Il est logique qu'Edwy Plénel réplique aux attaques qu'il subit. Mais le long prêche de ses certitudes ressassées, faute de faits et d'arguments n'est pas une ouverture pour un débat. Dans sa croisade pour défendre le "Parti du déni", il présente l'histoire comme toute simple. Il prétend comme dans les contes pour enfants qu'il y a deux camps, un bon et un mauvais: Eux et leurs passions tristes, Nous et nos causes communes.
Ce "Nous" se voit attribuer toutes les qualités, celles qui manquent aux adversaires qu'il suffit de nommer pour savoir qu'ils ont toujours tort: Le Figaro Magazine, Valeurs Actuelles, Pascal Bruckner, Manuel Valls et Marianne. Tous sont exécutés dans un premier paragraphe. Ils sont "ceux qui ne veulent pas que le monde soit meilleur, plus juste, plus libre, plus égalitaire, plus fraternel...ils sont conservateurs... réactionnaires... égarés par la haine d'eux-même...violents et haineux... fainéants...indifférents au sort du plus grand nombre". Ces qualificatifs ne sont pas adressés à ceux qui commettent les attentats (alors qu'ils m'apparaissent comme, parfaitement, les caractériser), mais visent ceux qui s'opposent à ces meurtres et à l'objectif de dictature religieuse porté par ces fanatiques. En effet derrière la réponse à ces trois journaux quelle est la cible? Ceux qui voient chez les islamistes (qu'ils ne confondent pas avec les musulmans) des ennemis de la laïcité, de la démocratie et de l'égalité des hommes et des femmes, ceux qui sont révoltés par les assassinats partout dans le monde de personnes d'origines, de confessions, de philosophies différentes. Sont dans la ligne de tir les partisans d'une analyse de la multiplicité des courants qui se réfèrent au Coran, qui sont à la recherche d'un "Islam des lumières", d'un Islam laïc compatible avec les lois démocratiques, d'une société où les femmes ne sont pas des sous-hommes. A ces démocrates, que l'on retrouve dans tout l'éventail politique, dont les interrogations sont légitimes et participent du débat démocratique, aucune réponse. Il préfère se choisir un adversaire de droite ou d'extrême droite. Quand à Marianne, que l'on ne peut classer dans cette mouvance politique, pas une seule réponse n'est apportée à l'article de Renaud Dély "ceux qui ne veulent pas voir" ni à celui de Jean Birnbaum "Le déni nourrit la prolifération de la terreur". Dans son billet pas un argument, pas un fait, mais une litanie de convictions qu'il débite comme habité par la "Vérité".
L'histoire est pourtant pleine de moments historiques où, parmi un flot d'insanités, la presse réactionnaire profitait de l'aveuglement d'une partie de la Gauche pour informer sur des faits que celle-ci voulait dissimuler. L'exemple particulièrement éloquent est celui de la guerre froide et du stalinisme. La presse réactionnaire, ainsi qu'une minorité de gauche, dénonçait cette dictature sanglante, la suite démontra qu'elle avait raison. Une partie de la Gauche n'y voyait qu'attaques contre la "patrie des travailleurs" et la main de de l'impérialisme américain. Elle mit plusieurs décennies avant de tenir compte de la réalité soviétique. Les pleurs de nombreux militants sincères à la mort de Staline illustrèrent les dégats provoqués par une direction aveugle s'appuyant sur des intellectuels et des journalistes qui avaient perdu le sens de leur activité. Ceux qui dénonçaient la dérive totalitaire de la belle idée du communisme reçurent toutes les injures possibles et imaginables et certains furent éliminés. Ce rappel ne vaut pas démonstration. Cependant prendre appui sur des articles du Figaro et de Valeurs Actuelles pour tenter de décribiliser l'opposition fondamentale à une fraction politique de l'islam est un procédé sans aucune valeur argumentative.
Dans l'introduction de mon livre: "La démocratie face au défi de l'islamisme" (L'Harmattan 2016) je signalais déja cette tentative d'amalgame entre les attaques racistes contre les musulmans et les critiques de l'islamisme: "En renvoyant dans le même camp « islamophobe » les idéologues de résurgences fascistes comme Jean-Marie Le Pen, Renaud Camus ou Eric Zemmour, et d’authentiques laïcs comme Catherine Kintzler, Elizabeth Badinter, Caroline Fourest ou Jean-Luc Mélenchon, la « gauche du déni » rend un fier service aux intégristes de tous bords. Nous devons clairement nommer nos ennemis : « les baroudeurs » du djihadisme, mais aussi tous ceux qui pactisent avec les réseaux qui leur servent de vitrines rassurantes. Si nous ne sommes pas clairs sur notre opposition au fanatisme religieux, nous serons incapables de nous rassembler face à la multiplication des actes racistes ou discriminatoires, qu’ils soient anti-musulmans, anti-juifs, anti-noirs, anti-blancs ou dirigés contre les femmes et les homosexuels."1
Cet amalgame rend difficile l'analyse des différents courants qui traversent l'islam. Les écrits (que je recommande) de Féthi Benslama, Rachid Benzine, Abdennour Bidar, Charb, Jean Birnbaum, Abdelwahab Meddeb, Henri Péna Ruiz, Salman Rushdie, Kamel Daoud, Djemina Benhabib, Adonis, Malek Chebel, Sophie Bessis ou Amine Maalouf et bien d'autres, sont ignorés pour se choisir un ennemi au Figaro ou à Valeurs actuelles. Il est pourtant difficile d'ignorer que la religion musulmane est traversée par différents courants antagonistes qui se font la guerre. L'opposition Chiites-Sunnites est religieuse et politique. Le Wahabisme s'oppose aux Frères Musulmans et L'Arabie Saoudite est le moteur d'une coalition visant à isoler le Qatar. Les Frères Musulmans en soutenant le pouvoir autoritaire d'Erdogan en Turquie montrent que la démocratie n'est pas leur préoccupation principale, ce que Tariq Ramadan, figure de proue des Fréristes, cherche à dissimuler. Sur un plan politique parler "des Musulmans" n'a aucun sens. Etre pour ou contre revient à considérer les musulmans comme un bloc homogène ce qui à l'évidence ils ne sont pas.
La compagnie qu'Edwy Plénel trouve "plutôt avantageuse" se révèle sur ce sujet "plutôt discutable"
Si Edgard Morin se révèle un penseur important, il est moins perspicace quand il nous dit dans un entretien à Médiapart après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo: " Dans le fond il faut essayer de se réguler et ne pas offenser ce qu’il y a de sacré pour autrui…En même temps je suis pour la totale liberté d’expression. » Il ajoute : « J’assume cette contradiction. ». Façon subtile de refuser le droit au blasphème à ceux qui viennent d'être assassinés par des fanatiques qui dénient ce droit. Plus étonnant et plus inquiétant est de lire sous sa plume la demande faite au candidat à la présidence de la République François Hollande de modifier l’article 1 de la constitution qui dit «La France est une république, indivisible, laïque, démocratique et sociale » en remplaçant laïque par multiculturelle 2 En voulant supprimer la laïcité, partie essentielle de notre droit durement conquis contre tous les pouvoirs religieux en 1905, il donne raison aux intégristes religieux pour lesquels ce fut toujours un combat fondamental et à son interlocuteur Tariq Ramadan.
Emmanuel Todd qui ne manque pas de compétence dans sa spécialité, dérape complètement quand, toujours après les attentats de Charlie Hebdo, il qualifie de "simples d'esprit" les manifestants du 10 et 11 janvier 2015 et affirme qu'ils proclamaient que "caricaturer la religion est un droit absolu et même un devoir"
Rokhaya Diallo, fondatrice d’une organisation appelée les « Indivisibles », s’est fait remarquer particulièrement lorsqu’elle lance une pétition en 2011 après le premier attentat contre Charlie Hebdo. intitulée « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! » qui proclame "qu’il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, que les dégâts matériels seront pris en charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première "affaire des caricatures" - bref : que ce fameux cocktail molotov risque plutôt de relancer pour un tour un hebdomadaire qui, ces derniers mois, s’enlisait en silence dans la mévente et les difficultés financières"3. Voir le premier attentat contre charlie Hebdo comme une opération marketing, voilà où mène l'aveuglement partisan. Elle sera responsable d'une émission vidéo sur Médiapart portant sur le racisme avant de disparaitre sans explication de la rédaction.
Danielle Obono, députée de la France Insoumise, " quelqu'un qui refuse de s'asseoir sur le siège d'un conducteur de bus après une femme, est-ce que c'est le signe d'une radicalisation? ... je ne sais pas". Je ne peux que saluer le désaccord manifesté par François ruffin et Jean-Luc Mélenchon aux propos de Zoé Desbureaux, suppléante de Ruffin, approuvant le terme de "martyr" utilisé par Sonia Nour pour parler de l'assassin de la gare St Charles à Marseille. Sonia Nour, collaboratrice du maire PCF de la Courneuve, a été suspendue de ses fonctions.
Tariq Ramadan thuriféraire des Frères Musulmans, est conseiller auprès du pouvoir Qatari et son organisation soutient le pouvoir autoritaire d'Erdogan en Turquie.
Cette compagnie, dont se prévaut Edwy Plénel révèle bien ce qui est en débat sur l'islamisme et montre une certaine proximité avec des thèses qui minent les fondamentaux d'une société ouverte, tolérante à ses différentes composantes. Se pose aussi la question de la participation à une même tribune de Médiapart aux côtés du Parti des Indigènes de la République (PIR), parti clairement raciste4.
Alors qu’il faudrait analyser la nature des organisations qui prônent le djihad planétaire, leurs ressorts et les moyens de s’y opposer, nous assistons à une dérobade sur le plan théorique autant que pratique.
La totalité de la rédaction de Médiapart ne peut pas être en accord avec ce sermon auto-justificateur. Il serait temps qu'elle manifeste sa richesse, qu'elle apporte des éléments de compréhension pour un vrai débat. Cette diatribe ne fait que l'empêcher. Elle construit des frontières derrière lesquelles les haines se cuisinent. J'ai trop d'admiration pour Médiapart et d'espoir en la capacité d'Edwy Plénel à accepter de se mettre en question pour ne pas les inviter à sortir de cet entre-soi mortifère.
1 Roger Evano La démocratie face au défi de l'islamisme L'Harmattan, 2016, p.10
2 Edgar Morin et Tariq Ramadan au péril des idées Presse du Châtelet p.25
3 Roger Evano La démocratie face au défi de l'islamisme l'harmattan p.153
4 Houria Bouteldja du PIR :"Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république." ( H. Bouteldja , extrait de "Mohamed Merah et moi", 6 Avril 2012, page du PIR)