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Billet de blog 25 mars 2025

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Un neuropsychologue revient sur des concepts falacieux à propos du TDAH

Connaissez-vous ce proverbe très apprécié des spécialistes de la théorie de l’évolution quant aux créationnistes ? “On ne peut pas jouer aux échecs avec un pigeon. Il va juste renverser les pièces, déféquer sur l’échiquier et aller roucouler plus loin qu’il a gagné”.

Roger le Dérangé

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sébastien Henrard est un neuropsychologue, formateur qui donne des cours aux professionnels de santé sur la prise en charge du TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité). 
La semaine dernière, une personne anonyme se désignant comme le “docteur BB” (affirmation impossible à vérifier) a publié un article sur le TDAH dans ces colonnes. (je rappelle que la rédaction de Médiapart n’est en rien responsable des opinions publiées ici, si cela avait échappé à quelqu’un). Voici de quoi il s'agit.

Sébastien Henrard a utilisé cet article pour rectifier point par point les idées fausses souvent encore entendues en France sur le traitement du TDAH. Il a publié cela en plusieurs fois sur ses réseaux sociaux. Vous le trouverez très facilement sur LinkedIn, par exemple. Comme il n’a pas accès directement à Mediapart, je lui ai proposé de compiler ses notes ici.

Si vous avez des questions sur le sujet, j’y répondrai de mon mieux en commentaire, autrement vous pouvez lui poser directement la question.

Extrait n°1:

“En effet, le témoignage de cette clinicienne parait bien dérisoire face aux Vérités consensuelles de la Science, notamment lorsqu’elle s’inquiète du fait que « la France serait sur le point de rejoindre les Etats-Unis, où 11 % des enfants sont traités par méthylphénidate ».

Commentaire de Sébastien Henrard

Non, la France ne suit pas le modèle américain en matière de prescriptions de méthylphénidate (MPH) ! ❌

Un article de blog anti TDAH encore une fois. Ecrit par le Dr BB, pédopsychiatre en CMPP. Je ne savais pas comment réagir, alors j'ai décidé de simplement, un peu tous les jours de déconstruire les messages de cet article tout en soulignant les points forts qui doivent nous faire réfléchir. 

On va commencer aujourd'hui sur celui qui me révolte sans doute le plus car ouvertement mensonger. 

❌ Non, la France ne suit pas le modèle américain en matière de prescriptions de méthylphénidate (MPH) ! ❌

On entend souvent cette idée alarmiste. Pourtant, les données officielles de l'ANSM montrent une tout autre réalité.

Les chiffres ?

➡️ En France, dans une étude menée chez 4 millions d'enfants de 5-10 ans (étude stoppée en 2022), seuls 0,8 % des enfants sont sous méthylphénidate, bien loin des 11 % annoncés pour les États-Unis. L'idée que la France "s'alignerait" sur les pratiques américaines repose sur une vision biaisée et sensationnaliste.

Ce qu’il faut comprendre :
🔹 La prescription du MPH en France est bien plus contrôlée qu'aux États-Unis.
🔹 Les données épidémiologiques ne justifient absolument pas cette comparaison.
🔹 Diffuser ces fausses informations alimente la méfiance envers les traitements qui peuvent véritablement aider les enfants TDAH.

Faisons confiance aux données scientifiques et non aux idées reçues. Partagez pour rétablir la vérité !

PS : pour une fois j'ai décidé de ne pas mettre la source de l'article initial, c'est volontaire mais vous pouvez facilement le trouver. Par contre, voici la source des données de l'ANSM qui me semble quand même plus intéressante à partager.

Extrait n°2

“Les critères doivent donc être assouplis, de façon à garantir des traitements plus étendus et précoces. Par exemple, il n’y a plus de limite d’âge. De surcroit, le diagnostic reste valide même si des évaluations neuropsychologiques ne repèrent pas de trouble attentionnel caractérisé - vive la rigueur scientifique…Et puis, la démarche diagnostique pourra désormais être effectuée par un médecin non spécialiste, ayant bénéficié d’une formation sommaire aux Troubles du NeuroDéveppement, sur la base d'un simple entretien clinique. Aucune évaluation complémentaire n’est plus requise. De toute façon, un test spécifique avec des résultats…”


Commentaire de Sébastien Henrard


Encore une fois, les faits vs. les idées reçues !

On nous explique que les critères diagnostiques du TDAH ont été assouplis pour permettre un accès plus large aux traitements… Vraiment ? 🤔

❌ FAIT : Il n'y a jamais eu de limite d'âge pour le diagnostic du TDAH. C'est un mythe (principalement francophone d'ailleurs). 

➡️ Déjà en 1994, le DSM-IV ne fixait aucune limite d’âge inférieure.
➡️ Affirmer aujourd’hui qu’on aurait "élargi les critères" relève soit d’une méconnaissance, soit d’une volonté manifeste d’induire en erreur.
➡️ Peut-être que l’auteur devrait élargir sa propre lecture des textes avant de s’indigner ?

Et la fameuse "rigueur scientifique" qu'on prétend bafouée par l'absence de tests neuropsychologiques ?

➡️ Petit rappel : L’évaluation neuropsychologique n’a jamais été au centre du diagnostic du TDAH. Pas plus que pour la dépression, l’anxiété, les troubles de la personnalité ou même la psychose.
➡️ En médecine, l’histoire clinique et l’évaluation des symptômes dans leur évolution développementale sont les bases du diagnostic – ce qui n’a pas changé pour le TDAH.
➡️ En insistant sur un "test indispensable", l’auteur remet-il en question sa propre compréhension des bases cliniques du diagnostic qui je le rappelle ... est son métier ? 🤨

🔎 Bref : arrêtons de crier au scandale sur des faits… qui n’existent pas.

Extrait n°3


"Avec un saupoudrage de formations au lance-pierre, une milice de néo-spécialistes low-cost va donc pouvoir diagnostiquer à tour de bras, garantissant les faux-positifs. En effet, l’absence d’expérience clinique véritable ne permettra pas d’envisager les diagnostics différentiels, et d’imaginer d’autres hypothèses étiologiques ou thérapeutiques. On ne s’intéressera guère aux éléments d’environnement, à l’histoire, aux dynamiques relationnelles…Au-delà des risques de surdiagnostic et de négligence, ces orientations témoignent par ailleurs du peu de considération à l’égard du savoir expérientiel des cliniciens et de la complexité du psychisme.
Proposerait-on à un neurochirurgien de se former en 10 jours, puis de pratiquer des interventions en autonomie ?"

Commentaire de Sébastien Henrard
Encore une belle caricature qui circule ! On nous explique qu’une "milice de néo-spécialistes low-cost" se formerait à la va-vite et distribuerait des diagnostics à la chaîne… sauf que :

❌ FAIT : La formation des médecins sur le TDAH n’est pas une formation express.

➡️ Un médecin a déjà 9 à 12 ans d’études, et la spécialisation sur le TDAH vient s’ajouter à ses compétences, comme dans toute autre discipline.

➡️ Une spécialisation en neurochirurgie ne dure pas 10 ans de plus après les études : on parle ici d’un renforcement des compétences, et non d’une formation de zéro.

Évidemment, il restera important de vérifier que cela est bien mis en place ! C'est tout le rôle essentiel de la Société Française du TDAH au passage. 

Et puisque l’auteur semble très préoccupé par la rigueur scientifique…

➡️ Petit rappel : Pour devenir psychanalyste, combien d’années d’études sont requises déjà ? 🤔 Ah oui… zéro diplôme obligatoire, aucune formation universitaire imposée, et pas même un bagage scientifique de base exigé.

➡️ Donc, si l’on veut parler de formation et de sérieux dans le diagnostic, peut-être faudrait-il commencer par balayer devant sa propre porte.

🔎 S’assurer d’une bonne formation ? Évidemment. Mais garantir une approche basée sur des connaissances scientifiques solides serait tout aussi essentiel.

Extrait n°4


"Par ailleurs, d’après la Haute Autorité de Santé (HAS), les seules interventions non médicamenteuses retenues sont la psychoéducation, les TCCE (thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles) -qui ne peuvent agir que sur le retentissement fonctionnel du trouble-, et les PEHP (Programmes d’Entraînement aux Habiletés Parentales) : R. Barkley « Defiant children », Programme multipropulsion de Massé, « The incredible years » de Webster-Stratton », « Positive Parenting Program » de Sanders, Parent-Child Interaction Therapy (PCIT). Ces outils proposent notamment des groupes en visio, des capsules vidéo, etc.
Bizarrement, alors que les facteurs éducatifs sont rejetés sur un plan étiologique, la prise en charge préconisée consiste à rééduquer les parents…Les familles devraient donc reconsidérer leurs pratiques éducatives, sur l’injonction d’experts, alors même que, pendant des années, la psychanalyse a été accusée d’attiser la culpabilité parentale…"

Commentaire de Sébastien Henrard

On veut rééduquer les parents" ? Encore un raccourci facile !

On nous explique que les recommandations de la HAS sont paradoxales : on rejette l’influence de l’éducation dans l’étiologie du TDAH, mais on propose des interventions parentales… 🤔

❌ FAIT : L’éducation et les interactions familiales influencent l’intensité des symptômes, pas leur origine.

➡️ Ce que dit la littérature scientifique (oui, il faut la lire…) c’est que l’interaction parent-enfant peut moduler l’intensité des symptômes, mais n’est pas la cause du TDAH.
➡️ Comme pour l’asthme, où l’environnement impacte la fréquence des crises sans être la cause de la maladie, le cadre familial joue sur les symptômes, sans être à l’origine du trouble.
➡️ On ne se contredit donc pas : comprendre plusieurs facteurs dans un phénomène complexe, ce n’est pas faire du grand écart intellectuel, c’est faire de la science.

Et puisqu’on parle de culpabilisation parentale…

➡️ Peut-être que si certaines théories n’avaient pas passé des décennies à expliquer à la radio que les parents sont la cause de tous les problèmes de leurs enfants (coucou la clinicienne mentionnée en 2023 👋), il n’y aurait pas ce genre de retour de bâton.

➡️ Quand on passe son temps à asséner que tout est lié au maternel déficient ou au père absent, il ne faut pas s’étonner que les recommandations basées sur des preuves viennent rectifier le tir.

Bref, les données sont claires : on accompagne (pas on rééduque ... il me semblait que les mots étaient importants !) les parents parce qu’ils sont des acteurs clés du bien-être de leur enfant, pas parce qu’ils en sont la cause. Une nuance qui demande… un peu de lecture.

Extrait n°5


"En 2019, « Le Monde » interviewait le Dr Alexanian, grand spécialiste labellisé en TDAH. Or, cet entrepreneur, très prosélyte et actif pour prescrire massivement du méthylphénidate, a été condamné, en janvier 2024, à deux ans de prison avec sursis et à l’interdiction d’exercer pendant cinq ans pour escroquerie, tromperie, publicité pour des produits illicites et prescriptions irrégulières.
Pour l’intéressé, ce qui lui était reproché n’était que « de l’info et de la pédagogie avec données scientifiques à l’appui ! ». A noter que ce même psychiatre avait également été radié en 2022 suite à des accusations de viol.
Depuis, l’éminent expert s’est reconverti en coach autoproclamé en santé mentale, sur les Champs Elysées…."


Commentaire de Sébastien Henrard
🧐 Un médecin condamné pour fraude avec des accusations de viol aurait prescrit du méthylphénidate est utilisé dans l'argumentaire contre la propagande du TDAH. 

Ce type d’argumentation a un nom : le sophisme de culpabilité par association.

Il repose sur une manipulation rhétorique typique des discours conspirationnistes : au lieu d’attaquer les preuves scientifiques, on associe un cas isolé à toute une discipline pour la décrédibiliser.

Mais si on appliquait cette logique ailleurs ?

➡️ Par exemple, un docteur psychanalyste en CMPP (oui oui ça existe...) explique depuis des années que le TDAH n’existe pas, que c’est un problème éducatif. Puis un jour, on découvre qu’il a abusé de patientes ou pratiqué des thérapies douteuses (spoiler : ce n'est pas hypothétique, ça s’est déjà produit).

➡️ Faut-il en conclure que toute la psychanalyse est une escroquerie et que tout psychanalyste est un danger public ? (bon ça se discute ... mais pas pour les faits mentionnés).

➡️ Ou alors, que cet homme en particulier était profondément incompétent, sans que cela invalide tout un champ de pensée ?

Un cas isolé ne définit pas une discipline.

✅ Si un ingénieur est pris en flagrant délit de corruption, cela ne remet pas en question l’ensemble de la science des matériaux.

✅ Si un enseignant triche à un examen, cela ne signifie pas que tout le système éducatif est corrompu.

✅ Si un médecin viole son serment et ses patients, cela ne signifie pas que toute la médecine est une fraude.

Mais quand il s’agit du TDAH, soudain, une exception (et oui, il n'y en a pas qu'une on est d'accord sur le sujet !) devient une preuve universelle.

Ce procédé rhétorique, omniprésent dans les théories du complot, est aussi vieux que les attaques contre les vaccinations ou le changement climatique. Il ne repose pas sur des faits, mais sur des raccourcis émotionnels destinés à semer la méfiance.

Alors, avant de tomber dans le piège de la désinformation, posons-nous la vraie question :

Pourquoi certains sont-ils si pressés de nier des décennies de recherches scientifiques en s’appuyant sur des anecdotes et non sur des données ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.