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Billet de blog 10 juin 2021

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Comment Zemmour est devenu Dieu, le Pen, reine et Mélenchon, diable

La crise sanitaire commence de produire ses premiers effets politiques. Un an de confinement des corps a claquemuré aussi les esprits. Le renferment idéologique se renforce au même rythme que les forces d'extrême droite. Tout est prêt pour que la crise politique jusqu'ici présente mais latente entre en éruption en 2022. Une page majeure de notre histoire républicaine commune se tournera alors,

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Prenons Zemmour pour commencer. Penser le phénomène Zemmour à un an des présidentielles en dit très long sur l'état de notre pays. Le personnage est haïssable détestable, condamné, récidiviste, accusé d'agressions sexuelles. Ses idées sont puantes. Il est la frange la plus hargneuse de l'extrême droite. C'est une sorte d'extrême droite encore plus sale que celle du RN, une extrême droite de caniveau. Moins fréquentable qu'elle. C'est le principe de la fenêtre d'Overton, le spectre du dicible s'élargit et on normalise ainsi le RN.

Et la France est comme fascinée par ce type. Qu'on le haïsse, qu'il nous répugne, que nous l'écoutions ou non, Zemmour est de toutes les conversations. Le type monopolise les plateaux télé, publie son tract dans le Figaro, vénéré par Valeurs Actuelles. Quel espace politique occupe-t-il ? Sensiblement le même que celui de B. Mégret en 2002.

A droite du FN. Mais avec quelle force de frappe ! Quelle différence de statut : Zemmour se rêve en faiseur de reine, là où la candidature  Mégret n'avait pu empêcher Le Pen d'arriver au deuxième tour il y a de ça ... 20 ans.

L'extrême droite est en passe de contrôler l'ensemble de la sphère médiatique officielle. Toutes les chaînes d'infos françaises sont peu ou prou sur la même ligne. En tous cas, toutes sous le charme de l'objet Zemmour, personnage tout au plus sulfureux peuvent elles encore oser dire.

Sur ces mêmes chaînes, on compare sans vergogne Mein Kampf et Le Capital, et, de la gifle présidentielle aux exécutions factices de "gauchiste" par des influenceurs youtuber, les actions violentes (invasion de parlement régional, incendies de librairies, projets d'attentats...) de l'extrême droite sont systématiquement couvertes.

Zemmour et les médias de masse, sans aucune attache partisane déclarée et sur l'ensemble des canaux de la TNT (pour ne rien dire des ondes hertziennes, des "magazines" et de la presse écrite en général) , organisent méthodiquement la chasse à "l'islamogauchiste" du matin au soir.

La police, largement gangrénée, fait aussi sa part du job, on se rend donc en goguette à ses manifs pour lui rendre la pareille. L'armée nous secoue, c'est chouette, ça manquait un petit coup d’État en arrière fond. Mais rassurez vous c'est pas grave, ce sont des gens qui œuvrent au redressement de la France. Vous voyez bien que c'est la gabegie,alors que diable, vous n'avez rien à craindre d'une poigne de fer. Ça passe crème.

Et sur qui tape-t-on ? Parce que si Zemmour est Dieu, je vous demande qui est le diable ? Allons réfléchissez, c'est pourtant facile, c'est le seul danger pour les oligarques de la presse puisqu'il avait réussi à rafler 7 millions de voix la fois précédente... Et oui, lui il faut le descendre, parce que malgré ses perquisitions, notre guignol en chef l'a pas réussi à l'abattre. Il a le cuir épais le Merluche. Alors cette fois-ci on va bien sûr passer la redoublée dans la machine à calomnies.

La dernière trouvaille ? Il est complotiste. Rien que ça ? Oui, normal qu'il soit complotiste puisqu'il est "islamogauchiste", stalinien, autocrate, millionnaire, franc maçon, méditerranéen, populiste, chaviste, démagogue, à la solde de Poutine, mitterrandien, et pire que tout...mélenchoniste. 

Mais attention ça risquerait de ne pas suffire. Cette fois-ci on prévoit mieux le coup : on lui colle dans les pattes 3-4 candidats qui peuvent faire croire, sur les écrans, qu'ils peuvent récolter une partie de ses 7 millions de voix. Bien sûr, les putatifs diviseurs ne le vendent pas comme ça. Ils vont jouer leur partition de calomnies eux aussi. Alors que le sanglot long de l'électeur Hamon devrait encore résonner dans les chaumières de la France profonde, c'est désormais l'électeur Mélenchon qui devrait avoir honte de soutenir un "monstre pareil" pour quiconque s'abreuve à la doxa cathodique. Cette gauche qui dès 20h03 au soir du premier tour, au terme d'un laïus lénifiant se ralliera sans condition au néolibéralisme ajoutant l'humiliation à l'insignifiance de son résultat. En effet, le responsable de leur défaite sera ... Mélenchon. D'ailleurs ils ont d'ores déjà commencé : "Mélenchon  empêche l'union, et l'union c'est la victoire !" entonnent-ils, sans guère d'élan d'ailleurs. Peu importe que les deux points de cette ritournelle soient factuellement faux , l'important c'est d'affaiblir Mélenchon.

Empêcher l'union d'abord. Mais ce n'est pas empêcher l'union que d'être le plus fort. Après le désastre des primaires en 2017, peu de voix se sont manifestées ce coup-ci pour cette formule. Hidalgo, Jadot, Piolle, Montebourg, Taubira, Roussel ... ne peuvent-ils donc pas faire d'union sans Mélenchon ? Mais ceux-là croient-ils vraiment à leur fable, pensent-ils une seule seconde qu'ils pourront récupérer des électeurs de JLM en nombre en lui cassant du sucre sur le dos, à l'instar de toute la médiacratie envahissante ? Non, bien sûr que non. Ont-ils un programme, ont-ils quelque chance même rassemblés ? Non plus. C'est donc qu'ils devraient faire l'union derrière Mélenchon. Oui, oui, oui je sais le diable, l'autocrate, le vociférateur...je sais, je sais.

Et j'écris bien a dessein "derrière lui" et non "avec" ou "autour" de lui. Car l'union n'est pas la force. C'est la dynamique qui fait la force. Celle-ci a deux moteurs essentiels dans la configuration des présidentielles pour tout candidat de gauche : un homme (ou un femme naturellement) un programme. Nous déplorons sans cesse que le fait que les présidentielles sont trop incarnées. Une présidentielle, c'est un match de boxe celui qui esquive les coups finit sur la touche pour manque de combativité. Il faut savoir encaisser et rendre les coups, il faut de la répartie, de la verve. Ce n'est pas votre logo allié qui monte sur le ring avec le candidat, c'est l'équipe derrière lui. Regardez la candidate de l'union de toute la gauche dans la région Hauts de France, tous les logos y sont. Pas (peu ?) d'incarnation, pas de dynamique, un poussif 20 % dans ce qui est une région où la gauche a de beaux bastions et où Mélenchon était arrivé en deuxième position.Et encore s'agit-il d'une élection régionale, pour laquelle la figure de proue choisie, revêt moins d'importance !

Si ces personnes sont si inquiètes de la possible arrivée au pouvoir de Le Pen, si elles sont réellement convaincues que la transition écologique est urgente, que les inégalités sont si grandes qu'elles mettent en péril la cohésion de la société, elles ne devraient pas hésiter un seul instant. Imaginons l'effet que cela susciterait si ne serait-ce qu'un des 5 suscités se rangeait à la raison. La dynamique serait enclenchée...

A contrario, supposons que Jadot se rallie à Hidalgo (ou l'inverse), qu'est ce que cela produirait ? Pas grand chose si ce n'est une dispute pour arriver "en tête de la gauche" à l'issue d'un premier tour fatal. On remballe. On ne peut pas contourner une personne qui a rassemblé 7 millions de voix aux précédentes présidentielles, c'est un principe de réalité. Sinon on joue sciemment la défaite et la victoire de ... ???

Dans une partie de la gauche la défaite en 2022 est déjà entérinée. En fait, on espère pouvoir se dire en mai prochain " on a eu chaud ce coup-ci, va falloir être vigilants désormais. 52% c'est quand même un peu juste, non ? " en cas de reconduction de Macron à l’Élysée.

Les 52% restants s'auto désigneront défenseurs du bien et des libertés" et feront tous l'union, sans condition, jetant des anathèmes contre tous ceux qui renâclent "il n'y a pas d'alternative en économie comme en politique !" profèreront-ils dans l'indifférence. Regardons le ce philosophe bourgeois mondain d'Enthoven, venant de faire son coming-out tout beau tout brun. N'est ce pas ravissant ? Les rats commencent à quitter les rangs de la Macronie, à prendre des assurances vie auprès du RN. Mais les grands argentiers parieront-ils à nouveau sur lui où passeront ils le cap (déjà franchi à de nombreuses reprises depuis 1932 en Allemagne) dès 2022 ?

Ça pue, les égouts remontent, la mécanique est enclenchée et tout le monde tape sur Mélenchon. "Messieurs Dames, le spectacle commence !"

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