Post-démocratie : le sombre avenir du monde civilisé
Marc Luque
29 juillet, 2022
La vieille taupe
elviejotopo.com
Involution post-démocratique : à quoi sommes-nous confrontés ?
La corruption matérielle et morale, la manipulation de l'agenda public et la politique de la force systématique, loin d'être des exceptions, sont devenus les nouveaux principes normatifs de nos sociétés.
Cette dégradation de la démocratie libérale à laquelle nous assistons engloutit les espoirs d'un nouveau contrat social échappant aux empires économiques. Dans un contexte de mondialisation avancée et de justification des inégalités, la supplantation des pouvoirs politiques par les pouvoirs économiques donne naissance à la « post-démocratie ». Un nouveau prototype d'organisation sociale, décortiqué par le politologue Colin Crouch promulgue un retour à la période pré-démocratique, à travers l'imposition d'un modèle féodal qui réédite la hiérarchie sociale entre seigneurs et vassaux.
Sa première singularité est la mise en place d'une relation mercantile entre les sujets-agents inféodés aux systèmes de gouvernance (politicien-entrepreneur et électeur-acheteur). C’est le point de départ des nouvelles caractéristiques du nouvel archétype.
En travestissant l'État providence en préférence exclusive pour les défavorisés et en écartant la notion d'application d‘un droit universel, le rôle de l'État s'évanouit de fait.
Du coup, après avoir fait exploser l'égalité politique, ce sont les entreprises qui — profitant de la mondialisation financière — font pression sur les représentants politiques et menacent de transférer la production vers des pays tiers, au cas où leurs revendications ne seraient pas satisfaites.
A ce moment précis, le «trilemme de la mondialisation», dont la paternité revient au professeur de Harvard Dani Rodrik, est prouvé. Sa théorie affirme que l'établissement d'une relation équilibrée entre l'État-nation, la politique démocratique et l’hyper-mondialisation est une mission impossible.
Le premier item , État-nation, implique la subordination des entreprises à un modèle de gouvernance démocratique, cadré dans cet État-nation.Il conduit aux délocalisations. En d'autres termes, l'établissement de barrières commerciales limitées à une zone spécifique et non interdites à l'ensemble du globe fait imploser la démocratie.
La deuxième option consiste à rendre la mondialisation économique compatible avec le modèle étatique de gouvernance, mettant ainsi fin à la politique démocratique. Ce modèle souffre des mêmes problèmes que le précédent (État-Nation démocratique), la satisfaction des revendications est en proie, selon les mots de Rodrik, à un « carcan doré » qui applique des limitations arbitraires à la traduction de la volonté générale du démos sur des politiques spécifiques.
La troisième option, l’hyper-mondialisation,signifie l'incompatibilité de l'État-nation avec un système de mondialisation démocratique. L'entité politique qui la concrétise est l'Union européenne, avec un projet où les États membres cèdent leur souveraineté au profit du bon fonctionnement de l'entité supranationale.
L'enjeu pour l'Union pourrait être la démocratisation de ses institutions, évitant ainsi que le Parlement européen ne soit une simple entité consultative au service de la Banque centrale européenne. Or, comme cela s'est vérifié (par exemple) avec l'action de la « Troïka » en Grèce, l'organisation supra-étatique est très solidement assujettie aux sociétés financières.
Constatée l'impossibilité d'aligner démocratie, mondialisation et État-nation, dans la « post-démocratie » on opte pour la deuxième alternative proposée, assujettissant les démocraties libérales à la mondialisation économique. Ce sont donc les grandes entreprises qui déterminent la politique économique des pays dans lesquels elles opèrent et la charge fiscale incombe aux contribuables appartenant aux classes moyennes inférieures.
Ainsi, le système des partis initie une compétition dans chaque campagne électorale afin de montrer à l'électeur qui est capable de faire baisser le plus la perception des impôts. En se déresponsabilisant progressivement, les gouvernements sont incapables d'exercer leurs fonctions et finissent par privatiser la gestion des affaires publiques (services de propreté, centres de soins primaires... etc).
De cette façon, si son rôle se limite en théorie à « garantir la liberté du marché », il soutient en pratique la naissance d'entreprises monopolistiques et la privatisation du territoire politique commun. C'est-à-dire une reconstruction de classes de pouvoir "pré-démocratiques".
Une nouvelle féodalité, c'est à cela que nous sommes confrontés.