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Billet de blog 14 juin 2025

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Voyage au bout de la folie

Depuis la chute du Shah d’Iran, l’Occident remodèle à tout-va le Moyen-Orient avec les résultats que l’on voit : Une petite bande de fous furieux mythos entraîne le monde entier dans la guerre. La faillite de tout droit international au pire moment se conjugue avec un réarmement généralisé. Le nucléaire n ‘a rien à y voir mais un hégémon militaire mondial mené du bout du nez comme un toutou, oui !

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L’attaque israélienne contre l’Iran : une escalade (mal) calculée ?

13 juin 2025

Thomas Fazi

https://www.thomasfazi.com

Il semble qu'il n'y ait pas de fin au chaos, à la destruction et à la mort qu'Israël est déterminé à infliger au Moyen-Orient. Dans le cadre d'un acte d'agression choquant et non provoqué, il a lancé une attaque aérienne à grande échelle pendant la nuit sur de multiples cibles de grande valeur en Iran - y compris la capitale, Téhéran. Les frappes ont frappé non seulement les installations nucléaires et l'infrastructure de missiles, mais aussi assassiné des personnalités de la hiérarchie militaire iranienne : le général Mohammad Bagheri, chef d'état-major des forces armées iraniennes, et le général Hossein Salami, commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).

L'analyste géopolitique Pascal Lottaz a fait remarquer que ces assassinats ciblés « s'inscrivent parfaitement dans le manuel militaire israélien, dans lequel ils vont à des frappes de « décapitation » contre des nations qu'ils choisissent d'éradiquer. Ils l'ont fait avec le Hamas à Gaza, avec le Hezbollah au Liban, et maintenant ils s'en prennent aux dirigeants de l'Iran et, ce faisant, terrorisent toute la population civile du pays ». Il a tenté de justifier ses actions en tant que frappe « préventive » contre la menace présumée d'un programme d'armement nucléaire iranien - une affirmation qui n'a aucun fondement factuel.

Comme l'a noté Pascal Lottaz : Non seulement c'est une vérité vérifiée et acceptée, même par les Israéliens et les États-Unis, que les Iraniens ne disposent pas actuellement d'armes nucléaires, mais les Américains étaient en cours de négociations en cours avec eux et ont prévu de tenir une autre réunion dimanche, lorsqu'il a décidé de commettre cet acte de guerre flagrant.

C'est en effet exact. Pourtant, même si l’Iran recherchait des armes nucléaires, la légitimité de la position israélienne serait toujours douteuse. Sur quels motifs juridiques ou éthiques les Israéliens, un État doté d'armes nucléaires qui n'a jamais signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, peut-il refuser aux autres acteurs régionaux la même capacité?

Le récit selon lequel un Iran à capacité nucléaire serait intrinsèquement déstabilisant n’est pas seulement peu convaincant, mais trompeur. Comme l'a fait valoir le politologue John Mearsheimer, c'est le contraire qui serait vrai :

Un Iran doté d'armes nucléaires apporterait la stabilité dans la région, car les armes nucléaires sont des armes de paix. Ce sont des armes de dissuasion. Ils n'ont pratiquement aucune capacité offensive. Et si l'Iran avait une force de dissuasion nucléaire, il n'y a aucun moyen pour les États-Unis, ou d'ailleurs, l'Iran, qui attaqueraient l'Iran maintenant, de la même manière que si Saddam avait eu des armes nucléaires en 2003, les États-Unis n'auraient pas envahi l'Irak. Et si la Libye avait eu des armes nucléaires en 2011, les États-Unis n'auraient pas été en guerre contre la Libye. Je pense donc que si vous aviez un Moyen-Orient où d'autres États, à l'exception d’Israël - et cela inclut bien sûr l'Iran - avaient une force de dissuasion nucléaire, ce serait une région plus pacifique.

Mais, bien sûr, la paix et la stabilité dans la région sont la dernière chose qu'il faut, c'est qu’Israël - et surtout le régime criminel de Netanyahou -, étant donné qu'il prospère dans la guerre et le chaos. En effet, cette dernière escalade semble délibérément conçue pour provoquer une réponse iranienne, justifiant ainsi un conflit plus large. Comme l'a fait observer Pascal Lottaz, cette attaque semble précisément conçue pour forcer l'Iran à riposter, donnant ainsi à l'État hébreu une « excuse pour déclencher une guerre totale avec l'Iran (et, en fin de compte, engager les États-Unis à y parvenir) ».

Il fournit également un écran de fumée pour le génocide en cours et le nettoyage ethnique commis par les Israéliens à Gaza et en Cisjordanie. Comme le note Pascal Lottaz :

La véritable raison pour laquelle l'Iran attaque actuellement l'Iran, c'est qu'ils perdent la guerre de propagande. L'état d'esprit a changé de manière décisive, en particulier en Europe, où de grandes manifestations pro-palestiniennes sont désormais quotidiennes. L’énorme succès des relations publiques de la Flottille de la liberté, ainsi que le changement dans la couverture médiatique du génocide israélien à Gaza, ont dû être un grand choc pour le régime de Tel-Aviv. Ils savent que la seule chose qui permet leurs campagnes d'extermination militaire génocidaire est le soutien inébranlable du Ouest collectif. Le fait que ce soutien s'érode sous leurs yeux est probablement la plus grande menace pour le projet sioniste depuis 100 ans.

Alors que l’opinion publique internationale – en particulier en Europe – se retourne contre la campagne brutale d’Israël à Gaza, Tel-Aviv se trouve de plus en plus isolé. Les grandes manifestations pro-palestiniennes sont désormais des événements quasi quotidiens dans les grandes villes occidentales. Le gouvernement israélien semble tenter de rétablir son statut de victime en provoquant un conflit dramatique avec l'Iran qui peut le recadrer une fois de plus comme la cible d'agression.

« Il est en train de perdre la carte de la victime ; personne ne croit plus que ce n’est que nous nous défendons. Et il veut récupérer la carte, désespérément. Cette attaque vise donc à s'assurer que l'Iran doit riposter », a ajouté Pascal Lottaz. « Il est au désespoir d'une guerre totale avec un récit de guerre du type même que les Ukrainiens ont depuis trois ans. Il doit en quelque sorte reconquérir le contrôle narratif en Occident ».

Une question essentielle demeure : quel rôle les États-Unis ont-ils joué dans cet acte d'agression? Le secrétaire d'État américain Marco Rubio a insisté sur X que « Israël a pris des mesures unilatérales contre l'Iran. Nous ne sommes pas impliqués dans des frappes contre l'Iran et notre priorité absolue est la protection des forces américaines dans la région. Il nous a informés qu'il pensait que cette action était nécessaire pour sa légitime défense ».

Pourtant, même cet aveu - que les États-Unis ont été informés à l'avance - soulève de sérieux doutes. Washington a-t-il approuvé ou coordonné l'opération à huis clos? Ou a-t-il agi de manière indépendante, en exploitant le silence de l'Amérique comme un consentement tacite ? Le sénateur Chris Murphy a offert une interprétation accablante :

L’attaque israélienne contre l’Iran, clairement destinée à saboter les négociations de l’administration Trump avec l’Iran, risque de déclencher une guerre régionale qui sera probablement catastrophique pour l’Amérique et qui prouve à quel point les puissances mondiales – y compris nos propres alliés – ont pour le président Trump.

Cette explication semble toutefois malhonnête. Comme l'a fait valoir le journaliste Glenn Greenwald :

Si Trump avait voulu arrêter l’attaque israélienne contre l’Iran, il aurait pu facilement le faire. L’État hébreu dépend de l’argent des travailleurs américains, des bombes provenant des stocks américains et des promesses de protection militaire américaine. Impossible d’imaginer qu’il s’agisse de ce qu’il fait sans une nette attente de protection militaire américaine.

En fait, Trump lui-même s’est vanté que l’Iran avait été frappé parce qu’il « ne respectait pas » son ultimatum. Bien qu'il ne s'agisse que d'une légère fanfaronnade, cela s'aligne sur les rapports selon lesquels les États-Unis ont contribué à induire l'Iran en erreur avant l'agression. Selon le Times of Israël, « les États-Unis ont participé à une campagne massive pour adoucir l'Iran en pensant qu'une attaque n'allait pas se produire immédiatement ».

Si c'est vrai, cela indique une collusion active - et non une simple complicité. La question qui reste à savoir : qui est en train de fixer le programme stratégique? Les néoconservateurs américains utilisent-ils l'État hébreu comme fer de lance de leurs propres plans de longue date pour remodeler le Moyen-Orient et éliminer le régime iranien, et dans quelle mesure Trump partage-t-il ces objectifs ?

Ou le lobby israélien conduit-il la politique américaine en faveur de la guerre – même, peut-être, contre les souhaits de Trump ? Dans l'un ou l'autre cas, une chose est maintenant claire : avec cette attaque, Israël - et par extension, les États-Unis - ont poussé le monde un pas de plus vers la catastrophe.

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