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Billet de blog 2 juin 2025

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« Une insulte à la vie elle-même »

Les mots de Miyazaki ont fortement résonné en moi, venant nommer ce vide qui m'emplit à chaque fois que je découvre une image ou un texte issu de l'IA. Le terme lui-même, usurpé à la science-fiction et repris passivement et sans réflexion aucune par les médias, me fait gerber.

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Les mots de Miyazaki ont fortement résonné en moi, venant nommer ce vide qui m'emplit à chaque fois que je découvre une image ou un texte issu de l'IA. Le terme lui-même, usurpé à la science-fiction et repris passivement et sans réflexion aucune par les médias, me fait gerber. Le fait qu'un modèle prédictif d'écriture, offert au public comme une petite démo amusante par OpenAI, ait pu créer de toutes pièces et en quelques mois une industrie à plusieurs centaines de milliards d'euros n'est qu'une preuve de plus de la vacuité de notre modèle économique, du monde de la tech, de notre société.

Des sommes dignes du PIB d'un État pour une industrie sans modèle économique. La une des tous les médias de la planète pour une innovation sans progrès (les LLMs, pas les algorithmes). Une reconnaissance sociétale majeure – "J'ai demandé à ChatGPT ce qu'il en pense !" - pour un outil décérébré qui ne se souvient pas de ce qu'on lui a dit il y a trois messages, un programme informatique qui ne sait pas compter – PUTAIN ! - qui explique comment faire de la pizza à la glu avec le plus grand des aplombs.

Est-ce que l'IA va remplacer les centres d'appel ? Les médecins et infirmières ? Les hôtesses de caisse ? Les psys ? Ton chien ?


Et bien peut-être. Oui, c'est possible. Probable même.

Moi je me suis fait remplacer par de l'IA. Elle écrit peut-être des articles (pardon, elle produit du contenu) à ma place. Sa prose est merdique, à peine lisible, creuse et sans intérêt ? Oui, c'est vrai. Mais...elle ne me remplace pas vraiment alors ?
Et bien non. Mais peu importe. Mon employeur a bien osé coucher noir sur blanc cette explication comme raison pour obtenir un licenciement économique. Bon certes, un coup d’œil d'un avocat (goguenard) et ça a sauté. Mais n'empêche que je n'avais plus d'emploi.

L'IA – pardon, les algorithmes conversationnels – ne remplaceront jamais le travail d'un journaliste, d'un rédacteur, d'un stagiaire de 3ème qui a raté sa grasse mat' après avoir passé la nuit sur Fortnite. Mais ça n'empêchera pas les patrons de nous virer.

Quand l'industrialisation a commencé, dans l'industrie textile au Royaume-Uni au milieu du XVIIIème siècle, les premières machines produisaient un tissu d'une qualité déplorable, en grande quantité, et avec bien moins de main d’œuvre – mais bien plus de morts et de blessés – que les artisans familiaux qu'elle remplaçaient.

Mais malgré la révolte, d'abord pacifique et démocratique, des Luddites, tous les artisans ont été décimés. Affamés, réprimés, condamnés, assassinés, déplacés. Aujourd'hui encore, les meilleures machines sont incapables de produire des vêtements aussi recherchés que ceux fait main.

Quoi qu'il arrive, l'automatisation qui remplace un artisanat, un métier avec une part de créativité, ne produira qu'un ersatz du produit originel. Ce n'est pas une question de technique. Nous ne sommes pas à une innovation de pouvoir copier à la perfection l'humain avec la machine. C'est important, c'est le coeur de mon propos : ce qui nous plaît dans le fait main, qu'il s'agisse d'un article de journal, d'une voix de doublage ou d'une tasse en terre cuite, c'est le fait de ressentir l'être humain derrière, le créateur, et surtout, surtout, ses défauts, obstacles et imperfections.

Cet art de l'artisanat, du fait main, c'est le léger manque de symétrie dans un coup de crayon, un mauvais jeu de mot dans un texte, un léger tic de langage dans une phrase lue, une trace de gorge enrouée. C'est le signe incontestable qu'un humain essaie de nous transmettre quelque chose. Un lien. Un contact. Cette petite chose qui nous amuse, nous rassure, que l'on ressent même dans une machine comme un tram ou un métro avec un conducteur. Cette lueur, parfois minime, qui nous dit "tu n'es pas seul. On galère tous. On respire ensemble".

Et cela n'a, encore une fois, rien à voir avec le niveau de technicité. Peut-être mettra-t-on un jour au point un chatbot* capable de singer exactement ce genre de petit défaut humain. Mais cette illusion s'effondrera, de manière d'autant plus fracassante et cruelle, dès l'instant où l'on s'apercevra de la supercherie. Ce moment où on passera dans notre tête de "je communique avec un humain par écrit " à "je suis seul face à mon écran".

Ce vide abyssal que l'on sentira a ce moment-là, je veux l'abolir, le tuer dans l’œuf. Je veux qu'à la micro-seconde où un contenu généré par IA rampe sous mes yeux, sa nature creuse et fécale soit marquée au fer rouge sur son front. "Ce que vous êtes en train de lire/voir/écouter a été généré de façon mécanique par des processeurs, qui suivent les instructions d'une bande de connards sans âme qui vous méprisent au point d'ériger ce mur de tech insipide entre eux et vous. Consommez-le ou crevez".

Voilà. Voilà le véritable message de tout ce qui est créé avec cette bouse.

Ah, et ça détruit la planète.

*Les chatbots, vous vous souvenez ? Ça existait avant l'IA mais ça n'avait rien à voir. C'était juste des boîtes de dialogue où un programme tentait de répondre à vos questions de manière probabiliste et...
Ah bah si, c'était la même merde. Ça serait quoi votre opinion de quelqu'un qui s'émerveilleraient de la qualité de conversation du chatbot de Carrefour ?
Vous savez maintenant ce que je pense des gens qui aiment parler avec ChatGPT.

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