Lorsqu'un événement se répète en politique, on passe de l'anecdote au système.
Il n'est donc pas anodin qu'après le recadrage du ministre de l'économie puis les excuses du premier ministre à Marine Le Pen concernant les propos d'Antoine Armand sur le fait que le RN "ne faisait pas partie de l'arc républicain", nous constatons que Michel Barnier se recadre lui-même, après une nouvelle "fureur" de la présidente du groupe frontiste à l'Assemblée nationale" courroux concernant la désindexation des pensions de retraite à l'inflation, pour une durée de six mois.
Il ne s'agit pas ici de discuter de la mesure elle même qui, en effet, fleure bon la politique austéritaire du "pied de colonne" budgétaire, là où l'on sabre sans distinction une dépense utile, notamment aux retraités modestes, mais de s'interroger sur le mode de gouvernement que nous sommes en train de vivre et de ses conséquences pour notre avenir démocratique.
Ainsi donc, Marine Le Pen serait la vigie de l'action gouvernementale, ce qui induit en creux, voire en plein que la ligne que l'on cherche de manière infructueuse dans la politique de Michel Barnier est à trouver dans le programme et les intérêts de circonstances du RN.
Ainsi le parti de Marine Le Pen préempte tout. Le discours d'ostracisation à son encontre corrigé fissa par le chef du gouvernement, ce qui permet de l'adouber dans le champ des partis de gouvernements, les questions sociales quand des politiques budgétaires inégalitaires vont faire florès avec le volet dépenses de la loi de finances ou quand elle se révèle soudainement porte drapeau de l'abrogation de la mesure d'âge de la réforme des retraites et bien sûr les questions migratoires quand le zemmouriste de la Place Beauvau croit qu'en appliquant le programme de Renaud Camus, il prendra lui-même la lumière et amoindrira le RN à son profit et celui de son parti croupion.
Mais le pire n'est pas qu'elle se positionne comme chef d'orchestre du tempo gouvernemental, mais qu'elle soit entendue et qu'un rituel de légitimation puissant soit assumé par le premier ministre. Quand Michel Barnier propose une politique publique antisociale et que Marine Le Pen toussote, il change de cap, alors que l'opposition de gauche argumente de la même manière, mais n'est absolument pas écoutée. Ainsi, il accrédite l'idée que la seule force d'opposition digne de reconnaissance par le gouvernement est le RN.
On se retrouve donc à l'exacte opposé du cordon sanitaire, mais dans l'institutionnalisation accélérée d'un parti d'extrême droite. La droite française se comporte de manière complètement orthogonale par rapport à ses homologues européens qui eux, assument leur maintien au pouvoir par la réification des forces démocratiques pour asseoir leur leadership gouvernemental (comme en Autriche ou en Allemagne) ou en amenuisant la force d'attraction de l'extrême droite en rechignant à leur soutien (comme en Suède ou en Finlande).
Cela en dit long sur l'état de déliquescence des LR qui, éloignés du pouvoir d'Etat, sont restés sur des logiciels obsolètes en matière de gouvernance et ont dérivé sans vergogne vers la droite identitaire par paresse et conviction profonde.
Cette situation politique est en tous les cas extrêmement préoccupante car la droitisation des politiques publiques assortie d'une imprimatur d'un parti ami de l'AFD et du FPO permet au RN de manière très efficace de crever le dernier plafond de verre qui l'empêche d'accéder au pouvoir, soit son caractère "radical" au plan identitaire et totalement incohérent au plan économique et social, entre clin d'oeil au patronat et satisfaction de son électorat populaire.
En extrêmisant les politiques régaliennes et en donnant une sorte de prééminence d'écoute au marinisme sur la question sociale au dépend de la gauche, Michel Barnier et son gouvernement assèche la matrice profonde du front républicain, soit la barrière étanche et historique entre l'extrême droite française et les valeurs républicaines.
Cette attitude tactique relevant de la survie est une faute morale et à cette aune seule, ce gouvernement ne doit pas trop perdurer.