Après le premier tour, l'unité plus nécessaire que jamais
L'échec de voir à nouveau un second tour Le Pen / Macron ne doit pas dissimuler que dans un deuxième tour contre Macron, la victoire de Mélenchon aurait été très improbable. La totalité des voix de gauche au premier tour représente 32% du corps électoral .
Pour franchir le double obstacle des deux tours, il faut au moins être qualifié au premier. La démonstration a été faite en 2017, elle vient d'être renouvelée. Il manquait à Mélanchon 600 000 voix en 2017 quand Hamon en recueillait 2 400 000 , il lui en manque 400 000 aujourd'hui alors que la gauche hors JLM totalise 3 513 000 voix. Le cavalier seul a encore échoué.
Le deuxième obstacle c'est de rassembler 50% sur le nom du candidat au deuxième tour. Seule la dynamique créée par une gauche unie, imaginative et conquérante l'aurait permis
L'analyse du vote Mélenchon montre que ce n'est pas un vote pour son programme mais, pour une bonne part, un vote anti Macron-Le Pen. Le vote "efficace" est devenu l'argument ultime qui escamote les divergences à gauche. Ignorer que la gauche est multiple, qu'elle est écologique et communiste, socialiste et libertaire, c'est l'assurance de l'échec. Vouloir contraindre ses différentes composantes à entériner un programme qui n'est pas le leur, élaboré sans elles, ne marche pas.
La députée LFI Clémentine Autain constatait après le deuxième tour des régionales : «On a appris que l’on avait moins de différences qu’on ne le pensait.» Seul un bloc de gauche regroupant ses différentes sensibilités autour d'objectifs communs permettrait de l'emporter, pas seulement au premier tour mais au second et seule cette adhésion permettrait, une fois au pouvoir, de réaliser les objectifs promis.
La ligne constante de JLM dès avant 2017, est un refus de toute alliance sur un programme élaboré en commun. Les autres, après quelques timides tentatives, ont laissé tomber.
Nous voyons à l’œuvre deux grands empêchements à l'unité : l'imposition d'une hégémonie et l'incompatibilité des orientations politiques.
La ligne constante de JLM dès avant 2017, est un refus de toute alliance sur un programme élaboré en commun . La seule unité proposée à ses partenaires doit se faire sur son programme et derrière sa personne. Il ne s'agit pas d' union mais de reddition. JLM nous dit: je suis seul à posséder la Vérité. Son programme est devenu une bible, sa personne sacrée.
Il est pathétique de le relire. Le 19/10/21 "L'union avec Anne Hidalgo ou Fabien Roussel n'aurait pas de sens." Le même trois mois plus tard (17/1/22) : "Je ne suis pas leur copain que cela soit dit une bonne fois pour toutes. Avant d'ajouter Ce n'est pas d'union qu'on a besoin, c'est de clarté et de mobilisation populaire." . "Au cirque d'hiver où étaient rassemblés les Insoumis, on scandait "Mélenchon à l'Elysée, Roussel à la poubelle" (Le Canard enchainé du 13 avril 2022).
Jadot, Roussel, Hidalgo, Poutou, Arthaud et leurs 3 500 000 électeurs ont refusé ce diktat. Ils demandent une place pour leurs idées.
Pour autant, ils n'ont pas travaillé à s'unir. Ils sont restés dans la logique concurrentielle, en vue des élections législatives. Ce n'est pas faute d'avoir été rappelés à leur devoir. En 2021, nous avons vu fleurir les pétitions réclamant l'union de la gauche. De nombreux militants s'inquiétaient de la voir tiraillée entre ses différentes tendances et annonçaient leur intention de s'abstenir si l'union n'avait pas lieu. La Primaire Populaire a essayé maladroitement de répondre à cette attente avant de se décomposer dans le ridicule, après les refus des principaux candidats d'y participer. Le "Serment de Romainville", signé par plus d'une centaine de maires, a été ignoré. Les indices d'un ras le bol devant la concurrence irresponsable des gauches se sont multipliés sans que le moindre rapprochement ait lieu.
Le refus de s'entendre aboutit à dix ans de la droite à l'Elysée et le fascisme à sa porte
Où se situent les lignes rouges ?
Combien d'électeurs de Mélenchon du premier tour sont d'accord avec "Pas une arme pour l'Ukraine"? Combien approuvent le pouvoir monarchique de Mélenchon sur son organisation "gazeuse"? Et ce qu'il signifie de sa conception de la démocratie ? Combien apprécient ses déclarations tonitruantes " La République c'est moi" ou ses délires mégalomaniaques: "Je suis le rocher dans le paysage, la montagne qui, quand vous ouvrez la fenêtre, est toujours là" ? Combien soutiennent son dégagement de l'Europe ? Sa proximité ( en compagnie de Marine Le Pen) avec la dictature poutinienne ou avec celle de Xi Jinping ? Son ralliement à la lutte contre "l'islamophobie" qu'il a réussi avec d'autres à confondre avec de l'anti-racisme ?
Le refus de soutenir militairement la résistance ukrainienne apparaît comme un concentré de tout ce qui écarte Mélenchon de la gauche démocratique. Sous le faux nez de la paix et même, suprême hypocrisie, de sauver des vies humaines, il défend le droit du plus fort d'occuper et d'anéantir le plus faible, refuse à celui-ci le droit fondamental à sa souveraineté. La gauche devrait être claire, affirmer sans ambiguïté que l'agresseur est la Russie et que nous devons tout faire pour aider le peuple ukrainien à repousser cette occupation, y compris l'armer. Comme le disent des pancartes dans des manifestations de soutien à la résistance ukrainienne : « Si les Russes cessent de se battre, il n’y aura pas de guerre ; si les Ukrainiens cessent de se battre, il n’y aura pas d’Ukraine ».
Si son coup de force réussit, si les ukrainiens sont battus, à qui le tour ? Les milliers de victimes, les destructions de villes entières comme Marioupol, les assassinats des civils sont des crimes de guerre. Face à cela JL Mélenchon déclare "Pas une arme pour l'Ukraine". Quelle est cette gauche qui rejoint les positions de Le Pen et Zemmour ? Quand les États-Unis envahissent L'Irak ou organisent le coup d'État de Pinochet, la gauche manifeste, heureusement, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Que devient ce droit universel lorsque la Russie agresse l'Ukraine ? L'alliance de Poutine avec l'extrême droite mondiale devrait nous alerter et nous interdire toute ambiguïté à son égard. Autre monstruosité, Poutine menace, quiconque se mettrait sur son chemin, de détruire notre monde par une guerre totale, nucléaire. La "paix" de Poutine n'est pas la paix c'est un monde soumis. Bien au delà des questions de pouvoir d'achat, nous est posée la question de la troisième guerre mondiale et de la survie de l'humanité.
L'unité de la gauche nécessite de reconnaitre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Les seules victoires de la gauche furent des victoires de coalition
Se remémorer l'histoire de notre pays permet de constater que les seuls moments où un programme de gauche à pu être appliqué sont des périodes où la gauche était rassemblée, malgré ses divergences.
Le front populaire en 1936, réunit les trois principaux partis de gauche, le parti radical , les socialistes de la SFIO et le PCF. C'est cette union qui mettra en place les premiers congés payés, la réduction du temps de travail (40h).
Le gouvernement du général De Gaulle en 1945 regroupe la droite (MRP) les radicaux, la SFIO de Mendès France, et le PCF de Charles Tillon. Cette union réalisée dans la résistance à l'occupant nazi, donne le droit de vote aux femmes, nationalise (Renault), met en place les comités d'entreprise Ambroise Croizat, ministre communiste, en six mois crée la sécurité sociale.
La victoire de Mitterrand en 1981 est due à l'alliance du Parti socialiste et du Parti communiste. Par contre la défaite de Jospin en 2002 résulta d'un éparpillement des voix de gauche au premier tour, qui permit déja à Jean-Marie Le Pen d'être présent contre Jacques Chirac. Les plus radicaux de gauche avait ouvert la boîte de pandore .
Ce que l'on observe en France se constate dans de nombreux pays. Gabriel Boric au Chili en 2021 accède au pouvoir porté par toute la gauche, comme le socialiste Antonio Costa au Portugal en 2015 soutenu par le parti communiste et le bloc des gauches.
Le vote Macron s'impose le 24 avril
Au vu des résultats du premier tour la possibilité d'une victoire de Marine Le Pen n'est pas exclue. Le danger n'était pas très grand, en 2002, lorsque son père Jean-Marie Le Pen obtenait 17,8% au second tour face à Chirac, le front républicain avait fonctionné. Sa fille en 2017 obtenait 34% soit près du double, face à Emmanuel Macron. En 2022 ses résulats du premier tour ajoutés à ceux de Zemmour et Dupont-Aignan sont bien supérieurs aux précédents. Si l'on y ajoute les partisans LR d'Eric Ciotti et une proportion de vote de gauche, faible mais pas négligeable, la victoire de Marine le Pen n'est pas impossible. La haine de Macron va-t-elle la porter au pouvoir ? L'abstention ou le vote blanc vont-ils être le refuge de ceux qui ne font pas la différence entre leur détestation de Macron, instigateur de mesures anti-sociales, anti-démocratiques, et un programme fasciste à la Orban, à la Trump ou à la Poutine ? Ne nous laissons pas abuser par l'amoureuse des chats : c'est un programme totalitaire qu'elle porte. Pas une voix pour Marine Le Pen n'est pas une consigne suffisante, pas un électeur de gauche ne doit s'abstenir. Nous pouvons encore manifester, protester, nous exprimer, lire le média de notre choix, nous battre contre le racisme et la xénophobie, soutenir le peuple ukrainien dans la France autoritaire de Macron, tout cela sera attaqué dans la France de Marine Le Pen. L'abstention d'une partie des électeurs qui se sont portés sur son nom peut permettre au fascisme de prendre le pouvoir. S'en laver les mains est criminel. Noam Leandri et Louis Maurin, responsables de l'obervatoire des inégalités, nous préviennent: "Pour que Marine Le Pen passe le second tour...il faut qu'une partie de la gauche, même 2% ou 3% de l'électorat, ne participe pas au vote, avec l'absolution implicite de la France Insoumise" (Le Monde 15 Avril 2022). Entre deux maux il faut choisir le moindre. L'abstention n'est pas une option.
Dix ans de droite ou d'extrême droite, vont bouleverser notre société
Le danger de la "victoire" relative de JLM c'est de masquer à ses propres yeux l'échec de sa stratégie.Y a-t-il des voix pour l'exprimer dans la FI ? Si c'est le côté "victoire " de JLM qui domine, ces voix auront du mal à se faire entendre ; si c'est le côté "défaite" de la gauche qui prend le dessus, la possibilité de s'ouvrir aux autres pourra prévaloir.
Les autres formations politiques à gauche, si elles continuent à traîner les pieds plutôt que de faire le bilan, de se réinventer et de s'unir, seront responsables de leur propre disparition.
Dix ans de droite ou d'extrême droite, vont bouleverser notre société. La France sera moins égalitaire, moins sociale, moins démocratique. Les laissés pour compte du néo-libéralisme seront un peu plus amers contre cette gauche qui reste sur la touche par incapacité à s'unir et continueront à croire à une solution Le Pen. S'ouvre devant nous un vaste chantier : mener un combat résolu contre le démantèlement des acquis sociaux et impulser les luttes contre les ravages planétaires, construire un monde solidaire et vivable. La nouvelle situation créée par l'impérialisme russe nous impose de repenser l'Europe comme espace démocratique et de paix. En même temps il nous faudra bâtir, dans l'inquiétude et l'urgence, les conditions d'une victoire future qui passe par le combat pour l'unité.
L'inquiétude sur notre avenir est grand. La défaite de Mitterrand en 1974 à la tête du programme commun était porteuse de succès futurs ; la défaite de Hamon en 2017 au premier tour annonçait, les défaites suivantes, sur fond de rivalités et de sauve-qui-peut. André Burguière posait alors la question " La gauche va-t-elle disparaitre ? " En septembre 2021, dans ma "Lettre à une gauche déboussolée" j'interrogeais : "La gauche est-elle mourante ?" Il n'y a qu'une seule voie pour sortir de la spirale de la défaite, c'est de retrouver le chemin de l'unité tout en faisant l'inventaire des orientations incompatibles.
On n'accumule pas impunément les défaites.
Au moment de choisir, la mort dans l'âme, entre le candidat néo-libéral et la candidate d'extrême-droite, un électorat de gauche est tenté d'abandonner le pouvoir à l'extrême-droite. Germaine Tillion nous a avertis : "Il y a des situations qui engendrent le crime ; il faut empêcher ces situations d'exister car elles créent des pentes que beaucoup de gens faibles se révèlent incapables de ne pas dévaler. On a le devoir de rester vigilant."
le 15 avril 2022