Deuil lucide face à l'agonie tangible de la V° République
Cette fois ci, c'est fini. Le régime de la V° a rendu son dernier souffle. Ce système institutionnel bâti autour et pour l’exécutif présidentiel, exacerbé par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ainsi que par une pratique du pouvoir élyséenne toujours plus solitaire, s'est transformé en l'espace d'un deuxième tour d'élections législatives ou moins d'un électeur sur deux s'est déplacé en pétaudière digne d'une IV° république en pleine guerre d'Algérie. Si beaucoup de députés élus (et a fortiori les sénateurs) seront à coup sûr dans le déni, l'évidence est trop visible : le passage à une VI° république est une urgente nécessité, et sans doute l'unique moyen de sortir par le haut du désastre. Rendre le vote obligatoire, comptabiliser le vote blanc avec un seuil minimal d'exprimés pour valider l'élection m'apparaît comme la première pierre à poser sur l'édifice de la nouvelle République.
80% des 18-24 ans ont déserté les urnes tandis que les retraités ont voté pour que leurs enfants n’aient pas de retraite. Rupture générationnelle majeure. Les Français ne parlent plus qu’à leur écran, les services publics sont dissous (les urgences sont un luxe, le bac est une illusion, la police une menace à l’ordre républicain, la justice, un clown triste). La République est une farce en vente dans toutes les quincailleries poussiéreuses de la France des terroirs. Plus personne n’y croit. Le drapeau ? Y a ceux qui le chérissent pour taper sur ceux qui le conchient. La devise est troquée contre la liberté de consommer, l’égalité des chances et la Fraternité dans la communauté religieuse, territoriale ou sociale. La laïcité est devenue un instrument d’exclusion et de division. La République est nue, sans rite ni devenir.
Maréchalisée, elle n’a plus que les parements, l’apparat et la garde républicaine. La fonction élyséenne même n’est plus respectée d’abord en raison d’une succession de locataires qui n’ont pu/su endosser un costume trop grand. Cette incapacité à s’élever, ce besoin de donner l’illusion de s’exprimer soit par l’insulte saillante soit par un techno bavardage orwellien creux, ont saccagé les derniers oripeaux de grandeur qui pensait-on résisteraient à l’épreuve du temps. Des violeurs, des profiteurs, des repris de justice, des bandits, des corrompus et des corrupteurs surpeuplent nos couloirs ministériels et nos travées des quatre colonnes. Comment poursuivre cette mascarade sans refondation ? Cette cinquième nous a ramené au stade anal de la démocratie, les corps intermédiaires sont brisés, le dialogue social évacué, tout repose sur une tête d’épingle à implants capillaires. Ce degré zéro de la démocratie, cette monarchie élective a également achevé la fonction publiques. Inspecteurs, diplomates, préfets…deviennent des fonctions réservées à des mercenaires en mission, cooptés par une même caste qui n’ose même plus affronter des concours sélectifs au vu de leur crasse ignorance. L’oligarchie n’est même plus en état de régner au travers d’une « méritocratie » illusoire. L’Etat est nu.
Mort du Barrage républicain, front républicain : le déshonneur de la bourgeoisie, le penchant naturel de la droite.
20 ans pile. 2002, J Chirac est réélu avec 82% des voix, tout un pays se lève pacifiquement contre l'extrême 2017 : Macron élu avec 66 % des voix. 2022, Macron réélu avec 57 % des voix droite face au même parti xénophobe, qui a troqué son antisémitisme patent en latent, pour mieux chausser l’islamophobie, tellement plus consensuelle aux yeux de la bien pensance. Entretemps d'élections régionales en législatives, de triangulaires en appels au barrage, la gauche consciencieuse, la gauche anti fasciste, n'a eu de cesse de se retirer, d'appeler à battre le FN/RN…et à voter contre ce qui était alors perçu comme une option inenvisageable et anti républicaine.
Le barrage a tenu, s'est fragilisé jusqu'au moment où la droite aurait dû venir, à son tour, le conforter. Las, le barrage s'est alors brutalement dissipé. Pis, l'électorat LR ou LREM l'a volontairement détruit en portant ses suffrages préférentiellement sur l'extrême droite. C'est que cet électorat là a su entendre l'appel de ses chefs "à combattre LES extrêmes". De Blanquer à O. Grégoire, des ténors LR à Borne, les contorsions sémantiques n'ont jamais été plus explicites. Que la bourgeoisie préfère in fine (quand les affaires tournent moins bien) Hitler au Front Populaire n'est pas pour nous surprendre, la surprise vient plutôt du fait que cela puisse encore nous surprendre. Cette naïveté avec laquelle les bisounours de Gauche n'ont eu de cesse de s'effacer, au nom de je ne sais quelle morale, s'est bien sûr retournée contre elle.
L'humiliation pour ces millions de gens qui en avril encore ont voté malgré tout pour l'abominable Macron et aujourd'hui traités de dangereux extrémistes anarchistes antisémites atteint son paroxysme. Voir les ministres draguer ostensiblement les semi analphabètes en costard fascistoïdes achève sans nul doute toute velléité de leur part de s'opposer dans les urnes à la dame aux chats.
Le barrage républicain était naturellement à sens unique. En direction des possédants. Avoir pensé que l'on pouvait être de droite et profondément républicain était bien d'une naïveté grossière. C'est faire de De Gaulle et de Chirac une normalité dans un camp qui a toujours préféré Napoléon à Bonaparte et a versé plus de larmes pour l'exécution de Louis Capet que pour celle des Communards. La droite n'est républicaine que lorsque la gauche est puissante. Pour l'empêcher d'accéder au pouvoir elle est prête à tout, elle l'a une nouvelle fois démontré, avec sa coutumière efficacité.
Mortalité infantile : La NUPES est sur la liste
La coalition de Gauche et des écologistes survivra-t-elle ? Peu de chance, passés les premières semaines. Déjà Fabien Doriot Roussel a-t-il craché son piètre venin sur elle, sans doute marri d'avoir été réélu grâce à cette dernière. La conversion des écolos et des socialistes à l'antilibéralisme insoumis paraît encore bien fragile. La tentation d’"accéder aux affaires" fut-ce sur un strapontin, pourrait bien tout emporter. D'abord quelques départs discrets, quelques dissidences internes puis des morceaux entiers…
Surtout il faudra affronter les prochaines échéances électorales, peut être bien plus précoces qu'anticipées sans leader naturel, Mélenchon parti. Cette alliance malheureusement si peu populaire et si middle class, armée de 140 députés pourrait bien être un colosse aux pieds d’argile qui s'effrite rapidement. Déjà, parviendra-t-elle à former un groupe plus important numériquement que le RN pour prendre la présidence de la commission des finances ? Cela semble déjà compromis. Semé d'embûches, le chemin vers une véritable union promet d'être chaotique.
Le macronisme est mort, vive la droite rance !
Peut-on parler de compromission lorsque l'on parle de macronisme. Pour paraphraser J. Branco, ils ne sont pas compromis, ils sont la compromission. La plasticité redoutable de cet objet, de cette étoile filante que fut le macronisme est devenue sa marque de fabrique originelle. Mais l'objet mutant n'a cessé de dériver… vers la droite. Le radeau de la méduse macronien navigue désormais en eaux troubles entre requin Ciotti, ogre Bardella et renards écolo-socialos pénitents.
Les Français par leur vote, ou leur absence de vote lui ont clairement signifié qu’ils préféraient tout plutôt que de le laisser gouverner. Tout plutôt que de revivre ces cinq saisons en enfer qui ont traumatisé tout un peuple, défait la nation, appauvri les pauvres et considérablement engraissé les plus riches. Tout plutôt que d’avoir à supporter les incantations des vaccinologues, la ségrégation sanitaire, la violence déchainée sur les gilets jaunes, les services publics anémiés, les pensions amputées, les allocations rognées, les soupes populaires d’étudiants, les grands-mères mourant seules dans des hôpitaux fortifiés.
Or, de cette chambre chamarrée qui promet des Verdun et des Berezina législatifs en pagaille, il est hautement probable que les vieilles recettes de la droite traditionnelle sortent renforcées. Compression des dépenses, politique de l’offre, autoritarisme débridé, réduction des minimas sociaux, éloge des valeurs traditionnelles et virilistes. Une sorte de trumpisme à la Française qui s’appuiera non sur les réseaux sociaux (devenus seul espace de débat démocratique du pays dans l’indifférence générale) mais sur les médias vieillissants et usés de la télé et de la radio. La chasse à l’immigré connaîtra une forme d’apothéose, les lacérations des tentes de réfugiés ne suffiront plus. Les chasseurs, censés participer à l’ordre public veilleront au grain.
Un fillonisme technophile nous servira de boussole idéologique couplé d’un atlantisme aveugle et d’un européisme béat. La numérisation de nos données personnelles et intimes, la généralisation de la vidéosurveillance pour tout viatique sécuritaire. Les experts en blouses blanche ou en uniforme pulluleront et iront peupler les innombrables commissions ou animer les improbables débats qui ne parviendront pas même à servir de catharsis aux Français désabusés.
Car l’objet Macron est définitivement enterré. Le type ne pourra pas se représenter en 2027, son parti n’existe pas et les quelques piliers du premier quinquennat se sont tous fait étriller lors des élections.
Triangle des Bermudes, et quarantième rugissants en vue
C’est donc privés de toute capacité et volonté d’agir que les Français vont devoir affronter une série de crises imminentes d’une toute autre ampleur que nos querelles nationales.
A l’évidence frappe à la porte une immense crise sociale. Les plaies ouvertes en 2008, rouvertes par la pandémie, n’ont de cesse de s’élargir face à l’inflation galopante et à la « modération salariale ». Les chèques alimentaires (qui n’ont pas vu le jour) ou les rabais à la pompe (illusoires) gonflent l’endettement national. Les prêts à la consommation vont dès lors se multiplier…et leur remboursement devenir hypothétiques vu l’augmentation des taux qui se profile. Accroissement de la dette publique comme de la dette privée, multiplication des impayés ne pourront être évités.
Mais la tourmente boursière, suite au relèvement violent des taux, la fin de l’argent gratuit aux Etats-Unis, la situation géopolitique internationale (Ukraine) et la croissance en berne de la Chine (5% cette année et encore) annoncent une tempête financière violente. Comme en 2008, les banques et les assurances vont s’amuser à nous faire peur et appeler des Etats anémiés à venir à leur rescousse, provoquant en retour des politiques budgétaires encore plus drastiques, de la spéculation sur les monnaies, des spread européens intenables, des licenciements en masse etc..
Pourtant tout cela n’est rien face au cataclysme environnemental qui se matérialise sous nos yeux avec une violence insoupçonnée. Partout sur le globe sécheresses inédites, canicules historiques, précipitations record… L’agriculture mondiale entre dans une phase d’Ancien Régime, où la quantité de nourriture dépend à nouveau de variations météorologiques face auxquelles nous sommes impuissants. Face à la sécheresse, au manque d’eau, engrais et pesticides ne pourront rien. Les plus riches paieront plus cher et les pauvres crèveront, on le sait. Mais ces pauvres ne vont pas se laisser mourir, ils vont tenter de fuir, par millions, partout où c’est possible. La déstabilisation qui vient est sans nul pareil. La crise migratoire des années 2010 sera qu’une esquisse de ce qui advient.
Face à tous ces fléaux et de tous ceux qui surgiront d’ici quelques mois ou années (une pandémie ? une guerre sino américaine ? Un terrorisme international déchainé ?), le résultat des élections législatives font bien pâle figure… mais pas sûr que la nouvelle Assemblée soit en état de tenir plus longtemps qu’un fétu de paille dans la tornade.
On a chassé le macronisme, trop tard, trop mal. Nous partons au front avec un pistolet à bouchon.