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Billet de blog 26 octobre 2023

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Carine Fouteau: cécité politique et abaya

Pour Carine Fouteau l'abaya n'a rien de politique. L'abaya n'est vue que comme une tenue vestimentaire qui n'aurait aucune autre connotation, sauf aux yeux des "islamophobes". "C'est du choix vestimentaire, relevant de l'intime, et du corps des femmes musulmanes, [...] qu'il est à nouveau question"

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Carine Fouteau: cécité politique et abaya

Ce qui me frappe à la lecture de l'article de Carine Fouteau 1 c'est son jonglage politique. Elle commence par situer le décor : la France (réduite à la droite extrême, aux "laïcistes"et aux "islamphobes") est repliée sur "ses obsessions post-coloniales", en pleine "panique identitaire", et se détourne des vrais problèmes en agitant l'abaya, pour s'en prendre aux musulmanes.

Mais à ses yeux l'abaya elle-même n'a rien de politique, pas une seule fois le mot "intégrisme" n'est employé. L'abaya n'est vue que comme une tenue vestimentaire qui n'aurait aucune autre connotation, sauf aux yeux des "islamophobes". "C'est du choix vestimentaire, relevant de l'intime, et du corps des femmes musulmanes, [...] qu'il est à nouveau question" nous dit Carine Fouteau. Pour une journaliste, qui plus est ex-directrice de Médiapart, c'est ne pas voir plus loin que le bout de son nez.

Pourtant, tapez abaya sur un moteur de recherche et vous trouverez dix sites la présentant comme un vêtement pour la femme musulmane, pas pour la femme en général., ouvrez n'importe quel journal et vous entendrez parler de la police des moeurs en Afghanistan ou en Iran . Même si avec audace, vous poussez vos investigations, vous y apprendrez que vous pouvez mourir pour avoir mal porté un "vêtement non religieux" comme Mahsa Jina Amini. En France en 2004 les auditions de la commission Stasi révélèrent que les jeunes filles de familles musulmanes étaient favorables à l'interdiction des "signes religieux ostentatoires à l'école". En l'absence de loi, elles avançaient qu'elles seraient obligées de se voiler. Le seul de la commission Stasi à s'être abstenu, Jean Baubérot, est celui que cite l'article,. Si vous lisez uniquement Médiapart vous n'entendrez pas les arguments d'éminents auteurs que sont G. Képel ou Henri Péna Ruiz, pas plus que ceux de Rachid Benzine, Kamel Daoud, Abdelwahab Meddeb ou Ghaled Bencheikh et bien d'autres. Aveuglement sectaire est l'impression laissée par cet article.

Carine Fouteau ose écrire, à propos des musulmanes qu'en France " Leur invisibilisation est la norme" De quoi parle-t-elle? N'est-ce pas les intégristes musulmans qui en voilant les femmes, veulent les rendre invisibles? Devant tant d'aveuglement on se demande quelle entreprise de décervelage a pu produire de tels résultats

Médiapart est dans le déni depuis des années. Après avoir remporté la guerre des mots, en faisant du concept d"Islamophobie", venu tout droit des intégristes musulmans, l'équivalant de "racisme anti musulman", il mène avec constance la guerre du vêtement religieux. Médiapart ne veut pas voir que la bataille du vêtement est une bataille politique, une bataille contre la laïcité. Les jeunes filles qui veulent porter l'abaya sont les combattantes, inconscientes ou pas, des Talibans ou des Ayatollahs.

Après le voile nous avons eu la bataille du bandana, puis celle du Bukini, puis celle du voile pour les footballeuses et maintenant pour les basketteuses, demain ce sera autre chose. L'argument de la liberté est toujours brandi: "Vous voulez interdire aux jeunes musulmanes de jouer au foot ou au basket" et les naïfs et ignorants de répéter ad nauseam "liberté du vêtement", "stop à la stigmatisation des jeunes filles musulmanes". Avoir réussi à transformer la lutte des intégristes musulmans pour enfermer les femmes dans la sphère domestique en une campagne pour leur liberté est remarquable de duplicité. Cela n'est possible qu'en mettant dans leur camp des démocrates et des féministes. C'est l'art d'utiliser les libertés de la démocratie pour la combattre.

Ce qui est en jeu c'est le contrôle de la femme par l'islam politique. "Il y a très clairement un endoctrinement qui est fait sur les réseaux sociaux, un effet de mode derrière lequel il y a des idéologies qui veulent influencer ces jeunes femmes musulmanes et dès lors il s'agit d'une atteinte à la laïcité. Il faut être très ferme sur cette question-là et interdire le port de l'abaya dans les écoles car c'est [...] le signe de l'arrivée des idéologies de l'islam politique". D'où vient cette prise de position? D'une organisation de droite ou d'extrème-droite? Non, elle est de Kahina Bahloui, première femme imame en France, interviewée sur France 5 le 29 août 2023. Elle vient de ce monde musulman qui refuse l'instrumentalisation de sa religion par les courants intégristes, ce monde musulman que Carine Fouteau et Médiapart ignorent.

Médiapart mène une bataille essentielle et courageuse contre l'inégalité des femmes et des hommes, contre le harcèlement sexuel, dénonce le culte du viol dans certains milieux, refuse la ségrégation sexuelle à l'école. Or l'obsession des intégristes musulmans c'est de cacher le corps des femmes, de les reléguer dans la sphère domestique et la procréation, c'est d'en faire des êtres de seconde zone dans une société d'hommes. Gisèle Halimi parlait , à propos du voile, "d'apartheid sexuel". Lutter simultanément pour l'égalité hommes/femmes et pour le voile et l'abaya à l'école est incohérent.

Je n'ai jamais lu dans Médiapart d'enquêtes sur les mariages forcés, sur ces jeunes filles de quinze, seize ans qu'on amène au bled pour les marier à un inconnu de trente ans leur ainé ou devenir la troisième épouse de l'homme fortuné du village. L’accusation “d'islamophobie“ a été dix mille fois brandie par ceux qui voulaient faire taire et taxer de racisme toute contestation des dogmes religieux et pratiques réactionnaires.

Attaque contre les femmes mais aussi attaque contre l'école Le lieu de l'émancipation est la cible privilégiée des obscurantistes. Créer la polémique par l'abaya dans les établissements scolaires, diviser professeurs et élèves en communautés antagonistes, c'est affaiblir le monde commun. S'il n'est pas perçu que le port de l'abaya est un énième attaque contre l'école on ne comprendra pas le meurtre de Dominique Bernard après celui de Samuel Paty. L'islam politique s’est glissé dans l'école et taraude les différentes institutions afin d’obtenir un statut particulier obéissant à ses propres lois et non à celles de la République. Il prépare ainsi le terreau sur lequel se développent l’exclusion violente puis le terrorisme. Le célêbre prêcheur de la chaine qatarie Al Jazeera, Youssef al Qaradawi, principale figure médiatique des Frères Musulmans, a résumé sa stratégie : "La conquête par la prédication (da'wa) c'est ce que nous espérons. Nous allons conquérir l'Europe, nous allons conquérir l'Amérique! Pas par l'épée, mais par la da'wa". Tariq Ramadan qui fut son bras droit au Qatar mettait en pratique cette ligne de conduite en France. Il fut une des voix entendues sur Médiapart avec son lieutenant Marwad Mohammad et choisi par Edgar Morin comme interlocuteur dans "Au péril des idées".

Médiapart s'est enfermé dans une position idéologique en dépit du développement de cet islam politique réactionnaire dans le monde. La lutte contre le racisme anti-musulman est une chose, prêter la main aux courants islamistes , une autre. Peut-être que, depuis septembre, Carine Fouteau a pris le temps d'entendre les paroles de la soeur de Samuel Paty transcrites dans l'article de Jérôme Hourdeau qui secoue la loi du silence à Médiapart.2

Mickaëlle Paty a été entendue le 17 octobre 2023 par la commission d'enquête sénatoriale sur les menaces et agressions contre les enseignants.

"Mickaëlle Paty a, à plusieurs reprises, nommé ce qu’elle considère comme la cause de la mort de son frère, mais également comme un phénomène qui gangrène l’éducation nationale : « L’entrisme islamique à l’œuvre dans nos écoles ». « Plus d’un professeur sur deux s’est déjà censuré, a-t-elle affirmé, sur la base d’un sondage. La menace de “se prendre une Samuel Paty” est devenu l’arme de la censure ». Et de dénoncer un « mécanisme du non-dit dans l’éducation nationale ».

« L’abaya, le qamis et même le voile servent à afficher l’appartenance islamiste de ceux qui les portent. » Ce sont « des appels à la désobéissance civile », a-t-elle affirmé.

« Si la mort de mon frère avait servi à quelque chose, Dominique Bernard serait encore là »

1Carine Fouteau, "L'interdiction de l'abaya, symptome d'une France en pleine panique identitaire", Médiapart, 6 septembre 2023, https://www.mediapart.fr/journal/france/060923/l-interdiction-de-l-abaya-symptome-d-une-france-en-pleine-panique-identitaire

2Jérôme Hourdeau " Devant les sénareurs, la soeur de Samuel Pty exprime sa colère", 18 octobre 2023 https://www.mediapart.fr/journal/france/181023/devant-les-senateurs-la-soeur-de-samuel-paty-exprime-sa-colere

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