Laïcité, j’écris ton nom.
Cette année, plus que toutes les autres, nous célébrons la loi de 1905 comme un héritage précieux de notre République. Alors que le monde se charge de tensions religieuses et identitaires vilement exploitées par les marchands de haine et les profiteurs de guerre civile, je pense qu’il faut rappeler cette vérité, simple et évidente : en France, la laïcité a gagné. Elle s’est installée au cœur de notre République, non comme un compromis, mais comme un principe indiscutable.
Malgré l’argent de leurs mécènes millionnaires mal intentionnés, Bolloré, Qataris, Stérin et consorts, quelques excités salafistes, quelques calotins rétrogrades ou quelques rabbins extrémistes n’y changeront rien : l’État reste neutre, la société reste séculière et nos concitoyens vivent à l’abri d’une République laïque, qui offre l’asile à toutes les croyances, et protège toutes les consciences.
Ce sont là des acquis immenses, souvent sous-estimés. Car ce que notre société a conquis avec la loi de 1905, ce n’est pas seulement une séparation juridique et le socle de la République. C’est une paix civile. La sécularisation de la société française, loin d’être un combat quotidien, est désormais une réalité structurelle que même l’horreur et la tragédie criminelle des attentats islamistes dont nous avons commémoré le 10e anniversaire n’auront pas réussi à remettre en cause.
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Mais dans le sillage sanglant de ces attaques contre la République, s’est confortée une dérive inquiétante, initiée depuis le tournant du siècle. Depuis deux décennies maintenant, la laïcité est instrumentalisée, dévoyée, détournée. Au lieu d’être le rempart contre les dominations religieuses, elle devient parfois l’alibi commode pour désigner un groupe– toujours le même d’ailleurs – et pour l’exclure, lui faire sentir qu’il est « de trop ». On ne protège plus la République : on désigne des citoyens comme étrangers à la République.
Cette déformation n’est pas un accident. Elle est portée, de façon insistante, par une droite radicalisée qui cherche à donner une respectabilité républicaine à ses obsessions racistes et son projet réactionnaire. La laïcité se pare alors de grands mots — neutralité, ordre, civilisation — pour masquer un tri : distinguer à coup de saucisson et de voile, les « bons Français » des « mauvais Français ». C’est une logique dangereuse, qui cherche à fracturer l’unité nationale au nom d’un principe qui devait la garantir.
Pire encore, ce discours glisse parfois dans une partie de la gauche. Au nom d’un athéisme républicain ou d’un noble combat contre l’antisémitisme, certains de nos camarades de lutte se sont laissés entraîner sur le terrain miné des conflits identitaires : celui où l’on confond la défense des principes républicains avec la volonté de contrôler les corps ou les apparences. La République exige qu’on la serve à visage découvert, mais elle ne force personne à renoncer à sa liberté de conscience, même au nom de l’émancipation. Elle demande d’abord à chacun de respecter l’autre.
Avec ces « laïcs-là » républicains dans la lettre, mais jamais dans l’esprit, la laïcité devient le cheval de Troie du retour du refoulé colonial, où le racisme des « civilisations supérieures » se voile derrière le discours de l’émancipation des femmes ou les couleurs du drapeau.
Contrairement aux discours des paranoïaques de l’entrisme, la laïcité n’a pas besoin d’être plus dure. Elle a besoin d’être plus juste. Nous n’avons pas à inventer de nouvelles séparations, mais de nouvelles inclusions. Sans naïveté sur les forces qui nous menacent, nous devons juste rester fidèles à l’esprit de 1905 : un État neutre, une société libre, des citoyens égaux.
Ceux qui prétendent aujourd’hui sans rire se revendiquer de la laïcité seraient bien inspirés de méditer la leçon de ses fondateurs. Pour les Buisson, Jaurès, Blum ou Briand, la spiritualité laïque n’était pas une religion de remplacement, mais une exigence morale : la liberté de conscience, l’autonomie de l’esprit et la dignité humaine font de la laïcité le cadre d’une élévation. Elle fonde la liberté individuelle à chercher du sens, tandis que l’école, la justice sociale et la fraternité nourrissent l’âme civique. Elle forme les fondations d’une paix intérieure, libérée de toute domination dogmatique.
C’est cela qui doit nous guider aujourd’hui, et rien d’autre.