d’exclusions d’étudiants, d’amendes, de licenciements d’enseignants, de dissolutions d’organisations.
Dire que le prochain Festival mondial de la jeunesse et des étudiants se tiendra en Russie, à Sotchi, et qu’il sera ouvert par un "grand ami de l'Iran", Vladimir Poutine !