Machiavels aux longues dents et aux idées courtes
"Entre la République et la haine, nous avons choisi la République et nous aurons la haine". « Ouf », combien de personnes en France l’ont-il prononcé en leur for intérieur en découvrant le résultat des élections régionales. Mais ce pleutre soulagement n’est-il pas qu’une victoire à la Pyrrhus ?
Après les belles paroles entendues hier soir sur l'air du "désormais plus rien ne sera comme avant", il est certain que dès aujourd'hui tout restera en place comme si rien ne s'était produit. Avec une nuance toutefois puisque l'ambition de la France consiste non plus tant à rembourser la dette mais éliminer les djihadistes de tous poils qui sévissent en ce bas monde. Tâche très comparable d'ailleurs en ce qu'elle relève tout autant du tonneau des Danaïdes que la précédente qui nous était assignée. Car au delà de cet impératif catégorique, on perçoit mal le dessein collectif entrevu par les responsables politiques.
Le paysage politique est en effet des plus glauques, et les pitoyables appels de Cambadélis (qui d'ailleurs n'y croit pas et n'y songe pas véritablement) pour une "inflexion [de la politique gouvernementale] contre la précarité" n'ont aucune chance d'être suivis d'effets concrets. Il en va de même pour le souhait de Mélenchon (qui lui aussi n'y croit pas mais a le mérite de le dire) de voir se constituer "un front populaire". Car pour le gouvernement tout fonctionne ou presque. En reprenant le vocabulaire d'extrême droite, en évoquant la seule sécurité des Français, en aspirant ainsi tout l'espace politique entre la droite du PS incarnée par le tandem Valls-Macron et le FN, la stratégie Hollande qui consiste à se retrouver au 2° tour face à Le Pen fonctionne à merveille. Puisque les gogos de gauche sont prêts à voter pour la droite pour battre le FN alors même que le PS aurait pu se maintenir, nul doute qu'ils feront de même en 2017. Ainsi, en menant une politique droitière, le gouvernement pose un problème majeur de positionnement à la droite.
Seul risque, une candidature à gauche du PS qui ait de la gueule. Pour parer toute éventualité, on trouvera bien quelques hochets à distribuer aux uns (écologistes) et aux autres (PCF) pour éviter une candidature d'union, et ainsi éliminer toute menace sérieuse sur la gauche. A droite, c'est retour à la case départ avec querelles des égos en vue de la primaire. Le combat des chefs aura sans doute lieu, une fois que les nuances d'approches auront disparu pour laisser place à la testostérone des candidats déclarés. La semi-victoire d'hier laisse entrevoir toutefois bien des discussions stratégiques. Après avoir couru des années durant derrière le FN (stratégie Buisson), Sarkozy affirmait hier soir tenir comme à la prunelle de ses yeux à l'union avec le centre (droit). Entre le petit diable droitisatison et le petit ange recentrage, LR navigue entre Manuel Charybde et Marine Sylla.
Quand le centre se trouve à l’extrême…
La centralité du FN est sidérante dans l’univers mental construit par les médias et la classe politique. Tous les partis se disposent en fonction de ce dernier sur ses seules thématiques. Sécurité, immigration, identité. PS, LR, UDI pour ne citer qu'eux en font leur miel. Ainsi ce n'est pas seulement le FN mais ses idées qui occupent tout l'espace politique. Pis ! les éléments de langage, les registres littéraires, le ton martial ont également contaminé l'ensemble du corps politique. La lecture du paysage politique de l'extrême droite est aussi en passe de devenir le référent politico-médiatique unique pour les prochain mois : d'un côté les "patriotes", de l'autre les "mondialistes", c'est ce dont Valls parle lorsqu'il évoque le choix entre "l'esprit républicain" (comprendre "les mondialistes") incarnés indifféremment par LR ou le PS et le choix de "l'extrême droite qui est celui de la division et qui peut conduire à la guerre civile" (ici les "patriotes" dans la rhétorique lepeniste). Bipolarisation de la vie politique donc, revendiquée aussi bien à la tête du gouvernement que dans les officines d'extrême droite.
Dans ces conditions comment imaginer un reflux du FN en 2017 ? A droite comme à gauche, il convient de s'assurer de sa présence au 2° tour puisque c'est la victoire assurée. Et surtout le seul motif de vote pour le PS et à moindre échelle pour LR ! Donc les prochains mois ne seront animés par une succession de triangulations qui consiste à se placer sur le terrain adverse et à lui prendre les idées en se plaçant au dessus de la mêlée... Donc le débat et la campagne à venir s'effectueront sur les thèmes de l'extrême droite. Charmante perspective, qui ne laisse entrevoir aucun espoir de progrès social. La lutte des races (dans sa forme travestie de la question identitaire) plutôt que la lutte des classes (sous sa forme pacifique de l'Etat Providence et de la République sociale)...
On en est là, alors comme disait Vladimir "Que faire ?" La solution ne viendra certainement pas des partis vermoulus, en panne d'idées, de volonté, de militants et d'imagination. Seul un mouvement social d'ampleur peut changer la donne. Pour paraphraser un général célèbre (F. Foch) de la première guerre mondiale le résultat des élections régionales donne l'occasion au mouvement social de dire : "Ma gauche est enfoncée, ma droite est déstabilisée; le front (républicain) menace de s'écrouler, le moment est propice, j'attaque." Mais l'état d'urgence et l'état d'indigence des centrales syndicales rendent la probabilité d'un mouvement collectif encore plus ténue.
Sommes-nous définitivement tenus à poursuivre cette descente aux enfers ? Ceux qui militent pour le progrès social sont ils condamnés à prêcher dans le désert indéfiniment ? A l'aliénation sociale succède-t-il nécessairement l'aliénation intellectuelle ? La résignation conduit-elle toujours à l'aveuglement ? Les yeux dans les yeux, prenons nous le risque collectivement de poursuivre le chemin qui nous est proposé ? N'y a t-il vraiment aucune alternative ?