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Billet de blog 29 juillet 2024

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Pourquoi "l'IA" c'est de la merde

L'humanité n'a pas encore inventé l'intelligence artificielle. Rappeler cette évidence me semble indispensable au vu de ce que l'on peut lire dans certains médias, lire dans certaines publicités, et entendre dans la bouche de plusieurs entrepreneurs et politiques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce que l'on appelle "IA"aujourd’hui, en 2024, ne désigne au mieux qu'une collection d'algorithmes visant à simuler - singer ? - quelques activités humaines comme l'écriture ou la compréhension écrite, orale ou visuelle. Chat GPT ne comprend pas un traître mot de ce qu'on lui écrit. Il ne ressent rien, ne pense rien, n'explique rien. Il n'hallucine même pas, il rencontre des bugs. Il agrège de manière chaotique des informations piochées au sein de sources dont il ne peut déterminer l'authenticité, informations qu'il présente sous une forme dont il pense qu'elle ressemble à de l’écriture humaine. Rien de plus. C'est un gadget, une démo technique qui avait été mise en ligne par Open AI pour attirer le chaland vers leurs véritables produits professionnels.


Qu'il soit devenu - avec tous ses LLM (Large Language Model) concurrents - le représentant d'une soi-disant révolution technologique en dit long sur l'état de la fièvre spéculative des investisseurs. Regardons d'où vient ce concept d'intelligence artificielle. Mot à mot, il s'agit d'une véritable entité pensante, avec ses désirs, ses émotions, ses travers aussi, qui aurait été créée par l'être humain. Le premier exemple célèbre est peut-être le monstre de Frankenstein de Mary Shelley, créé par un homme et doué de raison. Lui succéderont dans la science-fiction du XXème siècle d'innombrables exemples de robots ou autres entités numériques accédant à la conscience. La plupart de ces machines se retournent contre leur créateur, voire l'humanité au complet; une partie de la nouveauté qu'apporte Isaac Asimov dans son cycle des robots est justement d'y décrire des machines qui ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais suivent simplement leurs programmes.


Ce cycle s'achève (attention : divulgâchis) avec la survie du dernier robot, ayant atteint un niveau de conscience au moins équivalent à celui d'un être humain, et qui décide par lui-même de modifier, ou en tout cas d'étendre son programme pour y intégrer la protection de l'humanité. On pourra aussi citer HAL 9000, l'ordinateur de L’odyssée de l'espace, ou plus récemment l'IA Samantha dans Her.


Ça, c'est de l'intelligence artificielle. Un être vivant, conscient de lui-même, capable de modifier ses directives, et qui comprend le monde qui l'entoure, au point de l'aimer et de le protéger. Comparez cela avec le chatbot glorifié qu'est Chat GPT et vous comprendrez la frustration que je ressens quand on le qualifie d'intelligence artificielle.


Est-ce que cette mise au clair n'est que du pinaillage littéraire ? Je ne pense pas. Les mots ont un sens, et surtout un impact. Depuis l'arrivée de ChatGPT, le mot "intelligence artificielle" est apparue dans les motifs des lettres de licenciement économiques affectant des professions qui se pensaient peut-être à l'abri de l'automatisation jusque là, comme les journalistes, rédacteurs et autres créateurs de contenus. Les artistes qui retirent un revenu de la vente de leurs œuvres à des banques d'images voient certainement déjà les conséquences de la démocratisation des algorithmes de génération d'images.


Tout cela est possible, non pas parce que ces algorithmes génèrent un contenu écrit ou visuel équivalent à la production humaine (bonjour les mains à sept doigts!), mais parce que la plupart des décideurs en entreprise collent la même étiquette de prix sur l'art humain et artificiel. Autrement dit, je ne pense pas qu'un LLM puisse faire aussi bien que moi en tant que journaliste, mais je suis convaincu que certains patrons pensent que ça ne vaut pas le coup de payer plus cher pour ma production écrite comparée à celle de ChatGPT.


Cette situation fait écho aux débuts de l'industrialisation en Angleterre en 1812, période à laquelle les luddites, des tisserands pour la plupart, brisaient les premières machines ayant vocation à les remplacer en fabriquant en quantité du tissu de mauvaise qualité. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, et ses parallèles avec le comportement de la Silicon Valley, lisez Blood in the Machine de Brian Merchant (en anglais, pas encore traduit).


Je ne dis pas forcément qu'il faut briser les fermes de serveurs qui permettent aux LLM de fonctionner tout en consommant jusqu'à 20% de la consommation électrique d'un pays comme l'Irlande. Mais si je vois des gens se lancer là-dedans, je laisserais courir les voleurs de pommes.

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