« Tant que ce mot : antifascisme ne sera pas prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne ».
C’est pour cette phrase d’interpellation que l’ensemble du discours d’Antonio Scurati, grand romancier du mussolinisme, a été censuré par la RAI, donc par le gouvernement Meloni, lors des célébrations du 75 ème anniversaire de la Libération italienne du joug fasciste, il y a de cela quelques semaines
Dans une République italienne constituée après-guerre par l’antifascisme, mais actuellement gouvernée par des nostalgiques du Duce, cette polémique prend des allures de combat frontal autour des spécificités de la démocratie et des institutions italiennes, mais sa résonnance transalpine est évidente.
Dans notre pays, il aura fallu attendre l'urgence antifasciste liée à la dissolution de l'Assemblée nationale, pour un début de soulèvement intellectuel contre l’ambiance nationaliste et xénophobe qui pourtant infusait depuis longtemps. Honnêtement, comme le rappelait Ariane Mouchkine, nous avons oublié depuis quelques années de mettre en branle l'art et de la morale comme outil d'émancipation égalitaire en faveur des territoires et des catégories sociales précarisées et périphérisées. Avouons-le, l'art n'était plus dans l'arène des luttes, il doit y revenir.
Trop longtemps, nous n'avons rien dit face à l’apathie à nommer les choses de la part de nos gouvernants complaisants envers la gente fasciste. En France, les propos de l’auteur de « M » auraient été, il y a encore peu, inconcevables et c’est cela qui interroge notre vocation de société démocratique avancée.
Un écrivain engagé prononçant un discours développant l’idée que nos dirigeants politiques doivent être capables de qualifier prosaïquement l’adversaire de la démocratie pour le combattre serait ici vilipendé de manière peu amène.
Très vite serait convoqué les qualificatifs soi-disant infamants, de gauchistes, éveillés totalitaires, élites germanopratines déconnectées des vraies gens et autres joyeusetés sémantiques narrées dans un entrelac de « commentarisme » télévisuel et de boue charriée sur les réseaux sociaux. L'académisme universitaire n'est pas en cause, mais il est resté bien sagement sur son Aventin. Il a laissé la crasse nationaliste et xénophobe envahir l'atmosphère métapolitique et donner le là jusqu' à la nausée.
A l'occasion du moment politique historique que nous vivons, la reconquête du terrain idéologique antifasciste doit donc très vite passer par le martèlement des mots, mots embrasés, mots de témoignages, mots de luttes, afin de générer une rhétorique fédératrice à même de mobiliser les collectifs et partis progressistes qui pourront ainsi se référer à ces marqueurs sémantiques pour s’opposer à la dérive autoritaire déjà à l’œuvre et au risque immédiat de la prise de pouvoir par l'extrême droite racialiste et anti sociale.