Marc Bloch analysait dans « L’étrange défaite » comment la désinformation divulguée par la presse française était une des causes de la déroute de juin 1940. A la lumière de ce qui vient de se passer en Tunisie il est enrichissant de regarder de près quel a été le poids des médias dans le maintien au pouvoir de la clique Ben Ali-Trabelsi. Tout d’abord celle-ci interdit toute presse d’opposition tunisienne, refusa la diffusion dans le pays de la presse internationale un tant soit peu critique de son pouvoir. Cela nous le savions. Des informations récentes permettent de voir comment ce clan assurait sa promotion dans les médias français.
Le « Canard Enchainé « du 29 juin révèle comment une partie de la presse française a adressé ses louanges à ce dictateur. Par l’intermédiaire « d’Image 7 » dirigée par Anne Méaux, l’agence tunisienne de communication extérieure organisait des séjours gratuits à des représentants de la presse pour « promouvoir l’image de la Tunisie ». « Image 7 se félicite d’avoir mis en place(…) un réseau de relais d’opinion rassemblant les principaux dirigeants de la presse française bienveillants à l’égard du pays tels que :Etienne Mougeote (Le Figaro), Jean Claude Dassier (LCI), Nicolas de Tavernost (M6), Christian de Villeneuve (Paris Match, le journal du Dimanche), Dominique de Montvalon(Le Parisien) ». Plus loin le Canard mentionne les faveurs accordées à Françoise Laborde (Présentatrice du JT de France 2) devenue membre du conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dont le Président est Michel Boyon époux de Marie Luce Skraburski (chargée du dossier tunisien à Image 7). Celui-ci contenta certainement son épouse par cet hommage appuyé , paru dans « La Presse de Tunisie » au printemps 2010 : « Je suis impressionné par le remarquable niveau de développement atteint par la Tunisie (…) Les Français (…) soutiennent les efforts de ceux qui comme la Tunisie sous l’impulsion du président Ben Ali, sont déterminés à lutter contre toute forme de passéisme, d’obscurantisme qui conduirait à la régression sociale ou culturelle ».
Un autre article du « Canard enchainé » de Février 2011 explique, preuves à l’appui « comment Ben Ali a acheté les faveurs de « Jeune Afrique » en obligeant les patrons tunisiens à acquérir 10500 actions du groupe de presse ». Le groupe « Jeune Afrique est présenté sur Wikipédia comme le premier groupe de presse du continent africain, dont le magazine « propose une couverture objective de l’actualité africaine (…), il est depuis sa création en 1960 l’hebdomadaire de référence du continent ». Objectivité ? Référence ? Indépendance ?
Autre exemple concernant la Libye. Le 5 mars 2011, des douaniers s’intéressent à un jet privé, affrété par le pouvoir libyen, qui vient d’effectuer un aller-retour Paris-Tripoli. A son bord un journaliste, Laurent Valdiguié , un photographe du Journal du Dimanche (JDD) et l’homme d’affaires franco libanais Ziad Takiéddine. Ce dernier est un proche de Nicolas Sarkozy, il a servi de négociateur dans la libération des infirmières bulgares, et est un des intermédiaires dans la vente des sous-marins au Pakistan ( Contrat Agosta, Affaire Karachi). Dans la valise de Ziad Takiéddine les douaniers trouvent 1,5 million d’€ en liquide sans que celui-ci apporte une explication plausible sur l’origine de cet argent. Laurent Valdiguié est allé à Tripoli pour enregistrer une interview exclusive du colonel Kadhafi qui paraitra le lendemain dans le Journal du Dimanche (propriété du groupe Lagardère), interview exclusive reprise par tous les médias nationaux. Quelle valeur accorder à « l’information » diffusée ? à la pertinence des questions posées ?
Combien de journalistes et d’organes de presse sont-ils payés, directement ou par des avantages de toutes sortes, pour donner une image sympathique de dictatures sanguinaires et de régimes corrompus ? Dans l’affaire du Médiator la question des conflits d’intérêt a été mise en évidence, nous savons quels en furent les conséquences, dans les médias il en est de même Combien de faits révélés et beaucoup d’autres restés cachés sont la preuve qu’une presse vénale manipule l’opinion. Que saurions-nous de ces pays si c’était notre seule source d’information ? Tout part de l’information certaine, venant de journalistes indépendants. Pas d’opinion conséquente si elle ne s’appuie sur des faits vérifiés.
Je ne peux qu’opposer à ces médias manipulateurs les articles de Pierre Puchot dans Médiapart. La recension qui en est faite dans son livre « Tunisie, une révolution arabe » montre sa qualité d’observateur et d’analyste. Au-delà de la surface de la société tunisienne il décrit les forces profondes qui la traversent, au-delà des chiffres de la croissance il voit la misère et le désespoir de la population. Dès janvier 2010 il nous dit que : « …la répression est plus violente que jamais donnant au régime tunisien un arrière goût de fin de régime pourrissant », il parle « d’internet comme le dernier espace de liberté », ayant bien vu le rôle de ce média dans un pays cadenassé. Il n’est pas le seul, fort heureusement, mais que l’on ne parle pas des journalistes comme d’une corporation homogène. Certains font leur travail comme des professionnels indépendants, d’autres comme des propagandistes rétribués.
Les exemples repris ici ne sont que les derniers connus. Ils sont certes singuliers et ne valent pas démonstration. Les réseaux de l’information sont complexes, les influences multiples. Cependant des journaux et des journalistes perdent, à travers des faits révélés, toute crédibilité.