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Billet de blog 28 novembre 2015

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Nier le réel

Alors que les perspectives les plus sombres apparaissent devant nous, il serait bon de s’efforcer à la lucidité sur le pourquoi. L’image la plus fréquemment évoquée pour illustrer l’ascension du Front National est celle d’un parti qui se contente d’accompagner les peurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que les perspectives les plus sombres apparaissent devant nous, il serait bon de s’efforcer à la lucidité sur le pourquoi. L’image la plus fréquemment évoquée pour illustrer l’ascension du Front National est celle d’un parti qui se contente d’accompagner les peurs. Son succès  n’est pas d’adhésions  il tient  aux échecs cumulés des partis au pouvoir et à l’absence de perspectives crédibles proposées par la gauche.

Il y a des phrases qui restent car elles marquent des questions que la gauche refuse de se poser depuis  longtemps et qui lui reviennent en pleine figure. Sous l’apparence de l’évidence elles sont refusées comme porteuses d’un questionnement interdit.

La première est de Laurent Fabius : « Le Front National pose les bonnes questions mais y apporte des mauvaises réponses ».

Que n’avait-il pas dit. Qu’il puisse penser que le FN pose de bonnes questions était  un crime gravissime, le soupçon de connivence avec l’exrême- droite planait sur le personnage.  Or ces questions étaient celles de l’immigration et  celles de la sécurité. A questions insensées, sujets tabous,  il n’y a pas de réponses à faire. La gauche n’avait-elle pas de propositions à avancer ?

La deuxième phrase est de Michel Rocard : « La  France ne peut accueillir toute la misère du monde » à laquelle il ajoutera le 22 mai 1990 : «  C'est justement pour assurer le respect de nos valeurs et préserver efficacement la dignité des étrangers eux-mêmes que nous ne devons en accueillir qu'autant que nous pouvons en intégrer ». Pareille affirmation condamnait son auteur au discrédit. Elle semble pourtant une réflexion de bon sens. Quel pays peut accueillir toute la misère du monde ? Elle devenait la manifestation d’un égoïsme national. Mais peu importe,  derrière cette condamnation la question de l’accueil des étrangers devenait dangereuse comme relevant d’une pensée extrémiste. Se poser la question était déjà  signe d’une dérive identitaire.

La troisième phrase est cellequi fait réagir Edwy Plénel, et ouvre son livre « Pour les musulmans ». Elle est d’A. Finkielkraut : « Il y a un problème de l’islam en France ». Que les réponses d’A.F. soient l’objet de controverses est bien naturel, pour autant la question se pose et mérite réponse. En la refusant on évite de s’interroger sur la situation bien réelle de la société française, sur la compatibilité des préceptes de l’islam et des lois de la république, les ambitions politiques et les dérives de l’islamisme. Edwy Plénel  substitue à cette question pertinente la question : « Il y a un problème de l’islamophobie en France. »

La suite tragique  nous  a prouvé que l’on ne peut se soustraire à ces interrogations, que le pire c’est de regarder ailleurs, de nier la réalité, de rester muet. Dans ce vide s’installent les réponses des extrémistes. Se draper dans l’effroi virginal et l’arrogance muette ne fait que laisser le champ libre aux réponses des fanatiques de tous bords.

Dans une démocratie où le pouvoir vient du peuple (idéalement), définir les règles, fixer les limites relève de la responsabilité politique de nous tous,  puisque nous n’avons aucun texte sacré qui nous donne la marche à suivre. Aucune réponse ne nous est donnée de l’extérieur, c’est à nous de la fixer. Pour cela il faut accepter les questions, fussent-elles celles de nos ennemis, à nous d’y apporter d’autres réponses..

L’émigration, la sécurité, l’islam ces thèmes s’imposent à nous. Nos réponses dépendent de nos valeurs et de notre vision de l’avenir à construire. A force de nier  la réalité de notre monde, de refuser le réel et  les interrogations légitimes, nous avons laissé l’imaginaire conflictuel et morbide de nos adversaires dessiner notre avenir . C’est à nous d’imaginer nos lendemains, mais pas dans l’angélisme ni le déni. En regardant la réalité en face.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.