Fin des années 70 en France. Une tablée de jeunes discute bruyamment à la cafétéria d'un centre commercial de la banlieue sud de Paris. Des Français et des Chiliens, des conseillers de l'ANPE et des demandeurs d'emploi. Voilà l'un des souvenirs que raconte Monique, qui aura passé l'essentiel de sa carrière, de 1975 à 2007, à l'agence nationale pour l'emploi, devenue Pôle Emploi, et aujourd'hui France Travail. Une scène qui raconte un peu ce qu'était la lutte contre le chômage à ses débuts en France.
Si on peut faire remonter à 1628 la première institution hexagonale chargée de mettre en adéquation les demandes et offres d'emploi, avec le bureau des adresses créé par Théophraste Renaudot (oui, celui du prix !), la première initiative étatique nationale est bien le lancement de l'ANPE en 1967 par Jacques Chirac, alors secrétaire d'État à l'emploi sous De Gaulle. La France compte à ce moment-là 430 000 chômeurs, soit seulement 0,86% de la population totale. Dix ans plus tard, en 1977, le premier million de chômeurs est atteint.
Aux débuts de Pôle Emploi, tout est à construire
Comment entend-on régler le problème au lancement de l'ANPE ? Plusieurs éléments permettent de se faire une idée. Les premiers conseillers professionnels, chargés d'aider les demandeurs d'emploi à trouver chaussure à leur pied, sont des psychologues. Il faut créer le ROME, le répertoire opérationnel des métiers et des emplois, une sorte d'encyclopédie des différents métiers du pays, encore utilisé aujourd'hui, qui permet de standardiser et de guider les agents. Tout est à faire, à construire, et la toute jeune agence embauche des prospecteur-placiers, dont le rôle consiste à faire du porte à porte dans les entreprises afin de récolter les offres d'emploi. Comme l'explique cette vidéo du journal télévisé d'Aquitaine Midi de 1969, "il est la charnière entre l'offre et la demande" d'emploi.
C'est que tout se fait encore sur papier ! Ce n'est qu'en 1982, un an après que la France ait atteint son 1,5 million de chômeurs (2,71% de la population), qu'arrive l'informatisation, avec le grand fleuron français : le Minitel. Dix ans plus tard, c'est l'arrivée du premier site web de l'agence.
Et depuis ?
Depuis, tout ou presque se fait en ligne, les agences se vident, et l'agence change de nom pour devenir France, travaille ! France Travail en 2024. Officiellement, il s'agit de faciliter l'échange d'information au sein des différents services chargés des usagers qui ne travaillent pas à temps plein, notamment ceux au RSA, qui seront désormais inscrits automatiquement à la nouvelle entité. Ces derniers seront soumis à une obligation de 15h hebdomadaires d'activité, une mesure qui avait fait grand bruit, et qui est assortie de sanctions financières en cas de non-respect allant jusqu'à la suppression totale de l'allocation (une fortune de 607€ mensuels pour une personne seule).
Sur le terrain, le nombre de demandeurs d'emploi par conseiller a explosé pour atteindre près de 700 dossiers par conseiller, et les gouvernements successifs semblent avoir choisi de faire disparaître les chômeurs des chiffres officiels plutôt que de leur trouver un emploi. Pour ce faire, plusieurs méthodes ont fait leurs preuves. On peut par exemple augmenter les radiations des chômeurs, en passant de 33 000 par mois en 2007, à 58 000 en 2023.Ou développer l'emploi précaire, que ça soit de l'intérim ou par le statut d'auto-entrepreneur.
Résultat : un taux de CDI relativement stable, et un nombre de contrats CDD et précaires qui augmente en flèche. Et un gouvernement qui se félicite de s'approcher chaque jour un peu plus du plein emploi, alors que l'on devrait plutôt parler d'une situation "zéro chômeur" et d'un océan de précaires qui ne seront plus comptabilisés dans les chiffres officiels du chômage.