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Billet de blog 25 juin 2024

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Arithmétique électorale à 4 jours du premier tour des législatives

RN et alliés entre 32 et 36%, NPF qui plafonne à 30%, Macronie en dessous de 20% et une participation probable à près de 70 %. Quelque chose ne va pas dans cette comptabilité. Quelques pistes de réflexion.

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1/ Le Front populaire : incapable d'additionner les voix des partis de gauche aux européennes ?

Si l'on additionne les % des partis de gauche qui composent aujourd'hui le nouveau front populaire le total est de 31.64 % (PSPP 13.83 LFI 9.9, EELV 1.36, PCF 2.36). Or aujourd'hui le NPF est testé entre 28.5 et 30 % au maximum.

Cela signifierait donc que  l'union de toute la gauche du NPA au PRG aboutit à une dynamique négative.

Le surcroît de participation ne lui profiterait pas davantage. Au contraire, le gain de près de 15 points de participation (de 51.5% à 65%) entre les européennes et ce premier tour des législatives jouerait en sa défaveur. Il n'y aurait aucune surmobilisation de l'électorat de gauche dans un contexte si tendu.

Si l'on compare le nombre de voix obtenues par la Gauche entre les européennes de 2019 et celles de 2024 (à taux de participation quasi équivalent) le gain net en voix s'établit autour de 800 000. (sur 2.1 millions de bulletins exprimés supplémentaires).

Les 7.81 millions de voix de gauche aux Européennes de 2024 sont à comparer aux 6.5 millions de voix (NUPES + Div G) obtenues au 1er tour des Législatives de 2022 (avec un taux de participation inférieur de 3 points soit 4 millions d'exprimés en moins). Avec une participation qui passe de 47.5 à 51.5 entre ces deux élections, la gauche gagne donc 1.3 million de voix entre les législatives et les européennes.

Ces 7.81 millions de voix de gauche aux européennes sont aussi à comparer au 1er tour des présidentielles de 2022 où les candidats de gauche cumulaient 11 millions de voix (avec le NPA) avec une participation de 73.7% et 35 millions d'exprimés. Ainsi entre le premier tour des présidentielles et les européennes 2024 : -22 points de participation, -11 millions d'exprimés - 3.2 millions de voix de gauche et un total de 31.5% des exprimés, très proche du score des listes de gauche aux européennes. Le réservoir de voix du NFP est important et il devrait pouvoir compter sur une mobilisation importante de son électorat au vu du péril.

2/ Un RN qui profiterait à plein des ralliements mais sans dynamique propre.

La scission de LR et celle de Reconquête ramène si l'on en croit les sondages près de la moitié cumulée de ces deux électorats. LR obtient 7.2% des voix aux européennes ( évalué à 6.5% dans les sondages les plus récents) et Reconquête 5.5 % (testé à 1.5%) . Le RN+alliés est testé à environ 36 % des voix pour 31.5 % obtenus par la liste RN aux européennes.

Le RN n'améliore donc son score que grâce aux ralliements. La liste RN obtient 7.76 millions de voix aux européennes à comparer 8.1 millions de voix obtenues par Le Pen au 1er tour des Présidentielles 2022. Elle ne perd donc que 500000 voix  sur 11 millions de bulletins exprimés en moins ! Ces résultats sont ils dus à une surmobilisation de l'électorat RN de 2022 aux européennes ou à un glissement massif d'électeurs Macron vers l'extrême droite ?

Pour tenter de répondre prenons les taux de participation des 10 départements métropolitains où Le Pen fait son meilleur score au 1er tour en 2022 et comparons les à la participation moyenne des européennes 2024. (51.5% pour rappel)

Par ordre décroissant il s'agit de l'Aisne, du Nord, de la Haute Marne, des Ardennes, de la Haute Saône, de l'Aube, l'Oise, de la Meuse, des Pyrénées orientales et enfin de l'Eure. (de 39.3% à 32.3% au premier tour) Tous l'ont également placée en tête au second tour. Sur ces 10 départements la participation aux Européennes est inférieure dans 2 (Aisne et Nord) à la moyenne nationale tandis que dans les 8 autres elle l'excède de 1 à 7 points ( Haute Saône) !

Si l'on prend les 5 départements métropolitains où Marine Le Pen fait ses scores les plus modestes en 2022 (Paris (5.54%), Hauts de Seine, Val de Marne, Seine Saint Denis, Yvelines (13.77%)) leur taux de participation aux européennes dépasse la moyenne nationale pour 4 d'entre eux tandis que la Seine Saint Denis est 8 points au dessous.

Donc les départements acquis au RN se sont mobilisés davantage ainsi que la plupart de ceux où il est moins implanté. Remarquons toutefois que dans ces derniers les scores du RN sont partout supérieurs  à ceux obtenus en 2022 (de 3 à 7 points) en réunissant  à peu près autant de  suffrages entre les deux scrutins (+/- 5000 voix selon les départements)

Ainsi, tout porte à croire qu'on a assisté à une surmobilisation de l'électorat RN lors des élections européennes : la proximité du nombre de voix recueillies entre le 1er tour des présidentielles, la relative surmobilisation des départements acquis au RN et l'amélioration de ces scores et la stabilité du nombre de voix obtenues dans ceux où il est traditionnellement faible. Cela laisse suggérer une faible réserve de voix dans un contexte de hausse de la participations aux législatives. Son seul apport proviendrait des ralliements d'Eric Ciotti et de Marion Maréchal.

3/ Un bloc macroniste en reprise ?

Après avoir atteint péniblement 14.6% des suffrages aux élections européennes et perdu plus de 2 millions de voix par rapport aux législatives et plus de 6 millions si l'on compare au 1er tour de 2022 , le bloc macroniste avoisine dans les sondages la barre des 20%. Comment interpréter ce rebond de plus de 5 points ? D'où viennent-ils ?

En deux semaines, l'isolement de Macron dans son propre camp est devenu manifeste, les ténors de sa coalition prennent un à un leurs distances. Le projet de la "majorité présidentielle" a du mal à émerger et la dynamique sur le terrain marque d'évidents signes de faiblesse. Le visage du Président a disparu des affiches de ses candidats. Son relatif effacement permettrait de remobiliser son électorat qui se serait éparpillé sur différentes listes ou qui se serait abstenu . Une partie aurait peut être choisi le candidat de centre gauche Glucksmann ? Mais dans ce cas la remontée effectuée se ferait au détriment du Nouveau Front Populaire ce qui ne semble pas être le cas ou en tous cas insuffisant : le NPF semble sous côté de deux à trois points maximum mais G. Attal améliorerait le score de V. Hayer de plus de 5 points avec une augmentation de la participation de 15 points. Soit un gain de voix qui serait de l'ordre de 3.5 millions de voix en deux semaines ! En effet 49 millions d'inscrits et participation à 65 % suppose environ 31.9 millions de votants. Pour atteindre 19.5 %, il faut réunir environ 6.22 millions de voix soit un gain de plus de 2.7 millions de voix !

Cela semble démesuré dans un contexte politique ou les forces centrifuges semblent s'emparer de l'ex majorité présidentielle certains songeant à gouverner avec les partis modérés de gauche, d'autres cédant de plus en plus ostensiblement aux sirènes de l'extrême droite. Ce regain de vitalité sondagière ne peut donc s'expliquer que par une très puissante remobilisation de l'électorat macroniste dont on ne perçoit aucun signe tangible autre que dans les sondages.

4/ Le mystère LR : une remarquable stabilité sondagière malgré l'éclatement.

La stabilité sondagière de LR est des plus étonnante après la farce grotesque du ralliement de Ciotti au RN. Non seulement Les Républicains ne perdent pas de terrain par rapport à leur score aux Européennes et leurs 7.25% mais ils en gagnent si l'on aditionne les deux composantes LR canal Historique + LR canal Ciotti (LR-RN) culmineraient à 11% des intentions de votes. Le score des candidats LR-RN tourne à 4% des intentions de vote chez Cluster17. Or cette alliance ne présente que 62 candidats sur 577circonscriptions. Comment parvenir à un tel score national sur 11% des circonscriptions ? C'est arithmétiquement impossible.

5/ Les Divers Gauche, quels divers gauche ?

Entre 1 et 2 % désormais les Divers gauche, cette catégorie fourre tout inclut sans doute nombre de candidats outremer, les 4 dissidents LFI, quelques PS qui ont refusé l'investiture NFP en Ariège notamment, le dissident PS face au candidat LFI dans le Vaucluse ou encore celle de J. Guedj en Essonne. Ce qui importe ici, c'est que quoique non estampillées NFP ces candidatures peuvent être in fine ajoutées au score du NFP. En cas d'élimination au premier tour, leurs voix se reporteront au second et en cas de victoire, ces quelques députés siègeront aux côtés de ceux du NFP.

6/ Triangulaires potentielles, triangulaires effectives et reports de voix

Les sondages prédisent jusqu'à 170 triangulaires. La configuration de la majorité d'entre elles place les candidats macronistes en 3ème position sans espoir de l'emporter. Par ailleurs, si l'on en croit les sondages toujours, 70% des électeurs macronistes seraient prêts à "faire barrage" au Nouveau Front Populaire, tandis que le Gouvernement semble majoritairement s'orienter vers un "ni -ni".

Passé l'effet de sidération et le rappel que le Président a été deux fois élu grâce aux voix de barrage de la gauche, portons quelques réflexions.

Les candidats maintiendront-ils leurs candidature, les frais et l'énergie que cela suppose sans aucun espoir de victoire, d'autant que leurs électeurs auront tendance à se démobiliser ? Y aura-t-il des consignes nationales de retrait ? Je fais ici l'hypothèse que peu feront le choix de poursuivre leur calvaire jusqu'à la lie.

Les autres configurations de triangulaires mettant les candidats NFP en troisième position verront très certainement les candidats se retirer et la plupart du temps avec consignes a minima de "battre le RN ". Ainsi alors qu'Ensemble bénéficiera du report de la gauche, celle-ci n'aurait pas le report du bloc de droite ?

Pour les duels NFP Ensemble, Bardella a déjà appelé à battre le NFP. Une tribune parue hier qui comprend des candidats du centre gauche du NFP et d'autres du bloc macroniste appelle de son côté à des désistements réciproques face au RN. L'objectif étant de détacher LFI du NFP et d'obtenir une majorité centre droit centre gauche pour gouverner. Il est fort probable donc que dans le cas de triangulaires avec Macronistes en 3ème position il y ait un désistement en faveur des candidats du NFP si ce dernier n'est pas LFI.

Ces stratagèmes sont particulièrement dangereux et placent LFI dans une situation quelque peu inconfortable. Je pense que les candidats LFI arrivant 3ème se désisteront en appelant à battre le RN ou en disant à leurs électeurs qu'ils savent ce qu'ils ont à faire. Cependant, la réciproque venant des macronistes apparaît aujourd'hui peu plausible. Peut-être que la prestation réussie et rassurante de M. Bompard au débat d'hier sur TF1 apaisera-t-elle le niveau des attaques et des calomnies subies jusqu'ici par l’exécutif ? Mais cela ne les convaincra certainement pas d'adopter une attitude républicaine jusqu'au bout.

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