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Billet de blog 17 mars 2023

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Un texte adopté et promulgué peut être retiré. La preuve par le CPE

Un texte adopté et promulgué peut être retiré. La preuve par l’article 8 (CPE) de la loi LEC de 2006. C’est une question de contexte certes, mais ce précédent prouve que les possibles demeurent, même après l’adoption d’une loi.

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Un texte adopté et promulgué peut être retiré. La preuve par l’article 8 (CPE) de la loi LEC de 2006

C’est une question de contexte certes, mais ce précédent prouve que les possibles demeurent, même après l’adoption d’une loi.

Si on se souvient que la mobilisation contre le CPE (contrat première embauche)[1] avait débouché sur la satisfaction de cette revendication, on oublie souvent qu’il ne s’agissait plus, au moment du recul gouvernemental, du RETRAIT D’UN PROJET, mais d’une ABROGATION de texte adopté par remplacement.

En effet, sous la pression de la grève étudiante et des manifestations intersyndicales, le mouvement social a pu transformer les rivalités au sein de la majorité en véritable crise politique en son sein, aboutissant à l’échec gouvernemental.

Rappelons-nous : le 16 janvier 2006 le Premier ministre de Villepin annonce la proposition du CPE comme article au sein de la LEC (Loi égalité des chances), qui est discutée en urgence à l’Assemblée nationale. Malgré les protestations et les premières manifestations, le CPE est adopté le 9 février, et la LEC le 11 mars (avec le 49-3). Le 27 février, le Sénat commence la lecture, et adopte la LEC (dont le CPE) le 6 mars, et le 9 mars c’est adopté définitivement par l’Assemblée. Le 12 mars, inflexible, le Premier ministre explique vouloir aller vite dans l’application.

L’opposition saisit le Conseil constitutionnel, ce dernier valide la loi le 30 mars, et la loi, dont le CPE, est promulguée au Journal officiel.

Mais le président Chirac lors d’une allocution télévisée le 31 mars, (ce n’était pas un poisson d’avril), demande au même moment aux employeurs de ne pas signer de CPE et annonce la préparation d’un nouveau texte. Du point de vue du droit constitutionnel, c’était une application assez originale : je promulgue une loi, mais je demande à ce qu’elle ne soit pas appliquée ![2] malgré les articles 432-1 et 432-2 du code pénal qui punissent d’amende et de prison (5 ans) toute personne dépositaire de l’autorité publique qui dans l’exercice de ses fonctions fait échec à l’application de la loi.

Le 12 avril, c’est la fin du CPE. L’article du texte promulgué une dizaine de jours plus tot est abrogé par le parlement.

Quant au CNE (Contrat nouvelle embauche) autre article de la LEC, il ne sera pas appliqué jusqu’à ce que les recours syndicaux devant les juridictions de l’UE déclarent ses dispositions contraires au droit social européen. Abrogation judiciaire en quelque sorte.

Rappel de quelques éléments de la chronologie, issue de la chronologie complète du livre de Paolo Stuppia, 2006, une victoire étudiante ?[3]

JANVIER 2006

11 janvier : Le projet de la LEC – qui n’inclut alors pas encore le contrat première embauche (CPE) – est présenté au conseil des ministres.

16 janvier : De Villepin annonce la création du CPE, sous forme d’amendement à la LEC.

24 janvier : De Villepin déclare l’« urgence » concernant le CPE.

31 janvier : Début de l’examen en urgence à l’Assemblée de la LEC. Premières manifestations dans une centaine de villes ; à l’issue du cortège parisien, rencontre entre le collectif Stop-CPE et l’intersyndicale nationale : appel à une première journée d’action unitaire le 7 février.

FÉVRIER 2006

7 février : Première journée d’action nationale contre le CPE : entre 218 700 (police) et 400 000 participants (organisateurs) en France. L’AG de Rennes II vote la grève et le blocage des locaux.

8 février : L’intersyndicale propose une journée d’action interprofessionnelle le 7 mars ; le collectif s’y joint et appelle à une journée d’action jeunes auparavant, le 23 février.

9 février : Adoption de l’amendement portant création du CPE par l’Assemblée nationale.

11 février : Adoption de la LEC à l’Assemblée nationale par l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution.

21 février : L’Assemblée nationale repousse la motion de censure de l’opposition contre la politique sociale du gouvernement et le recours à l’article 49-3. L’AG de Paris 10-Nanterre vote la grève et le blocage.

23 février : Journée d’action jeunes, réunissant quelques dizaines de milliers de manifestants sur l’ensemble du territoire. L’AG de Jussieu vote la grève et le blocage, celle de Paris 1-Tolbiac l’occupation des locaux. Autodissolution du collectif Stop-CPE.

27 février Début d’examen de la LEC au Sénat.

MARS 2006

6 mars : Adoption de la LEC par le Sénat après 90 heures de débat. L’AG de la Sorbonne vote la grève, le blocage et l’occupation pour le lendemain.

7 mars : Deuxième journée d’action nationale contre le CPE : entre 396 000 et un million de manifestants en France.

9 mars : La LEC est définitivement adoptée par le Parlement : de Villepin annonce que le CPE sera appliqué dans les semaines qui viennent. L’intersyndicale appelle à se joindre à la journée d’action jeunes du 16 mars et à une mobilisation inteprofessionnelle le 18

12 mars : Sur TF1, de Villepin exclut de retirer le CPE et propose de le « compléter » par des « garanties nouvelles » à négocier avec les partenaires sociaux.

16 mars : Journée d’action jeunes contre le CPE : entre 241 000 et 500 000 participants dans toute la France.

17 mars : Selon un sondage, 68 % des Français se disent favorables au retrait du CPE ; Chirac souhaite que le dialogue s’ouvre « au plus vite » entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

18 mars : Troisième journée d’action nationale contre le CPE : entre 500 000 et 1,5 million de manifestants en France.L’intersyndicale annonce qu’elle se réunira une nouvelle fois le 20.

20 mars L’intersyndicale intègre pour la première fois des représentants de la coordination nationale étudiante ; elle appelle à une « journée d’action interprofessionnelle avec arrêts de travail, grèves et manifestations » pour le 28.

21 mars .Une nouvelle journée de manifestations jeunes réunit 400 000 participants sur l’ensemble du territoire. Devant les parlementaires UMP, de Villepin exclut tout « retrait, suspension ou dénaturation » du CPE.

22 mars Nicolas Sarkozy recommande quant à lui une expérimentation pour six mois du CPE.

23 mars : Journée d’action jeunes à l’initiative de la coordination nationale étudiante : entre 220 000 et 450 000 manifestants en France. De Villepin écrit aux partenaires sociaux pour leur proposer une rencontre dès le lendemain.

24 mars : Début des négociations : cinq confédérations syndicales de salariés sont reçues à Matignon ; elles quittent la table aussitôt, face au refus du Premier ministre de retirer le CPE.

27 mars : Lors d’un discours à Douai, Sarkozy critique les méthodes du Premier ministre et déclare : « Il me semble utile qu’avant toute initiative d’application on prenne le temps que la négociation aboutisse. »

28 mars : Quatrième journée d’action nationale contre le CPE : entre un et trois millions de manifestants en France.

29 mars L’intersyndicale invite à une nouvelle journée nationale interprofessionnelle le 4 avril.

30 mars : Journée d’action jeunes appelée par la coordination nationale étudiante : les gares TGV des principales villes françaises sont bloquées simultanément. Le Conseil constitutionnel valide l’ensemble de la LEC – CPE inclus – sans aucune réserve.

31 mars : Allocution télévisée du Président de la République : en même temps qu’il dit promulguer la LEC, il demande aux employeurs de ne pas signer de CPE et annonce la préparation d’un nouveau texte. En réponse, une manifestation nocturne non-autorisée de plusieurs milliers de personnes défile dans les rues de Paris.

AVRIL 2006

4 avril : Cinquième journée nationale d’action contre le CPE : entre un et trois millions de manifestants en France, avec débrayages dans les entreprises. Plusieurs actions et confrontations avec les forces de l’ordre sont recensées, en fin de cortège, à Paris et en province.

5 avril : L’intersyndicale, réunie le matin, n’appelle pas à une nouvelle Journée nationale d’action dans l’immédiat ; elle indique qu’elle se réunira une nouvelle fois le 10. Début des négociations entre les partenaires sociaux et un groupe de parlementaires de la majorité (le « groupe des six ») : les syndicats exigent le retrait du CPE avant le 17 avril.

6 avril : Journée de blocages économiques (routes, ponts, gares, entrepôts) à l’appel de la coordination nationale : des actions sont recensées dans la plupart des villes françaises.

10 avril : Un communiqué de l’Élysée annonce, vers 10 heures du matin, l’abrogation de facto du CPE.

12 avril : L’Assemblée nationale adopte le dispositif remplaçant le CPE

[1] Le CPE pour les diplômés, et le CNE pour les autres jeunes, précarisait à l’extrême à l’embauche en instituant une période de deux ans pendant laquelle l’employeur pouvait rompre le contrat de travail sans motivation obligatoire, comme pendant une période d’essai qui, elle, est en général de 1 à 6 mois.

[2] J’avais commenté cette première dans L’Ecole émancipée, en avril 2006, « Où l’élève Chirac loupe son examen de droit constitutionnel ».

[3] Paolo Stuppia, 2006 : une victoire étudiante ?, Paris, Syllepse, collection Germe, 2018/

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