Anne Colin Lebedev ou le déclin de l Occident intellectuel.
C’est un signe fort de notre époque que les partisans de son cours actuel ne trouvent plus aucune justification crédible à leur choix tandis que les partisans d’une réorientation radicale mobilisent malgré le bombardement médiatique.
On voit cela avec précision dans l’accueil constatable en France à la réception du puissant dernier ouvrage d’Emmanuel Todd, peut être le plus réussi de toute son œuvre. « Le déclin de l’Occident » est un catalyseur de vérité.
Emmanuel Todd n’est pas qu’un intellectuel comme sa biographie pourrait le suggérer. Parti d’études et de travaux démographiques, il a vite élargi sa palette de travaux, de plus en plus large d’objet, aboutissant à une œuvre impressionnante auscultant la société dans toutes ses dimensions. Emmanuel Todd est un penseur, le meilleur de notre pays et, peut être de notre génération.
Un tel statut ne va pas sans inconvénients dont le premier est comme toujours l’hostilité qui accueille la vérité lorsqu’elle sort de son puits, si belle mais pourtant si inquiétante. C’est bien le cas pour la dernière parution de l’œuvre de Todd lequel doit s ‘en soucier comme d’une guigne, habitué qu’il est d’être accueilli par des jets de pierres rhétoriques (Où en sont-elles, Qui est Charlie, etc.).
Ce n’est pas à lui qu’incombe la tache de faire barrage au déversement d’idioties et de ressentiments que produit invariablement le talent lorsqu’il apparaît. Quand on ne participe pas au lynchage, sans doute est-il préférable de laisser faire et laisser dire en comptant sur la propre force du vrai. Verum est index sui et falsi, comme disait l’excellent Baruch Spinoza.
Pourtant, quand ces fâcheuses réactions incompétentes participent d’un ensemble de significations qui ont pour objet de désarmer la pensée et l’action humaine légitime, on peut et on doit réagir. Dans la confuse mêlée des passions qui s’affrontent, le langage est une arme, peut-être la meilleure de toutes pour triompher.
Ainsi, Mme Colin Lebedev s’en prend à Emmanuel Todd au nom de la vérité scientifique et pointe chez l’auteur ‘de gros arrangements avec le réel » que notre spécialiste, bien installée dans son domaine de compétence, va dénoncer.
Pourtant, au lieu d’opposer aux-dits gros arrangements, la bonne, grosse et lourde réalité, ce qui serait plus direct, Colin Lebedev préfère une attaque biaisée : L’auteur ne respecterait pas la méthode scientifique : « Les chapitres consacrés à la Russie et à l’Ukraine ne respectent aucune norme de rigueur scientifique ou tout simplement de sérieux intellectuel ».
Il ne vient pas à l’esprit du critique que, toujours, la vérité, qu’elle soit scientifique ou autre, ne respect pas la méthode. C’est pour cette raison qu’il y a découverte (on appelle cela souvent la sérendipité)
Apparemment, il en va pour cette chercheuse dans son domaine de bien suivre les instructions. Elle adhère à la vision poperriénne et boutiquière de la recherche. En science, il faut falsifier l’existant, partir d’un raisonnement et le déconstruire.
Vision de mathématicien qui a été dénoncée depuis longtemps (Thomas Kuhn : La Structure des révolutions scientifiques ) qui ignore qu’il faut aussi que le réel, de son coté, se dévoile. Popper était philosophe et n’avait aucune pratique de la recherche scientifique. Sa théorie a surtout servi à enchaîner l’esprit scientifique et, si elle triomphe aujourd’hui dans des cerveaux semblables à celui de Mme Lebedev, c’est bien parce que la science, assez récemment a accepter de se laisser asservir en pliant devant la contrainte financière.
Pour en revenir à Todd et à cet argument de roquet qui aboie, rappelons que celui-ci a consacré dans son impressionnante production, un livre entier à ces problèmes de méthode : Éloge de l’empirisme, issu d’un séminaire sur l’épistémologie des sciences sociales. Mme Lebedev, en toute confraternité, nous fera t’elle part de sa contribution ?
Il en va aussi, dans la charge lebedevienne, d’une accusation de partialité, qui descend un cran en dessous dans l’éthique de la recherche, puisque la chercheuse ne fait qu’opposer à chaque exemple critiqué son contre -exemple sans jamais, c’est l’essentiel, argumenter sur ses choix. Ce sont les miens les meilleurs, semble elle dire. Pensée en miettes qui méprise ce qui fait l’essence même de la vérité : son articulation dans un tout.
C’est sur ce point que doit s’opérer une critique d’ensemble de la qualité scientifique de la recherche actuelle, perdue dans ses domaines de compétences et radicalement incurieuse de ce qui se fabrique juste à coté. Et c’est bien là aussi que Todd fait merveille, ayant su s’affranchir des cloisonnement et produisant en liberté, avec poésie, humour et tendresse, des énoncés qui, pour ces raisons sont aussi des merveilles de précision et de justesse.
En ce qui concerne Mme Colin Lebedev, on doit lui reconnaître le mérite, contrairement à la plupart de ses collègues se s’être refusée à penser le terrible conflit en cours en termes d’amis/ennemis. D’origine russe et après avoir passé sa vie professionnelle à ausculter cette société, y incluant l’Ukraine aussi, elle ne saurait se satisfaire d’un tel découpage, aussi faux que délétère.
On doit remarquer cependant que, sur la réserve de ce coté, elle ne se risque à aucune interprétation alternative. Dans son dernier billet sur son Blog de Médiapart, elle nous invite à «repenser la guerre en Ukraine ». On doit lui poser la question, où et quand, ici ou ailleurs a t’on commencé à se la poser ?
La vérité est que, partout où on l’a tenté, et mon Blog, depuis 2022, en fourni des centaines de preuves, la censure et les imprécations ont enseveli le message. Ne pas oser, pour des raisons de carrière ou de conviction, affronter cette réalité et l’intégrer dans le panorama global qui conditionne la réponse, voila ce qui s’appelle trahir la science, mme la chercheuse vigilante. Voilà pourquoi votre fille est muette.
Contrairement à vous, Emmanuel Todd avance un récit complet et précis du drame mondial en cours. Il nous prévient : « Mon dessein n’est pas d’atteindre un haut niveau de perfection académique mais de contribuer à la compréhension du désastre en cours » Pourquoi n’avez vous tenu aucun compte de ce préalable ? Pourquoi, vous même, de votre coté, n’avez vous pas été saisie par l’urgente obligation de conclure et ainsi d’éclairer le monde ?
Todd opère une sorte de révolution copernicienne sur le sujet. Il nous dit que la cause profonde du malheur actuel n’est en aucun cas un accident géographique ou historique mais l’évolution du monde dans sa globalité. Il dessine une fresque historique d’ensemble qui démontre que la recherche de puissance, source des guerres depuis que les sociétés se sont agrégées (les empires) a procédé par simplifications successives, jusqu’à aboutir à la bipolarité (guerre froide).
Il nous invite donc à déplacer le regard vers ce qui reste de cette bipolarité, une hyperpuissance et d’observer son évolution pour y déceler une éventuelle cause de conflit. C’est de la recherche scientifique à son meilleur. L’évolution de la société américaine est diagnostiquée comme souffrant d’un syndrome d’extranéation. C’est le déplacement de son indéniable richesse matérielle et spirituelle dans le non-espace parfaitement anomique de la mondialité qui caractérise ce pays.
C ‘est cette malédiction du vainqueur qui explique le retournement complet des valeurs de la richesse autrefois portée par l’Occident. Un temps maître du monde et de l’histoire, l’Occident, malgré ses crimes, a aussi porté au plus haut la création humaine dans le domaine de la science, des arts et de l’éthique. Pour les USA et contre son propre peuple, voici venu le temps de la barbarie. Voici venu le temps des guerres sans cause et sans enjeux.
Tel est le propos central d’Emmanuel Todd.
Cette dégradation est-elle un invariant historique, destin de toute entreprise humaine ou aurait-elle pu évoluer autrement. Vaine question quand le réel a parlé. Reste à affronter ce réel. Le diagnostic de Todd est précis, sourcé et articulé. Il peut servir d’inspiration pour une politique à venir dont, pour l’instant, on ne voit grand-chose. Qu’en sera t’il demain, nous n’en savons rien. Disons que sans le travail de Todd, la tâche serait encore plus difficile.
PS : Ma propre position ressemblait beaucoup à celle de Todd dans mon premier billet sur la guerre, daté du 2 Mars 2022 :
« Il faut ,là, prendre en considération , ce que vous ne faites pas, le déclin de Empire américain. «puissance aussi stupide qu’agressive » dites-vous, mais surtout puissance sur le déclin.Voici la clef de compréhension de la situation : l’activisme américain en Europe : Face à la Chine, les USA voudraient obtenir rapidement une sécurisation du front oriental de leur empire. Pour cette raison impérative, oubliant toute prudence, ils n’hésitent pas à pousser le vieil ennemi russe dans ces derniers retranchements.
La stratégie du fou ne fonctionne pas que d’un seul coté. D’un coté Poutine prend certes l’Ukraine en otage pour parvenir à ses fins mais de l’autre les USA utilisent de la même façon toute l’Europe comme mercenaire dans sa guerre ».