Lettre à une gauche déboussolée
La gauche, en France, est-elle mourante ? Cette question brutale qui me taraude vient-elle d'un découragement passager, ou d'une vision obsédante du tragique de l'histoire ? Une chose est sûre : elle est partagée par bon nombre d'amis, de compagnons de lutte, d'interlocuteurs qui furent ou sont encore engagés à gauche.
Si j'ai écrit cette Lettre à une gauche déboussolée c'est pour ne pas participer à cet aveuglement collectif qui nous ferait croire à une victoire de la gauche. La lucidité nous oblige à regarder la situation en face. A cinq mois des présidentielles, la perspective d'être à nouveau confrontés au choix Le Pen / Zemmour ou Macron est probable, et, à moins d'un cataclysme politique ou écologique, la défaite inévitable. La gauche disparaît-elle des pronostics électoraux par suite de sa dispersion, ou plus profondément parce qu'elle n'apporte aucune réponse spécifique commune à un ordre néo-libéral en fin de course et qui cependant perdure?
Il est insupportable de voir préparer le même scénario qui fut celui de la défaite de la gauche en 2017. Cette défaite qui permit à la droite macroniste de gouverner sans opposition pendant cinq ans . Elle a eu les mains libres pour continuer la politique de Hollande en pire. Pendant cinq ans elle a continué le démantèlement des protections sociales, les services publics furent vidés de leur substance au profit du secteur privé, l'école a accentué son rôle sélectif, l'écologie est restée une variable d'ajustement de l'économie.
Nos espoirs dans la gauche tiennent au refus du monde capitaliste, celui de l'argent-roi, des inégalités, de l'individualisme. Depuis plusieurs décennies, nous avons pris conscience qu'il mène le monde à sa perte en détruisant la planète.
Deux causes m'apparaissent à cet échec électoral : le renoncement à élaborer un programme politique actualisant les valeurs de gauche et l'absence d'unité capable de le mettre en application.
Allons-nous entendre en avril 2022 J.L. Mélenchon, éliminé du second tour, se féliciter de son succès/échec comme il le fit en 2017 ? Allons-nous l'entendre nous expliquer que c'est la faute de ses concurrents à gauche ? Yannick Jadot, Anne Hidalgo ou Fabien Roussel nous parleront-ils de leur impuissance en portant leurs espoirs sur ... 2027 ? Mais la gauche existera-t-elle encore? Sera-t-elle une composante anecdotique d'une lutte pour le pouvoir qui se jouera entre la droite et l'extrême droite?
Au-delà de l'incapacité de présenter un candidat unique porteur d'objectifs communs, nécessitant le sens du compromis, ne sommes-nous pas dans cette situation parce que la gauche n'est plus porteuse de valeurs communes ? Cela serait plus grave. Comment concilier des visions autoritaires avec une régénération de la démocratie ? Comment travailler ensemble si aux oppositions de classes sont substituées des oppositions identitaires ou sexuelles ? Comment gouverner ensemble si la laïcité, pilier de la gauche, est battue en brèche par ceux qui devraient la défendre ? Comment revenir à une conception républicaine de la sécurité si l'on fait les yeux doux aux syndicats policiers réactionnaires ? Ne sommes-nous pas capables de rassembler, dans un même programme, des objectifs de justice sociale et de défense de la planète ?
Après les élections présidentielles et législatives d'Avril 2022, si, comme tout l'indique aujourd'hui, la gauche sort battue et affaiblie, il lui faudra tirer le bilan et se refonder.
C'est pourquoi j'ai écrit cette lettre pour préparer cette après élection.

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