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Billet de blog 11 octobre 2021

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Le président Macron endosse les justifications coloniales sur l'Algérie

Emmanuel Macron a fait fort le 30 septembre dernier lors d’un déjeuner à l’Élysée en voulant « réconcilier » les mémoires au sujet de « la Guerre d’Algérie ». Dans ses propos rapportés par Le Monde du 2 octobre 2021, trois points méritent d’être relevés, qui sont une insulte à l'HIstoire et à la mémoire de ceux ont combattu la colonisation.

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Emmanuel Macron a, encore une fois, fait très fort le 30 septembre dernier lors d’un déjeuner à l’Élysée, en voulant « réconcilier », parmi les jeunes du pays, les mémoires des uns et des autres, descendants de Pieds noirs et Juifs d’Algérie « rapatriés » ‒ loin de nous le communautarisme, que diable ! ‒, de harkis et de militaires français des deux camps ‒ ceux qui étaient pour la guerre et ceux qui la subissaient ou la condamnaient ‒, et même descendants de moudjahidines, sur la colonisation et « la Guerre d’Algérie ». Dans ses propos rapportés par Le Monde du 2 octobre 2021, trois points méritent d’être relevés.

POINT I. « La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question », le Président Macron dixit.

I.A. Quelle question ? Quel est le rapport entre l’existence de la nation algérienne et l’occupation française ? Cela fut et reste la thèse de ceux qui refusent l’indépendance, à savoir cet argument que l’Algérie n’était pas une nation.

I.B. Indépendamment de la réponse à cette question historique, depuis quand le fait de « n’être pas une nation » justifierait la conquête ? Est-ce qu’un pays qui ne serait pas une nation souffrirait moins de l’occupation étrangère et de ses exactions qu’un autre qui serait une « nation » ?

I.C. Il y a beaucoup à dire sur ce concept de « nation », que l’idéologie républicaine et universaliste bien française présente comme le fin du fin de la modernité et de la civilisation qui, dans le fameux discours de Jules Ferry à la Chambre de 1885, justifie la colonisation. Certes, la nation comme entité sociale régie par une même loi sur un même pour tous élaborée par la souveraineté populaire n’est pas une idée mauvaise en soi. Mais elle n’est pas, dans la réalité historique loin de l’idéologisation renanienne de « communauté d’adhésion permanente »qui fait des Français des Gaulois, comme l’ont professé le Second empire et la Troisième République, si différente de la conception allemande, réputée « ethnique ». La prétendue « république une et indivisible » qu’elle implique n’est-elle pas le voile pudique d’un exclusivisme négateur des langues et des cultures régionales ? On a vu qu’elle pouvait très bien coexister, en Algérie et dans les colonies, avec le régime de l’indigénat institué sous le prétexte d’un défaut d’assimilation dû à l’infériorité civilisationnelle ders peuples sous le joug… Cette « nation » exclusiviste bien française contient donc une dose insécable de schizophrénie… En tout cas, après les expériences des prétendus « États-nations » imposés un peu partout dans le monde depuis un siècle et demi, notamment en Europe centrale, en Afrique et au Moyen-Orient, qui ont servi de paravent idéologique à la réalité d’États tyranniques négateurs d’un tissu social complexe et pluriel, et après le désastre du « nation-building » de ces dernières décennies, il serait peut-être bon de se questionner sur la validité de cette conception et de cette pratique de la « nation », de se demander s’il n’existe pas d’autres voies vers des sociétés offrant un tissu de relations stables compatible avec les exigences de le vie moderne que la nation.

I.D. Quoi qu’il en soit, nation ou pas nation, la conquête, l’occupation et la colonisation d’un pays par un autre sont bien des crimes car ils expriment, de façon radicale et particulièrement oppressive, la rupture de l’unité de l’espèce humaine… Certains de nos contemporains, rares il est vrai mais bien réels, les ont dénoncées à l’époque. Ce n’est pas réécrire l’histoire après coup que de l’affirmer aujourd’hui.

POINT II. « Je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient. » Encore Emmanuel Macron.

II.A. Si on parle de la Turquie comme de l’Empire ottoman, on pourrait tout aussi bien parler de la France d’aujourd’hui comme de l’Empire français d’hier. Qui n’a pas ses nostalgies impériales ? Encore l’histoire de la paille et de la poutre…

II.B. Les Ottomans ne sont pas venus occuper al-Wāsita, littéralement « le [Maghreb] Central », avec Baba Aroudj et son frère Kheir el-Din en 1516. Ils y ont été invités par les notables d’abord de Djijel, puis d’Alger ‒ il en sera de même ensuite par ceux de Tunis ‒, pour les protéger des attaques des Espagnols, pour aller secourir en Espagne les « Andalous » ‒ Juifs et Musulmans ‒ persécutés, enfin pour frayer une voie au commerce maritime musulman, interdit par les papes en Méditerranée occidentale et appuyé par la course des chevaliers de Malte.

II.C. Baba Aroudj et Kheir el-Din en ont profité, il est vrai, pour se tailler un domaine, la Mamlakat el-Djazâ’ir, la « Régence d’Alger » dont ils ont offert la suzeraineté à la Sublime porte. Ce faisant, ils n’ont pas agi différemment que tous les grands princes de l’époque, en Europe ou ailleurs. Est-ce que François 1er, allié à Kheir el-Din dans le siège de Nice en 1543, œuvrait pour le bien de la France ou pour ses intérêts propres ? Vous voyez bien que c’est une question oiseuse, celle qui fait encenser François 1er et disqualifier Kheir el-Din. Il est vrai que, bien des fois, des secteurs de la Mamlaka furent en délicatesse avec le Dey ou les différents beys, comme ce fut le cas de Mohy l-din, le père d’Abd el-Kader, avec le bey d’Oran. Mais voici une grande différence entre les Ottomans et les Français : les premiers ont tenu le pays, par administration directe ou partielle, c’est-à-dire par un système de vassalités, pendant trois siècles avec une milice de 15 000 hommes, et il est stupide de prétendre, comme l’ont fait les laudateurs de la conquête coloniale, que des mosquées, ceci pour accentuer encore le préjugé du féodalisme et d l’obscurantisme… Les Français, en revanche, ont perdu entre 1830 et 1848 rien moins que 100 000 hommes pour conquérir ce pays. Et ce fut au prix de l’anéantissement, dans la même période, d’un million d’Algériens, soit le tiers de la population. Sautons un siècle : les gouvernements de la IVe République ont dû rameuter, de 1954 à 1962, 500 000 soldats en vain pour le conserver, et cela au prix de massacres inouïs, d’un million de morts et encore au parcage du quart de la population de l’époque dans les fameux « camps de regroupements » qui n’étaient pas ceux de la « barbarie turque », mais de la « République française », « universaliste » et tout et tout…

II.D. Notez que l’État érigé en 1516 possédait déjà des frontières septentrionales – avec le Maroc et Tunis ‒ qui, sauf à de rares époques, sont restées jusqu’à aujourd’hui les mêmes. Elles ont en tout cas moins changé que celles de la « nation » française… Certes, les frontières d’un territoire ne suffisent pas à en faire une nation, phénomène qui est le résultat d’un long processus historique, mais la résistance algérienne à l’occupation française fut un moment de ce processus de naissance, déjà entamée depuis longtemps, comme le prouve l’ampleur de l’unité, certes imparfaite, réalisée contre la conquête. Il est aussi absurde et grotesque de suggérer que la France a suscité la « nation algérienne » que de prétendre qu’elle a suscité la nation allemande, l’italienne, etc. C’est encore un effet de ce nombrilisme chauvin.

POINT III. « La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle. Tout le problème, c’est la France. » Toujours Emmanuel Macron.

III.A. S’il avait dit : « les gouvernements algériens depuis 1962 », il n’aurait fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Non, c’est « la nation algérienne » dont il parle, ce qui est une insulte aux Algériens eux-mêmes, et en particulier aux mouvements d’opposition qui se sont régulièrement manifestés depuis 1962, dont le plus récent est le Hirak, dont Emmanuel le Macron n’a pas hésité à vanter le traitement par Abdelmadjid Tebboune. Par le canal de ce mouvement, la nation algérienne n’est donc pas dupe : elle affirme précisément que « le problème », c’est… « le système algérien », dont elle rend les gouvernements français complices.

III.B. Il ne faut pas mésinterpréter le sens de l’imaginaire du Hirak. Tous les grands mouvements sociaux rejouent, dans l’imaginaire, les mouvements glorieux qui les ont précédés dans la réalité : la Commune de Paris de 1871, celle de 1792 ; la Révolution russe de 1917, la Commune de Paris de 1871 ; et Mai 68, la Révolution russe avec laquelle il avait pourtant peu à voir. Le Hirak ne fait pas exception : il revit la Révolution algérienne, non contre la France occupante mais contre le gouvernement algérien, et s’il stigmatise le rapport entre le « système » et le gouvernement français, l’accent est mis, dans cette reviviscence historique, sur la revendication du retour au Congrès de la Soummam de 1956 et celle de la subordination du militaire au politique, qui n’a rien à voir avec la puissance coloniale et constitue une revendication proprement interne à la société algérienne.

III.C. Quant à la question de la « rente mémorielle », les gouvernements algériens ne sont pas les seuls à la manipuler. On sait que la Seconde République avait repris de la Première la devise Liberté-Égalité-Fraternité, que Robespierre avait opposé à celle de Liberté-Égalité-Propriété affiché par cella Fête de la Loi du 3 juin 1792. N’est-ce pas elle qui, au nom du « pays des droits de l’homme », s’est empressée de prouver la réalité de cette Fraternité par le massacre des ouvriers parisiens de 1848… N’est-ce pas la Troisième République, dont on cache, sous les drapeaux de la laïcité, les crimes de l’écrasement de la Commune de Paris, des conquêtes coloniales et du régime de l’indigénat dont il a déjà été parlé, celui de la participation à la boucherie impérialiste de 1914-1948 et de sa capitulation tout à fait parlementaire devant Pétain en 1940 ? N’est-ce pas la Quatrième qui est née sur les massacres du 8 mai 1945 dans l’Est algérien ? Et la Cinquième, présentée comme celle qui « a fait la paix en Algérie », la République qui, en attendant, a poursuivi en grand le plan Challe et les camps de regroupement déjà évoqués, n’est-ce pas elle qui a commis, en pleine capitale du « pays des droits de l’homme », le meurtre d’État du 17 octobre 1961 ? Tout cela pour dire que, quand on accuse le voisin d’instrumentaliser une rente mémorielle, il serait bon d’abord de commencer par balayer devant sa porte… 

Conclusion : Emmanuel Macron qui veut rapprocher les « mémoires » de la colonisation et de la Guerre d’indépendance, le fait sur la base des préjugés de la France coloniale et de ses nostalgiques. Est-ce bien lui qui affirmait à Alger en 2017, pendant sa campagne électorale, que la colonisation était un crime contre l’humanité ? Comme le veut l’adage, les paroles n’engagent que ceux qui les entendent.

Lundi 18 octobre 2021.

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