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Billet de blog 21 juillet 2022

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Métavers : c'est quoi cette merde ?

Ce concept, issu de la SF et popularisé par Ready Player One, se retrouve aujourd'hui en Une des médias et sur toutes les lèvres. En cause : une appropriation culturelle de la part de Mark Zuckerberg, qui est allé jusqu'à faire passer le nom de sa corporation tentaculaire de Facebook à Meta. Objectif : faire naître le véritable Metavers à coup de milliards. Mais en vrai... c'est quoi le métavers ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A priori, le mot devrait se suffire à lui-même : un univers d'univers. Inventé par le génial auteur Neal Stephenson dans son monument cyberpunk Snow Crash ("Le samouraï virtuel" en français, sorti en 1992), le métavers désigne un monde virtuel dont la particularité est de servir de carrefour à de multiples entités, commerciales ou individuelles. Ce métavers, le métavers originel, est une place publique (une longue avenue en fait) où tout un chacun peut avoir son adresse. Un lieu de rencontres et d'échanges, presque un tiers-lieux, même s'il est dévoré par de gigantesques corporations désormais plus puissantes que les états.

Car il faut bien comprendre une chose : que ce soit dans Snow Crash ou bien dans Ready Player One, le métavers est un monde virtuel dystopique, une corruption d'un internet qui a certes évolué techniquement en un double numérique du monde réel, mais s'est retrouvé totalement dévoré par les corporations et le capitalisme. Le héros de Ready Player One se bat justement contre cet état de fait, pour préserver les services encore gratuits de l'Oasis (le nom du métavers dans le roman), et notamment le fait de pouvoir se déplacer sans payer d'un monde à l'autre.

Un véritable métavers doit remplir plusieurs critères. Ça doit être un monde virtuel, persistant (qui fonctionne 24h/24, 7j/7, et évolue même quand on ne le regarde pas), et qui rassemble plusieurs univers compatibles entre eux.

Des mondes comme celui de Second Life remplissent déjà ces trois conditions. Pas besoin de casque de réalité virtuelle pour y accéder. Toute personne avec un ordinateur et une connexion internet peut s'y connecter, et même créer et aménager sa petite parcelle (la location d'espace virtuel y est par contre payante).

Dans Second Life, je peux acheter une épée médiévale, puis aller dancer dans un club electro futuriste où cette épée sera fièrement affichée sur mon avatar. Aucun problème de compatibilité. C'était d'ailleurs déjà le cas quand les marques y étaient présentes à son apogée, il y a une dizaine d'années. On pouvait débourser de l'argent (virtuel mais pas gratuit) pour acheter une paire de baskets Adidas, un costard Calvin Klein, et acheter une BMW...puis aller dans un monde féérique pour se reposer. Différents univers, interconnectés et compatibles, réunis au sein d'un seul et unique monde virtuel : voilà ce qu'est un métavers.

Si vous voulez aller jeter un coup d'oeil, Second Life existe toujours, et vous pourrez vous arracher les cheveux avec son interface d'un autre âge pour constater que l'essentiel du contenu est à caractère sexuel. Le ruban de Möbius des innovations numériques.

Peut-être que la raison pour laquelle Second Life a péréclité de la sorte, c'est parce que, contrairement aux romans de SF qui ont mis en scène le concept de métavers, notre monde réel est encore à peu près vivable ?

Car aussi bien dans Snow Crash, où les pays ont été dépecés par des entités privées, que dans Ready Player One, où la Terre est ravagée par les conséquences du changement climatique (et par l'inaction des êtres humains qui préfèrent désormais le virtuel au réel), le métavers est bien plus attirant qu'un monde en ruines.

Le métavers de la science-fiction, malgré ses atouts et ses jolis jouets, n'est qu'un cache-misère. Un enfer ultra-capitaliste avec une peinture techno-geek qui ne fait jamais oublier bien longtemps les rapports de domination qui y sont excacerbés, et empêche par le même coup la population d'améliorer l'état du monde réel.

Mais revenons à nos moutons. Le métavers de Meta n'est pas un métavers.

C'est un monde virtuel et persistant certes, mais il n'a pas la même visée que les mondes des romans cités plus haut.

Selon notre ami Zuckerberg, le métavers de Meta est "un ensemble d’espaces virtuels où vous pouvez créer et explorer avec d’autres personnes qui ne sont pas dans le même espace physique que vous. Vous pourrez passer du temps avec des amis, travailler, jouer, apprendre, faire du shopping, créer et plus encore".

Remarquez qu'à aucun moment il n'est fait mention de la connexion entre ces espaces virtuels, ce "METAvers" est un ensemble d'espaces virtuels, de silos avec comme seul lien l'entreprise qui édite le logiciel qui chapeaute le tout. Je n'ai aucun doute de pouvoir un jour y acheter un pull Uniqlo virtuel dans un magasin du METAvers et de le voir s'afficher sur mon avatar quand j'irais visiter la maison Facebook d'un ami. Mais les seuls ponts entre ces différents univers seront ceux prévus et dûment contrôlés par Meta.

Au mieux on peut donc dire que, si le METAvers peut être qualifié de métavers, il s'agit de la version corrompue par l'argent et totalement centralisée contre laquelle se battent les protagonistes de Ready Player One. C'est la mauvaise fin, celle où le méchant gagne, où l'imagination meurt et les rêves s'effritent. Et peut-être celle où Zuckerberg devient le premier multi-trillionaire de l'histoire.

Je ne sais pas pour vous, mais cette vision me tente moyennement.

Notre monde est en train de se virtualiser à une incroyable vitesse, pour le meilleur et pour le pire. Il y a moins d'un siècle, le seul moyen que j'aurais eu d'échanger autrement que face-à-face avec un ami de l'autre côté de ma région aurait été de lui envoyer un courrier. Aujourd'hui je peux échanger avec lui par vidéo en temps réel, même s'il est à l'autre bout du monde. Je peux écouter du chant mongol, consulter des ouvrages médiévaux originaux et faire une visite virtuelle de musée canadien sans sortir de chez moi. C'est absolument fou, et notre psychée collective n'a certainement pas encore eu le temps de s'ajuster à cette nouvelle circulation de l'information.

Cette accélération devrait s'accentuer, et pourquoi pas mener à une forme de métavers (à moins que nos sociétés s'effondrent à cause de la crise climatique). Mais alors à quoi pourrait ressembler un bon métavers, ouvert à tous, qui décuple notre capacité à vivre et à ressentir, à communiquer et à découvrir, sans devenir une techno-bouse payante de plus ?

Premièrement il devra être décentralisé, ne serait-ce que pour une question de coût. Les fermes de serveurs pour maintenir en continu un monde virtuel vivant, qui plus est un monde que l'on peut parcourir en réalité virtuelle, sont pharaoniques. Pourquoi ne pas alors faire gérer une petite partie de la puissance de calcul, de stockage et de transfert nécessaire à chaque utilisateur et utilisatrice ? À rebours du 100% online / sur le cloud qui est à la mode aujourd'hui, une solution de pair à pair résoudrait une partie du défi technique tout en assurant une certaine indépendance à ce métavers libre.

Il devra ensuite être accessible au plus grand nombre, et donc accepter une grande variété de moyens de connexions. Une expérience optimale en VR avec un casque, en 4K à 120 Hz ? Okay, mais aussi une version correcte avec un smartphone d'entrée de gamme et une connexion en carton.

Troisièmement, il ne peut pas y avoir de préférence entre utilisateurs, notamment entre les individus et les entreprises. Autrement dit, l'argent du monde physique ne doit pas se traduire en un quelconque avantage dans le métavers libre. Chaque utilisateur contribue de deux manières : par la puissance de calcul/stockage/débit qu'il ou elle fournit, en fonction de ses capacités matérielles, et par son imagination.

Vous voulez votre propre château ambulant personnel dans le métavers ? Construisez-le ! Par vous-même ou avec des amis, voire en élaborant des scripts-ouvriers pour vous aider (regardez ce qu'il se passe sur Minecraft !). Mais Carrefour ne pourra pas, juste en payant, importer un gigantesque magasin d'un clic.

J'ajouterai qu'il devrait y exister un droit à la propriété de ses données personelles quasi-absolu, afin d'éviter qu'une entité comme Meta ne vienne récupérer le mouvement de vos yeux pour vous vendre sa merde.

Il reste bien sûr à régler la question de la gouvernance d'un tel métavers libre. Faut-il donner une voix à chaque utilisateur ? C'est certain, mais ça ne fait pas tout. Il y aura des décisions éminemment techniques à prendre, et probablement des centaines de développeurs qui devront être rémunérés pour entretenir ce béhémoth technologique.

Mais quelle que soit le processus politique choisi pour diriger ce métavers libre, il sera toujours préférable à la solution qui laisse toutes les décisions entre les mains de quelques milliardaires fous.

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