Il est minuit et il fait trop chaud pour dormir. Il est minuit et sous la tente dans le camping de Moissac, nous avons certes bénéficié d'une remise de 2€ pour notre choix de transport " zéro carbone" (la divine bicyclette) mais nous avons aussi droit à la lumière du bloc sanitaire éclairé toute la nuit sans possibilité de l'éteindre, ou de baisser à savoir plus de 30 luminaires d'au moins 100 watts l'un, qui diffusent un halo sur 15 a 20 mètres de rayon.
Il est minuit et le monde s'embrase, de Tirana à Maputo, du Sri Lanka au Panama, des Pays Bas à la Bulgarie, la vie cher, l'essence, l'énergie et surtout l'alimentation. Nous vivons nous dans un pays où l'huile de tournesol est devenue une denrée de luxe. Nous vivons dans un pays où se rendre aux urgences est non seulement mal vu mais surtout de plus en plus difficile. En France, le meilleur moyen de se soigner est désormais de ne pas tomber malade. Nous vivons dans un pays où il va manquer au moins 4000 enseignants en septembre ( soit 120000 gosses privés d'école) dans un pays où les prix de l'électricité vont sans doute tripler l'hiver prochain, un pays où des gamins de 12 ans prennent le pouce et l'index pour tenter d'agrandir leur rapporteur en mathématiques le confondant avec un écran tactile, un pays où les loyers vont augmenter de 3.5% sans que les salaires ne suivent, un pays où l'on reçoit des chèques alimentaires , des chèques carburants, des chèques emploi, des chèques pour ne pas vivre de son travail, des chèques pour être traités d'assistés.
Nous vivons dans un pays où les 5 premières fortunes cumulent l'équivalent de 27 millions de concitoyens, où les 500 plus grandes fortunes représentent 43% du PIB là où elles n'atteignaient en 1998 que 6% de ce dernier.
Il est minuit et le monde s'effondre, les canicules les sécheresses les incendies les inondations les pandémies se multiplient. On annonce régulièrement plus de 40 degrés dans le sud de la France jusqu'à Nantes, nos centrales nucléaires ne peuvent plus se refroidir et l'on doit réouvrir des centrales à charbon pendant que l'on s'inquiète de la nocivité des éoliennes pour le paysage ou des hydroliennes pour les fonds marins sans que la surpêche qui racle les fonds du Pacifique à l'Atlantique soit inquiétée. On s'insurgera en revanche volontiers pour une surtaxe sur Total ou sur les vols nationaux car c'est prendre les actionnaires où les touristes en otage.
Il est minuit et demain n'est pas un autre jour, demain est l'aggravation d'aujourd'hui. Il paraît que les jeunes ne baisent plus, eco-anxiété, pression à la performance, tu m'étonnes si même baiser est devenu une source de stress c'est que ça va très mal. On tire au Japon, on dégomme plus que jamais aux States, au Danemark, en Norvège... on flippe d'une immigration qui n'en est qu'à ses prémices on ferme les yeux sur les dizaines de tués à Melilla, pas vu beau déni. Partout les gouvernants se fichent de plus en plus ouvertement des populations dont ils ont la charge.
Quand nos successeurs sur cette planète se pencheront sur les causes de notre disparition, ils auront tout intérêt à observer autre chose que les médias sans quoi ils penseront que notre espèce à disparu pour ne pas avoir mis de cravate ou avoir employé le terme de rescapé, ou parce que l'Ukraine était l'usine du monde... Plus que jamais connectés nous sommes socialement déconnectés, les retrouvailles seront violentes et les convulsions terribles. Ça ne se fera plus avec des élections, malheureusement. Ça c'était pour le monde d'avant, il est minuit et c'était hier.
Ce n'est plus une question de décennies, ni même d'années, il est minuit et nous tombons, irrémédiablement et les filets de protection que les aînés de nos aînés avaient patiemment tissés sont troués de toutes parts... La rareté, le manque, l'indisponibilité sont devenus la norme là où la surconsommation se répandait comme un viatique universel que rien ne viendrait jamais entraver, il y a quelques dizaines de mois seulement. La grande fuite, le grand esquivement de tous vers un ailleurs introuvable a commencé. Certains s'en vont vers le metaverse, d'autres mettent des casques de réalité virtuelle, ne plus voir, ne plus entendre, ne plus subir...fuir fuir sous fond de paradis artificiels s'ils le faut même si comme le CBD ils défoncent pas, c'est pour l'illusion d'un envol. Quand les plus riches rêvent de pôle et de Scandinavie où ils s'accaparent des milliers d'hectares, construisent leurs bunkers et leurs pistes d'envol, les étudiants les plus bourgeois des pays les plus développés démissionnent en masse, les voici faire leur coming out eco-bolchévique, ne rêvant que de petits matins calmes à défaut de grand soir. Fuir en s'engageant localement plutôt que de ramasser des pelletées de dollars dans les firmes prédatrices. Oh bien sûr pas ceux des écoles de commerce, ceux là essaieront de s'accaparer les dernières ressources de notre mère la Terre pour partir en Jet à l'autre bout du monde arracher les derniers coraux, ou sur Mars pour s'envoyer une dernière fois en l'air.
Il est minuit passé désormais et le prolo n'a plus de quoi bosser, on lui dit que c'est la faute aux Russes, aux blacks et aux arabes, ce qui commence à faire beaucoup de monde. Il est minuit passé et à Moissac il y a du Claude François qui jaillit de la superbe soirée musicale organisée par la municipalité et qui ne fait pas danser les 10000 personnes alentours qui potentiellement voudraient dormir pour voir demain si le soleil se lève encore ...
Il est minuit passé, et que donnerais-je pour ne pas avoir entendu mon fils de 12 ans, il y a 3 heures, me dire qu'il se questionnait beaucoup sur les moyens qu'il y avait pour sauver notre planète : « nous avons bien des modèles écologiques mais ça coûte cher, en vrai c'est pas bien de vouloir aller sur Mars même si c'est cool ». Pour lui aussi, il est minuit.