Je ne souhaite pas enjamber le scrutin de dimanche, car je sais que le ressentiment d’une France archipélisée et en déprise est plus fort que la description par le menu de l’incompétence ou du racisme ordinaire des candidats frontistes, mais je ressens aussi confusément le besoin d’endiguement d’une France qui reste peu ou prou républicaine dans sa majorité. Donc, je pars du principe qu'un gouvernement dont le barycentre pourra être à gauche s'envisage après le 7 juillet.
Il s'agit maintenant de construire des majorités d'idée sur un canevas programmatique qui permet de faire perdurer durablement le reflux frontiste.
Des bases solides peuvent le permettre. Si le RN est à moins de 200 députés dans un contexte qui leur était très favorable, ils ne seront pas loin de l'échec cuisant. Pour autant, ils auront un groupe assez puissant pour alimenter la chronique de députés, certes endimanchés, mais dont le pédigré va continuer à être scruté de près. Il faut bien l'admettre, leur campagne législative aura été calamiteuse et aura démontré qu'ils sont structurellement un parti radical régit par des fonctionnements groupusculaires qui les empêchent de fixer durablement un électorat ultra conservateur ou poujadiste (en gros, l'électorat Filloniste de province de 2017). Pour autant, ne pas apaiser, transformer, transcender le pays conduira fatalement à la réification de ce fascisme d'embuscade.
Dans cette mesure, il existe un périmètre politique pour un Gouvernement d’Urgence Républicaine (GUR).
Pour dépasser, la question de l’empilement programmatique, il faut, à mon avis, renverser la perspective. La question est avant tout politique. Comment enfin faire baisser l’influence de l’extrême droite xénophobe, autoritaire en France sur la durée ?
La droite, voire le centre droit, a longtemps pensé qu’il fallait simplement courir après Marine Le Pen sur le terrain régalien (la légitimant ainsi) tout en poursuivant des politiques libérales induisant un décrochage des territoires périphériques très dépendants des dotations de transferts pour les collectivités territoriales et de l’action régulatrice de l’Etat central, via la qualité et le maillage de nos services publics.
Le phénomène à l’œuvre a eu pour conséquence de positionner la droite comme impuissante à régler les problèmes du quotidien des classes moyennes paupérisés des périphéries françaises tout en soutenant une vision de fragmentation et de conflictualité ethnique et sociale qui a justifié le vote mariniste, surtout pour la part la plus conservatrice et réactionnaire de l’électorat de droite des territoires ruraux et semi-ruraux.
Cela étant dit, je crois que nous devons nous désincarcérer du surmoi fascisant sur les questions régaliennes (non qu’il ne faille pas les traiter et j’y reviendrai), mais parce qu’on nous attend sur trois points fondamentaux :
- La reconquête des territoires par les services publics, y compris de sécurité,
- Le pouvoir d’achat soutenu par les salaires (et financé par une politique fiscale plus égalitaire),
- Une conduite de l’Etat plus délibérative envers l’ensemble du corps social.
Dans cette mesure, je soumets 10 priorités du GUR, priorités qui ne sont pas la somme de programmes contradictoires de l’arc républicain, mais une fusion / alliage qui répond au temps politique troublé et qui justifient point par point une majorité probable par texte et une mise sur la défensive du RN qui devra justifier son refus de mesures socialement justes, révélant ainsi sa vraie nature libertarienne au plan économique.
Les 100 jours pour réenchanter la République fraternelle et sociale passeront par :
L'abrogation la réforme des retraites en revenant, dans un premier temps, à la réforme Touraine puis en plaçant, dans une grande conférence sociale de rentrée, un point central de réforme autour de la modulation de la décote en fonction des parcours professionnels et de vie. En somme, plus la retraite est basse plus la décote l’est tout autant. Autre modulation à faire jouer, la question des annuités permettant d’accéder à une retraite à taux plein, là encore il sera pertinent d'envisager une modulation tenant vraiment compte des questions de pénibilité et de parcours professionnels fragmentés. La grande conférence sociale, sur ces bases, devra traiter des nouveaux financements et envisager une part de financement par l’impôt, et non seulement sur l’assiette des cotisations, dans une optique beveridgienne.
Une grande loi de régulation de l’installation des médecins sur l’ensemble du territoire reprenant et amplifiant la proposition trans partisane portée par Guillaune Garot pour lutter contre les déserts médicaux.
Une nationalisation des établissements hospitaliers régionaux avec une grande loi de programmation sur l’hôpital public et un plan « pas un service d’urgence fermé cet été »… Cette reprise en main par l’Etat des hôpitaux territoriaux induira, dans un second temps, une réforme des ARS.
La remise à plat de ma prime Rénov et la préparation d’une grande loi de financement permettant la rénovation thermique des bâtiments privés ainsi qu’une une systématisation et une publicisation de la rénovation du parc social existant.
Une politique migratoire assumée sur des critères établis induisant des filières migratoires légales et une régularisation des travailleurs sans papiers et des familles d’enfants scolarisés (fin donc du pouvoir discrétionnaire des Préfets et de la circulaire Valls). On pourra envisager une application efficiente des OQTF, mais là encore sur des critères précis et avec préalablement des signatures de coopération et d’aides financières avec les pays émetteurs. Enfin, nous devront élargir les critères de l'asile, notamment en incorporant un nouveau critère lié à l’exil climatique.
La mise en place de la police de proximité et fin de la réforme Darmanin sur la départementalisation de la police judicaire, grand plan antidrogue en partenariat avec les grandes métropoles concernées dans de nouveau CLS tenant compte de ces trafics systémiques.
La mise en œuvre de prix planchers pour augmenter les revenus agricoles des exploitants notamment laitiers.
Le lancement d’une Conférence salariale, avec une première hausse du SMIC de 8% dès le 1er septembre 24 absorbable dans cette mesure par les TPE PME et établissement, avec les partenaires sociaux, de mécanismes globaux d’hausses indiciaires dans les différentes branches d'activités de l’économie française.
Des mesure fiscales emblématiques permettant une réintroduction de la justice fiscale tout en dégageant des recettes pour établir un plan de désendettement, de réduction du déficit public dès le budget 2025. C'est par ces marges fiscales qu'également nous financerons nos premières mesures sociales correctives. Trois réformes fiscales indolores pour les particuliers pourraient être : l’établissement d’un ISF vert, une taxe sur les superprofits et la fin de la flat taxe.
Une perspective de réforme institutionnelle pour proposer une respiration démocratique et répondre à l’une des revendications des Gilets Jaunes, la mise en place d’un Référendum d’Initiative Citoyenne avec des modularités de périmètre de saisine régulés par le législateur, mais qui donnerait une perspective civique à la crise démocratique que nous traversons.
Ce programme républicain n’est pas un ripolinage de celui du Nouveau Front Populaire, il induit des bougés, notamment sur les questions de sécurité publique que les grands élus des métropoles, y compris écologistes peuvent très bien comprendre.
Bien sûr, les urgences ne se réduisent pas à ces 10 points et la question du soutien à l’école publique où la fin de politique de l’offre en matière de construction de logements sont aussi à envisager rapidement.
Ce programme d’impératif républicain est éminemment différent de la philosophie d’action publique du Président de la République car il remet en cause la pratique verticale et managériale d’Emmanuel Macron, interroge aussi la théorie du ruissellement et met fin à ce mantra des politiques publiques macroniennes, celui qui veut que l’on aide bien ceux qui vont déjà bien. Ce qui réduit d’autant, à termes, l’assise sociologique donc électorale d’un gouvernement menant une telle politique.