Le premier fait relate la façon dont, depuis des décennies, l’église catholique camoufle les pratiques pédophiles de membres de son clergé. Si des faits scandaleux parviennent à être révélés, c’est que le mur du silence érigé par la hiérarchie a été brisé.
En septembre 2001, l’évêque de Bayeux et Lisieux, monseigneur Pican, fut condamné à trois mois de prison avec sursis pour non-dénonciation de crimes pédophiles dans son diocèse. C'était une première en Europe. Interrogé en 2010 sur sa condamnation, il ne fait part d'aucun regret. Il fut même félicité par le cardinal Castrillon Hoyos : « Vous avez bien agi et je me réjouis d'avoir un confrère dans l'épiscopat qui, aux yeux de l'histoire et de tous les autres évêques du monde, aura préféré la prison plutôt que de dénoncer son fils-prêtre», explique le cardinal qui justifie ainsi sa position : « En effet, la relation entre les prêtres et leur évêque n'est pas professionnelle, c'est une relation sacramentelle, qui crée des liens très spéciaux de paternité spirituelle ». Les évêques français venaient justement de prendre des orientations radicalement différentes, lors de l'Assemblée plénière de Lourdes, en 2000. Les actuels démêlés du cardinal Barbarin montrent que si des mesures ont été prises, l’omerta persiste et des prêtres pédophiles continuent d’exercer leur sacerdoce sans être éloignés de la proximité des enfants. Prévaut une justice de l’Église sur celle du droit commun. L’inversion des culpabilités fait du prédateur la victime à défendre. L’important c’est de faire corps, de ne pas mettre en péril l’institution comme moyen de pouvoir.
Le deuxième événement est la prise de position, le 5 février, de Kamel Daoud dans le journal Le Monde après les agressions à caractère sexuel ou pour vol au cours de la nuit de la saint Sylvestre, à Cologne et dans d’autres villes d’Allemagne ou de Scandinavie. Des centaines de femmes attaquées par une quarantaine d'hommes parmi le millier de ceux qui s'étaient rassemblés près de la gare de Cologne et que les autorités décrivent comme « d’origine arabe et nord-africaine ».
Que nous dit Kamel Daoud : « Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée .» Il y a quelques années, à propos de la femme dans le monde arabe, il écrivait : «A qui appartient le corps d’une femme ? A sa nation, sa famille, son mari, son frère aîné, son quartier, les enfants de son quartier, son père et à l’Etat, la rue, ses ancêtres, sa culture nationale, ses interdits. A tous et à tout le monde, sauf à elle-même.» A ces fortes paroles d’un écrivain vivant en Algérie répond le 12 février dans Le Monde, un collectif d’intellectuels qui sont scandalisés parce que Kamel Daoud pose le problème « des valeurs à partager, à imposer, à défendre et à faire comprendre ». Ce projet est scandaleux disent-ils « du fait de l’insupportable routine de la mission civilisatrice et de la supériorité des valeurs occidentales qu’il évoque ».Qu’un Algérien puisse critiquer le poids de la religion musulmane sur la vision de la femme est insupportable, il devient islamophobe, raciste, traître à ses origines.
Si j’ai rapproché ces deux situations c’est qu’elles me semblent révéler une même maladie. Ce qui est reproché à Kamel Daoud c’est de critiquer sa communauté en se plaçant dans le camp occidental, le camp ennemi. Il ne s’agit pas de débattre de la validité de son point de vue en fonction de la vérité ou de la justice, mais de vérifier les allégeances. Le cardinal ne féliciterait pas l’évêque protecteur de pédophile s’il n’était membre de sa communauté religieuse. Il félicite Monseigneur Pican de ne pas avoir trahi les siens.
Le collectif d’intellectuels ne verrait rien à redire si Kamel Daoud était allemand et les agresseurs occidentaux. Le jugement est identitaire la position défendue ne l’est pas pour elle même mais en fonction de l’appartenance à une communauté réelle ou supposée.
Le cardinal et les accusateurs de Kamel Daoud ont en commun de considérer la protection des femmes ou des enfants comme secondaire. Ce qui prime c’est la défense de la communauté religieuse ou d’origine. Si, comme Kamel Daoud, on y a failli, l’accusation de trahison est brandie et prend le dessus sur toute autre considération. Le dialogue sur la sexualité des prêtres ou sur celle des maghrébins, marqués par la place de la femme dans leur imaginaire, est écarté, ainsi que l'inscription dans le droit commun des crimes commis. Seule est considérée l’adhésion ou non à son camp.
Nous avons eu des périodes où c’était sa classe sociale qu’il fallait protéger en ne critiquant ni son parti, ni la patrie du socialisme. En d’autres lieux, c’était le colon ou le blanc qu’il fallait défendre face aux indigènes spoliés. Empêcher de critiquer son pays, son parti, sa race ou sa religion, c’est avoir comme unique but le pouvoir à conserver ou à prendre, c’est s’arrêter de penser.