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Billet de blog 29 août 2025

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10 Septembre  : Un chien jaune dans le jeu de quille politique

En France, toute la représentation politique joue avec les émotions populaires selon une logique dont le sens doit demeurer masqué pour être efficace. Cette dissimulation très médiocre ne produit plus qu’un mépris populaire généralisé. Ce mépris, devenu colère, est une force suffisante pour ouvrir les portes d’un inconnu qui ne saurait être pire que le présent. Note de Rocafortis

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10 Septembre  : Un chien jaune dans le jeu de quille politique

En France, toute la représentation politique joue avec les émotions populaires selon une logique dont le sens doit demeurer masqué pour être efficace. A vrai dire, cette dissimulation reste très médiocre et ne produit de plus en plus qu’un mépris populaire généralisé

Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour que ce mépris, devenu colère soit une force suffisante pour faire dérailler la logique institutionnelle, ouvrant ainsi les portes vers un inconnu qui ne saurait être pire que le présent (10 Septembre).

« Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur».

Il y a peu, l’épisode des gilets jaunes a démontré, à la fois la permanence du peuple comme acteur et, s’il était encore nécessaire de le dire, qu’une production théorique émise par des gens compétents était nécessaire à l’appui de ce type de mouvement spontané.

Très différente de toute contamination idéologique de type léniniste, et sans oublier les richesses spontanées des acteurs eux-mêmes (RIC, retour des acquis de 1789), la théorie se borne à éclairer le réel sans juger et sans décider.

A l’heure ou les spécialistes de tout poil dînent à la table des puissants, la théorie nous manque. On a vu très récemment en France le sort infligé aux riches cahiers de doléances des Gilets Jaunes. Quand on songe a celui, très différent, que reçurent ceux du Tiers État lors de la révolution Française, on mesure tout ce qui nous sépare encore d’une situation révolutionnaire.

L’actuel épisode politique en France doit être jugé dans la continuité du délabrement de ses institutions politiques désagrégées par une constante privatisation de la société. L’histoire en étant très connue, focus sur le dernier épisode. Le macronisme s’est bâti sur la peur dans un contexte social dégradé, en a abusé et en abuse encore.

L’efficacité du procédé va, bien sur, en se dégradant et une première dissolution du Parlement a visé à installer une instabilité supplémentaire dans la société. La manœuvre tendait vers un tournant droitier (avec plus de peur, incluant même un scénario ultra-droitier). Un retour inattendu de la Gauche l’a contrarié.

La seconde dissolution attendue est, à tous les égards, la caricature de la première. Selon une logique inaugurée par le Maréchal Foch :« Mon centre cède, ma droite recule, situation excellente, j'attaque ». Macron et Bayrou conviennent ensemble de dissoudre le gouvernement. Excellente idée, personne en France ne croit que ce gouvernement mérite davantage.

Une variable cependant mérite d’être soulignée. La gauche s’étant elle-même neutralisée dans ses querelles internes, un macronisme droitisé semble ne pas reculer devant l’idée de céder le pouvoir encore plus à sa droite (le RN). De nouvelles élections censureraient évidement son action alors même que la Gauche doute de sa propre existence. Résultat ? Inutile de le préciser.

Il devient donc nécessaire de diagnostiquer cette gauche fantôme (c’est ce que tente l’article proposé plus bas). Comme le disent les Chiliens : «El Pueblo unido jamas sera vencido » C’est vrai. Mais le malheur des partisans de base de ce point de vue semble bien de ne jamais parvenir à la fameuse Unidad.

La confrontation actuelle dans la gauche française est une querelle fort ancienne constatable dès l’origine (Affaire Dreyfus, merci à Jean-Claude Michéa de l’avoir souligné) qui oppose légalistes et fondateurs (révolutionnaires). Elle s’étend sur tout le 20ème siècle et perdure encore.

Est-elle nécessaire ? Sachant que le légalisme lui-même est bien issu d’une fondation et que les fondations elles aussi doivent reposer sur un socle, il semblerait que non. Pour autant les divergences en questions ne sont pas de simples incompréhensions. Ce sont de vraies différences qui doivent donc être intégrées à la base de la démarche.

Il existe dans toute l’Europe une riche tradition politique qui n’est particulièrement ni de Gauche ni de Droite. Une tradition républicaine démocratique, très exigeante envers les gouvernements et aussi envers les citoyens. Initiée par la bourgeoisie révolutionnaire, elle existe sous de nombreuses formes tout au long de son histoire.

Nous disposons là d’un noyau d'idées et d'outils pour réfléchir et formuler de bons gouvernements et une bonne société  : républicanisme contre despotisme, et honnêteté (loi) contre corruption. La démocratie comme l'a défini Aristote, est le gouvernement du peuple. Un régime politique dans lequel le monde du travail détient l'hégémonie politique et contrôle l'État n’est pas une démocratie directe.

Une fois acceptée la séparation entre représentants et représentés, une relation mandant-mandataire s'instaure entre les deux. Le mandant (les représentés, les citoyens) doit pouvoir participer, contrôler, faire entendre sa voix et contester certaines décisions de son gouvernement. L'agent (représentants et gouvernements) dispose d'un pouvoir délégué qui doit être réactif, contrôlé et responsable.

Sans cette double relation, on ne peut parler de démocratie réellement représentative. Celle-ci pourra répondre d’autant mieux aux intérêts et aux besoins des groupes les plus défavorisés. La démocratie libérale a pu être défendue par la Gauche dans sa lutte antifasciste, lutte menée au nom des droits, de la légalité constitutionnelle et de l'État de droit. Dès lors que l’oligarchie mondialisée semble décidée à abandonner ces principes, c’est à la gauche qu’il revient d’approfondir les démocraties libérales dans un sens démocratique-républicain sérieux.

En France, on voit bien à quel point les querelles d’État-major sont dérisoires au regard des enjeux. Oui, les gauches de gouvernements furent dans leur intégralité faibles et corrompues. Oui, le parti radical (la LFI) patauge dans un épouvantable confusionnisme, a institué une omnipotence de la direction que rien ne justifie et maltraite ses possibles alliés.

Une gauche aussi misérable ne peut être que le fruit d’une longue période d’abaissement de l’humanité. C’est bien ce qui a pu se constater à la suite de l’expérience de dénationalisation des années 90, expérience réussie à grande échelle dans le monde à l’instigation et au profit des spoliateurs du travail. Mais ce succès provisoire ne saurait durer.

Nous allons observer, nous observons déjà à l’international, une métamorphose de la masse. Comme l’a bien vu Canetti, celle-ci demeure sous toutes ses formes, le facteur déterminant de l’histoire. Soumise, elle devient masse guerrière.

Mais parfois cette masse guerrière, transfigurée de l’intérieur, devient le théâtre d’une libération, masse de refus qui sous certaines conditions devient masse de renversement. Puissent ceux qui se présentent comme partisans de l’émancipation en reconnaître les droits et se mettre à leur service.

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Le maximalisme ouvrier

25/08/2025 Cyrus Cappo jacobin-com La gauche peut vaincre le trumpisme grâce à une vision économique ambitieuse. Donald Trump a montré ce qu'il est possible d'accomplir en utilisant agressivement le pouvoir exécutif. Si la gauche accède à la Maison Blanche, elle devrait être prête à faire de même, mais au nom d'un ambitieux programme pro-syndicats. À l'exception des plus fidèles partisans de MAGA, les excès juridiques du président Donald Trump ont réussi à aliéner les observateurs de tout l'échiquier politique. Qu'il s'agisse de l'utilisation libérale de déclarations d'urgence nationale pour justifier une politique d'expulsion draconienne et un régime tarifaire intolérant, des attaques contre des universités d'élite et des cabinets d'avocats, ou du soutien à l'accélération du génocide à Gaza et à la colonisation en Cisjordanie, chacun au sein de la coalition anti-Trump peut trouver matière à s'en prendre.

Cependant, nombre de ces critiques justifient leur position par un appel aux normes procédurales, se préoccupant principalement des atteintes portées aux fondements juridiques du pays. Au nom de notre Constitution, le chroniqueur conservateur du New York Times, David Brooks, a plaidé pour un « soulèvement civique national global », tandis que d'éminents démocrates, comme Deborah Lipstadt, la tsar de l'antisémitisme de Joe Biden , se sont opposés aux expulsions d'étudiants pro-palestiniens uniquement sur la base de la légalité de la procédure, arguant seulement que ces tentatives de restreindre la liberté d'expression auraient dû être traitées avec un peu plus de « douceur ».

Que ces déclarations soient prononcées par des personnes qui ont défendu les guerres illégales et l'expansion concomitante du pouvoir exécutif est aussi ironique qu'écœurant, mais leurs craintes ne sont pas sans fondement. Ceux qui s'opposent aux enlèvements d'immigrés, au muselage de la parole ou au soutien américain au génocide délibéré et au nettoyage ethnique – ceux d'entre nous qui sont de gauche – devraient prendre au sérieux la menace posée par Trump.

Mais nous ne devons pas perdre de vue que ces attaques contre la jurisprudence et les normes régissant l'équilibre des pouvoirs entre les pouvoirs gouvernementaux représentent une opportunité de faire avancer la cause socialiste. Si un président de gauche arrive au pouvoir, les efforts pour construire une démocratie ouvrière passeront probablement par un usage agressif du pouvoir exécutif comparable à celui pratiqué par Trump.

Tout dirigeant de gauche du gouvernement américain serait contraint de contester ouvertement les décisions des tribunaux fédéraux, de passer outre les gouvernements des États et locaux, et de réduire considérablement les lourdeurs administratives. Dès les premiers mois de son mandat, Trump a démontré qu'il était possible d'y parvenir, même si cela menaçait de faire voler en éclats l'édifice du capitalisme transnational.

Pour que la gauche puisse reconquérir les énergies populaires et les orienter vers des objectifs égalitaires et pro-sociaux, elle doit s'engager à tenir certains aspects du programme de Trump sans céder aux aspects sectaires, xénophobes et autodestructeurs de son programme. Un programme politique de gauche véritablement populiste exigera de la gauche qu'elle adopte une position d'opposition non seulement au Parti démocrate tel qu'il existe actuellement, mais aussi à l'ordre constitutionnel dans son ensemble.

Pour une gauche agressive

De nombreux progressistes ont refusé d'envisager la possibilité de s'attaquer à des institutions antidémocratiques et élitistes comme la Cour suprême, de peur de sombrer rapidement dans une tyrannie d'extrême droite si leur contrôle sur l'exécutif venait à être affaibli. Il est grand temps d'accepter que nous vivons déjà dans le monde que beaucoup redoutaient. Le droit international, constitutionnel et pénal a été compromis par la corruption ouverte et l'ignorance délibérée des acteurs politiques des deux partis. Ils ont été encore plus mis à mal par l'absence de responsabilité face aux délits d'initiés et aux transactions d'initiés endémiques parmi les titulaires de fonctions publiques.

La majeure partie de cette criminalité morale a été au service des industries de la santé, pharmaceutique, de l'armement et de la pétrochimie, pour n'en citer que quelques-unes. Dans de nombreux cas, comme celui de l'enrichissement personnel de la famille Sackler grâce à l'épidémie d'opioïdes, leurs crimes ont dépassé le stade de la négligence juridique pour relever de ce que Friedrich Engels qualifiait de « meurtre social ». Pourtant, les chefs d'entreprise vantent la liberté que leur confère leur richesse, tandis que de nombreux Américains ordinaires souffrent, deviennent plus dépendants, s'endettent davantage et sont davantage menacés par les catastrophes naturelles et artificielles. Ces crises offrent une formidable opportunité à la gauche politique, mais elle n'a pas encore su en tirer parti.

Près de dix ans après la première campagne de Bernie Sanders, nous pouvons diagnostiquer avec plus de certitude ses échecs. Face au choix entre un statu quo chancelant et une tentative de remodeler le pays au profit du peuple plutôt que des entreprises, le Parti démocrate a choisi la première option, la plus sûre pour contrer le message populiste de droite de Trump. En tant que porte-parole de la campagne Sanders, le point commun parmi les électeurs que j'ai rencontrés en Idaho et en Arizona, ainsi que parmi les abstentionnistes particulièrement importants sur lesquels la campagne comptait pour se mobiliser (dont la majorité approuvait les objectifs de principe), était qu'ils ne croyaient tout simplement pas que Sanders puisse atteindre les objectifs qu'il avait défendus, s'il parvenait à gagner. Cela ne signifie pas qu'ils le considéraient comme un imposteur, mais qu'ils pressentaient avec raison que des obstacles structurels et juridiques entraveraient toute tentative d'appliquer la volonté de la majorité.

Si un président de gauche arrive au pouvoir, les efforts visant à construire une démocratie ouvrière passeront probablement par le type d’utilisation agressive du pouvoir exécutif que Trump a pratiqué.

Sanders demeure l'un des hommes politiques les plus populaires du pays, et de nombreux points de son programme bénéficient d'un large soutien populaire, comme en témoigne la popularité persistante de politiques comme Medicare for All. Mais transformer cette popularité en pouvoir au niveau national lui échappe, ainsi qu'à d'autres candidats de gauche disposant de programmes importants. Sanders et ses collègues progressistes estimaient avoir une certaine emprise sur la Maison-Blanche sous la présidence de Joe Biden et craignaient, à juste titre, les conséquences d'une seconde administration Trump pour les travailleurs. Mais cela les a conduits à cautionner la politique étrangère désastreuse et le programme économique bâclé d'un président impopulaire.

Pour que les socialistes s'emparent des véritables leviers du pouvoir, nous devons convaincre l'opinion publique que nous mettrons en œuvre un programme ambitieux et tourné vers l'avenir, et faire preuve d'une volonté de combattre quiconque tentera de nous barrer la route. Si parmi ces opposants figurent des personnalités influentes du Parti démocrate ou d'ailleurs, les dirigeants de gauche ne peuvent avoir peur de les désigner comme tels : des ennemis de la classe ouvrière.

Les tentatives transparentes de Trump de punir les immigrés, les universitaires et les travailleurs transgenres des services publics pour leurs échecs élitistes influencent les électeurs, en partie parce que l'opposition refuse de reconnaître ses échecs. Si un candidat de gauche à la présidentielle se présentait non seulement en demandant des comptes aux acteurs sans scrupules et achetés par les grandes entreprises des deux partis, mais aussi en prônant une transformation radicale du niveau de vie des travailleurs américains, nous pourrions former une coalition suffisamment puissante pour prendre les choses en main et nous empêcher de nous enfoncer davantage dans les abîmes de la violence réactionnaire et de l'autoritarisme.

L'état du travail

Ce programme, que j'appelle « maximalisme ouvrier », garantirait des emplois à chaque travailleur américain, améliorant considérablement l'influence des syndicats et des travailleurs non syndiqués dans tous les secteurs et restaurant l'influence politique et économique des travailleurs qui ont créé les montagnes de richesses sur lesquelles les ultra-riches reposent actuellement. Pour comprendre comment y parvenir, il faut cependant d'abord expliquer brièvement comment les travailleurs américains, syndiqués ou non, en sont arrivés à une situation aussi désastreuse.

Ces dernières décennies, les politiciens ont négligé le potentiel de pouvoir de la classe ouvrière, s'inspirant plutôt des riches donateurs qui financent leurs campagnes. Aucun serviteur, public ou autre, ne peut servir deux maîtres, et la mainmise progressive des barons voleurs sur la classe politique au plus fort de l'économie a produit des résultats prévisibles. Globalement, les travailleurs trouvent de moins en moins de raisons de participer au système électoral américain, et le regain d'énergie qui se manifeste au sein de ce groupe se trouve principalement à droite, en raison des promesses de Trump de briser le système responsable de leur mécontentement et de leur aliénation.

Depuis 2016, les deux partis ont promis de restaurer la richesse des travailleurs, voire de leur donner une place dans le système politique. Les efforts de Trump et Biden pour délocaliser la production ou réindustrialiser s'enracinent dans la nostalgie de l'époque de la paix sociale, où de nombreux ouvriers d'usine recevaient un salaire décent pour une dure journée de travail à la chaîne – suffisamment pour s'offrir un logement, une voiture et des diplômes universitaires pour leurs enfants. Ce travail était peut-être tout aussi aliénant et physiquement exigeant que n'importe quel emploi actuel, mais ces travailleurs (principalement blancs et masculins) pouvaient constater et ressentir la valeur qu'ils créaient, relativement bien rémunérés.

Même si nous souhaitions revenir à cette époque, cela ne serait pas possible sans une métamorphose extraordinairement douloureuse et longue. Tout historien vous dira que l'industrialisation n'est pas une sinécure pour ceux qui doivent la subir, et aucun pays ne s'est jamais réindustrialisé après une transition vers une économie dont la croissance repose principalement sur les services, la finance et la propriété intellectuelle.

Pour que les produits américains soient compétitifs sur les marchés mondiaux ou nationaux, les salaires ou l'emploi devraient chuter substantiellement. Les ouvriers fabriquant des baskets et des vêtements seraient soumis à des conditions de travail dignes d'ateliers clandestins, tandis que ceux qui travaillent sur des fermes de serveurs ou des chaînes de fabrication de puces ne seraient guère plus que de simples compléments de machines automatisées, tandis que des millions de personnes supplémentaires seraient au chômage à mesure que le pouvoir d'achat se détériorerait.

La répartition inéquitable et insatisfaisante du travail et des revenus est à l'origine de nombreux maux des États-Unis actuels. De même, restaurer le pouvoir et la sécurité des travailleurs pourrait être la clé pour guérir les innombrables maux sociaux qui affligent l'Amérique. Nul besoin de nier les réalités du racisme, du sexisme, de la xénophobie et de l'homophobie pour constater qu'ils tirent une grande partie de leur pouvoir du sentiment de précarité économique qui pèse sur la plupart des Américains.

La plupart des Américains s'estiment chanceux d'occuper un emploi qu'ils détestent pour un patron qu'ils ne supportent pas, car ils perçoivent le peu de distance qui les sépare d'un jeune qui passe ses meilleures années dans le sous-sol de ses parents ou d'un sans-abri qui dort dans le métro. Les propriétaires de petites entreprises, dont les griefs alimentent le nationalisme et le populisme autoritaire de Trump, craignent vivement d'être prolétarisés face à la hausse des prix des intrants et à l'endettement des ménages et des petites entreprises. Et pourquoi ne le seraient-ils pas, alors que si peu d'emplois salariés sont bien rémunérés ou bien protégés ?

L'enjeu n'est pas seulement une question de croissance économique, mais aussi de santé – physique, spirituelle et sociale – du corps politique américain. Les prochaines années pourraient bien être la dernière et la meilleure occasion de renouveler l'engagement envers la vertu personnelle et le civisme, aujourd'hui si peu présents. Seule une gauche engagée dans un programme politique visant à restaurer la confiance et l'autonomie de la classe ouvrière en est capable.

Un véritable programme pour le travail

La pièce maîtresse du programme serait un tout nouveau Département du Développement Public (DPD). Avec un potentiel de création aussi simple que le Département de l'Efficacité Gouvernementale d'Elon Musk, cette agence pourrait se voir conférer de vastes pouvoirs pour restaurer et développer les infrastructures américaines à une échelle bien plus ambitieuse que les tentatives timides et pro-entreprises de la politique industrielle de Biden.

Au cours du dernier demi-siècle, les capitalistes privés n'ont pas réussi à investir la richesse historique accumulée au cours du siècle américain à des fins socialement productives, surtout en comparaison de nations beaucoup moins riches comme la Chine. Depuis la crise financière mondiale de 2008, notre classe dirigeante a gaspillé ses excédents de capital dans des technologies spéculatives, des projets de rente et des superyachts, tandis que la classe dirigeante chinoise a construit près de 40 000 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse, planté 500 000 kilomètres carrés d'arbres et réussi à développer un secteur technologique compétitif avec celui des États-Unis sur tous les plans significatifs.

Seul le gouvernement fédéral est capable de mobiliser et d'utiliser les ressources nécessaires pour redresser notre modèle économique défaillant, et la voie pour y parvenir passe par l'exploitation de nos réserves de main-d'œuvre sous-utilisées. Contrer les menaces posées par le changement climatique et les dysfonctionnements sociaux généralisés implique de traiter ces problèmes avec le même sérieux que les pays se préparent à la guerre. Les premiers efforts du DPD se concentreront d'abord sur l'accélération du retard considérable accumulé dans les projets de développement à tous les niveaux de gouvernement, mais se concentreront aussi vite que possible sur une large gamme d'investissements publics afin de garantir une demande constante de main-d'œuvre. Le développement des capacités de production d'énergie verte, la modernisation et la réhabilitation des bâtiments existants, la planification et la construction de projets de résilience climatique, les programmes de dragage des rivières, de lutte contre les incendies de forêt et de gestion de la faune sauvage sont autant d'éléments constitutifs d'un pivot pluriannuel visant à préserver et à accroître la prospérité.

Les travailleurs de DPD pourraient bénéficier d'avantages sociaux similaires à ceux du GI Bill de 1944, tels que le logement, les soins de santé et l'éducation, tandis que les immigrants que cette demande de main-d'œuvre attirerait pourraient se voir offrir la citoyenneté en échange de leur contribution au projet national. De leur côté, les jeunes entrant sur le marché du travail, normalement las de leur place dans le monde, auraient une mission sociale à assumer avec d'autres jeunes de tout le pays (à l'instar de nos militaires actuels, mais leurs efforts étant orientés vers des objectifs socialement constructifs plutôt que destructeurs).

Avec l'alternative d'un emploi public attractif, les travailleurs qui restent dans le secteur privé ou ailleurs verraient leur pouvoir de négociation considérablement accru, obligeant les capitalistes privés à repenser leurs stratégies d'investissement pour anticiper le moyen et le long terme. À mesure que les salaires, les avantages sociaux et même le contrôle de la production augmentent grâce à leur influence, les travailleurs pourraient utiliser leur pouvoir de négociation accru pour inciter les entreprises à privilégier des valeurs telles que la longévité et la qualité des produits, ainsi que la satisfaction des travailleurs, plutôt que les seuls profits.

La plupart des arguments de bonne foi contre un tel programme sont très légers face aux bénéfices potentiels, qui seraient substantiels non seulement pour les travailleurs américains actuels, mais aussi pour les travailleurs immigrés, les futurs travailleurs, la classe ouvrière internationale et tous ceux qui préféreraient éviter, eux ou leurs proches, la mort dans des catastrophes climatiques ou l'effondrement de ponts.

Les opposants ont plutôt tendance à mettre l'accent sur l'impraticabilité perçue d'un tel programme, héritée d'une éducation politique pré-Trump. Ces politiques seraient sans aucun doute soumises à une forte opposition de la part de représentants du Congrès achetés par les donateurs, à d'innombrables recours judiciaires et à une couverture médiatique négative persistante, tant de la part des démocrates que des républicains. Ce que Trump a démontré, cependant, c'est que ces institutions ont peu de légitimité populaire et peu de courage pour résister à un exécutif prêt à user de la force pour les affaiblir.

Aussi sombre que puisse paraître notre environnement politique, les éléments constitutifs d'une coalition politique durable sont à portée de main. Le problème central de la politique américaine réside dans le fait que les organisations de la classe ouvrière ne constituent plus un élément significatif des coalitions des deux principaux partis, ce qui rend très difficile d'imaginer une administration prête à mettre en œuvre ces priorités dans la forme actuelle des partis.

Le maximalisme ouvrier appelle à un mouvement politique défendant des emplois garantis et bien rémunérés dans des secteurs socialement utiles, et prônant la responsabilité publique des acteurs malhonnêtes du gouvernement et du secteur privé – le tout au service d'une économie tournée vers l'avenir qui resserre le marché du travail et redonne la parole aux travailleurs. Un tel projet se heurterait à de nombreux ennemis et obstacles politiques. Mais si Trump le capitaliste est capable de renverser la logique politique dominante, il y a lieu d'espérer que des partisans motivés et engagés de la classe ouvrière pourraient en faire autant.

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