roland laffitte (avatar)

roland laffitte

chercheur indépendant et essayiste

Abonné·e de Mediapart

25 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 octobre 2025

roland laffitte (avatar)

roland laffitte

chercheur indépendant et essayiste

Abonné·e de Mediapart

Deux ans après le 7 octobre 2023, un essai de bilan

roland laffitte (avatar)

roland laffitte

chercheur indépendant et essayiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les injonctions faites par Donald Trump au Hamas et à Israël n’ont pas le même effet des deux côtés. Le Hamas a, selon lui, « accepté certaines choses très importantes », mais Israël continue à bombarder Gaza et a tué plus de cent personnes depuis que lui a été intimé l’ordre, si peu suivi d’effet, de cessez-le-feu. Les négociations indirectes chapeautés par Jared Kushner et Steve Witkoff se sont ouvertes à Charm El-Cheikh, deux ans jour pour jour après les attaques du 7 octobre 2023, et qui sait ce qu’il en sortira ? C’est l’occasion de revenir sur la signification de ces attaques et de la rétorsion israélienne d’une ampleur inimaginable qui la suit depuis deux ans.

Sur la nature des attaques du 7 octobre 2023

Ce n’est pas une seule attaque qui se produisit le 7 octobre 2023, mais plusieurs, de types différents. Tout est parti du fameux plan du Hamas que les Israéliens ont baptisé de façon quelque peu masochiste « Mur de Jéricho ». Il visait des cibles militaires, notamment le fameuse Division de Gaza qui garde la frontière, des centres de police et de renseignement, et l’occupation de cités en vue de la prise d’otages afin de les échanger, selon une habitude bien établie, avec des prisonniers palestiniens dont des milliers sont sans retenus de façon administrative, sans jugement et de façon indéfiniment reconductibles dans les geôles israéliennes. Cet assaut aurait mobilisé 1 500 combattants selon le Hamas. Mais il y eut aussi d’autres attaques, du fait d’un nombre à peu près égal de Gazaouis, soit 1 500 autres hommes, qu’ils fussent combattants d’autres organisations palestiniennes comme le Jihad islamique, ou des groupes de civils formés spontanément. Ces derniers profitèrent des brèches ouvertes dans la clôture pour retourner sur la terre dont leurs grands-parents furent chassés en 1948, le cœur plein de rage contre ceux qui avaient pris leur place. Pour davantage de détails, voir le récit des événements fait en novembre 2023 dans De la Révolution française aux guerres de Palestine ‒ Terreur et terrorisme, pages 66-67.

Ce texte rappelle que ces attaques ne tombent pas du ciel. Elles s’inscrivent dans une longue histoire d’occupation et d’oppression sionistes, commencée sous le mandat britannique au sortir de la Première Guerre mondiale et aujourd’hui perpétuée avec l’appui complet des États-Unis et des puissance européennes, Russie comprise, dont la Nakba n’est qu’un des épisodes saillants. La nature de ces attaques est donc anticoloniale.

La commission d’actes qui peuvent être à juste titre qualifiés de « terroristes » est constant dans l’histoire des luttes anticoloniales. Mais ramener ces luttes à des actions terroristes est une infâmie, comme en est une autre le fait de définir comme « terroristes » la nature même des organisations anticoloniales. C’est pourtant toujours ainsi qu’ont été traitées ces organisations : par les Anglais en Irlande, en Inde ou au Kenya, ou par les Français en Indochine, à Madagascar, en Algérie ou au Cameroun, les Étasuniens au Vietnam, etc. Ces faits sont rappelés dans la partie du texte précité intitulée « Terreur et terrorisme dans les luttes coloniales et anticoloniales », pages 29-54. Rien d’étonnant qu’il en soit de même avec les Israéliens et leurs parrains en Palestine. Pour abominable qu’il soit, et quel que soit l’opprobre qu’il suscite, même le massacre du festival de musique Nova à Ré’im ne change pas la nature anticoloniale de la lutte palestinienne.

Le Hamas possède un programme résolument conservateur, mais cela n’est pas le critère qui le fait vouer aux gémonies par Israël et ses États-parrains, lesquels sont les plus ardents soutiens de pays qui, au Moyen-Orient même, ont des gouvernements dont le programme n’est pas socialement différent. Cette question est du ressort des Palestiniens eux-mêmes et nous n’avons à juger à leur place. Il est toutefois faux d’assimiler le Hamas à Daech et de vouloir noyer sa lutte dans celui d’une sorte de pieuvre islamiste globale qui aurait des tentacules dans un prétendu « séparatisme islamique » en France, « pieuvre » contre laquelle serait mené, ainsi que le prétend Benjamin Netanyahu qui a trouvé un large écho dans notre pays, le combat de la Civilisation contre la barbarie… De toute façon, le caractère « islamique », imprimé par le Hamas à la lutte palestinienne, au demeurant nettement allégé dans sa Nouvelle Charte de 2017[1], ne saurait non plus effacer la nature anticoloniale de la lutte palestinienne. Pas davantage que son caractère islamique ne pouvait disqualifier avant-hier la lutte d’Abd el-Kader contre la France, ou que le caractère islamique de secteurs entiers du FLN algérien ne pouvait naguère altérer sa nature anticoloniale. Si les religions – et l’islam n’est pas le seul en l’occurrence ‒ confèrent assurément, qu’on les aime, les déteste et même les combatte, des caractères particuliers aux luttes politiques, et en particulier aux luttes nationales, elles ne changent nullement changer leur nature.

La propagande israélienne ne cesse de parler des attaques du 7 octobre 2023 comme d’un progrom. Ceci est une constante pour les révoltes palestiniennes depuis les années 1920. Comme si ces attaques étaient globalement dirigées contre « les Juifs » en tant que Juifs, non contre les Israéliens qui, pour rendre confuse la frontière entre ces notions, se présentent aux Palestiniens en qualité de « Juifs » et aux Juifs du monde entier comme leurs représentants. Cela est d’ailleurs contesté par une minorité de Juifs se revendiquant comme tels mais refusent la politique criminelle d’Israël dont ils pensent qu’elle leur fait tort et peut même les mettre en danger. La vérité est que les attaques du 7 octobre 2023 furent essentiellement dirigées contre les Israéliens en tant qu’occupants et oppresseurs de Gaza et de la Palestine.

Cette même propagande israélienne n’hésite pas non plus à traiter ces attaques, au cours de laquelle ont certes eu lieu de déplorables massacres de civils, de génocide, alors qu’elle refuse de qualifier telle la politique de l’armée israélienne à Gaza. Cela malgré le fait que ce terme soit, dans son sens juridique et pas seulement polémique, désormais utilisé de façon courante par des institutions internationales comme la Cour de justice internationale ou des organisations des Nations unies, des centaines d’organisations humanitaires internationales, et même plusieurs organi-sations israéliennes de cette nature, ainsi que de nombreuses personnalités politiques ou morales, y compris en Israël.

Un bilan humain effroyable

Limitons-nous ici au nombre de victimes, en laissant de côté la dévastation systématique du territoire de Gaza, le ravage de pratiquement toutes ses terres agricoles, la destruction en tout ou en partie de près de 90 % des logements, de la quasi-totalité des moyens de vie sociale : administration, écoles, universités, hôpitaux, fourniture d’eau et d’électricité ; le blocus général créant une situation de famine, aggravée par les tirs sur les populations venant aux centres de distribution de nourriture, et l’extrême difficulté de soins médicaux ; tous éléments rendant à l’évidence toute vie impossible à Gaza et servant à justifier un nettoyage ethnique qui ne fait plus mystère pour personne.

En comparant les chiffres des victimes du « terrorisme » attribué aux opprimés et du prétendu « contre-terrorisme » des oppresseurs, l’histoire montre une disproportion immense qui tourne invariablement autour de 1 à 100. Les attaques palestiniennes du 7 octobre ont fait près de 1 160 victimes (dont 750 civiles) auxquelles il faut retrancher le nombre, tout à fait documenté par des sources israéliennes elles-mêmes qui les porte à 20 % du total, des victimes des « tirs amis » dus à la confusion générale dans l’armée et aux effets désastreux de la Directive Hannibal, selon laquelle un Israélien mort est préférable à un Israélien otage. Nous en sommes à ce jour à plus de 67 000 morts dénombrés par les hôpitaux, sans parler des morts ensevelis sous les décombres et ceux qui sont décédés sans soins sous leur tente ou isolés dans les ruines, probablement deux fois plus selon le politologue Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales[2]. Et n’oublions pas que sur ce nombre, il faut compter 83% de civils selon les chiffres de l’armée israélienne elle-même, révélés par le quotidien britannique The Guardian.

Quel bilan, alors ?

Sur le plan militaire, victoire militaire d’Israël ? Voire… Le Hamas ‒ cible officielle d’Israël alors que la rétorsion a pris l’allure d’une vengeance générale conte le peuple palestinien dans son ensemble ‒, n’est pas encore éradiqué, comme l’administration de Benjamin Netanyahu s’était vanté d’y parvenir. Il est probablement un mouvement grandement désorganisé, et il y a peu de chances que tous les groupes dépendant de lui désarment entièrement. Cela sans parler du fait qu’il n’est pas la seule organisation armée, et que les autres ne sont pas tenues par ses engagements. Sur le plan politique, le reste de ses dirigeants non encore assassinés semble, dans le plan de Donald Trump, à l’abri de l’extermination, à moins que nous assistions à un coup de Jarnac de son administration ou, ce qui aussi possible, à des actes félons israéliens en violation du protocole tracé qui laisse, il est vrai, pas mal de latitude à l’ami israélien. Et rien ne dit, s’il doit s’effacer institutionnellement et même s’il devait être complètement détruit, que le Hamas ne pourrait réapparaître sous une nouvelle forme qui constituerait, en cas d’élection, la première force politique, en Cisjordanie, cela est presque certain, et même à Gaza, ce qui est possible. Nous verrons bien si la nouvelle autorité de tutelle de la Palestine qui est en train de prendre forme, sans mandat international cette fois comme dans les années 1920, mais avec un simple mandait étasunien, se résoudra à des élections…

Ces deux années de tragédie ont apporté à la Palestine deux choses. Celle-ci a d’abord obtenu, contre tous, le fait de n’avoir pu être passée par pertes et profits des Accords d’Abraham concoctés par Donald Trump et son gendre Jared Kushner en 2020, et la fait de toujours être là, comme le nez au milieu de la figure du Moyen-Orient, après de longues années d’oubli par les grandes puissances. Un oubli conforme aux vœux les plus chers de l’administration de Benyamin Netanyahu. Répétons-nous : même si le nouveau plan Trump-Kushner-Blair dénie encore toute existence institutionnelle à la Palestine alors que 160 États de l’ONU la reconnaissent comme État, le 7 octobre marque l’impossibilité pour la Palestine de disparaître de la scène politique internationale. Cette effroyable tragédie a aussi contribué à déconsidérer totalement, à l’échelle internationale, l’État d’Israël et l’instrumentali²sation qu’il fait, par un chantage éhonté à l’antisémitisme, de l’indéniable et épouvantable tragédie de la Shoah, cela à des fins de colonisation et d’oppression de la Palestine, lesquelles sont rappelées au monde entier sous leur jour le plus épouvantable. Pour le dire en d’autres termes, cela apporte la preuve démoralisante que les victimes – ou plutôt une partie de ceux qui se réclament d’elles ‒ peuvent devenir à leur tour d’impitoyables bourreaux.

Ces résultats tangibles ont été payés d’un prix réellement exorbitant par les populations palestiniennes. Un prix dont sont comptables, il faut le souligner, les États qui ont osé sans vergogne déclarer, juste après la Nakba, Israël « État pacifique », dans la Résolution 273 (III) de l’ONU du 11 mai 1949, et qui pensent s’exonérer un peu vite aujourd’hui avec quelques belles paroles de protestation sur les « droits de l’homme ». Ces « droits » agités au besoin mais qu’ils ont largement bafoués, et continuent de le faire par ailleurs quand cela leur sert à leur cupidité et leurs intérêts de puissance.

Personne ne sait pas ce que donneront les négociations de Charm El-Cheikh, de quels rebondissements dramatiques elles peuvent encore être l’objet. Maus une chose est sûre : les deux années qui viennent constituent une énième station majeure, et hélas ! probablement pas la dernière, du long calvaire du peuple palestinien.

[1] Hamās, Waṯīqa al-mubādīa wa-l-syāsāt al-ᶜāmma, sur le site du Hamas, ayār (māyū 2017) ; voir la version française sous le titre La Charte du mouvement Hamas, sur The Palestine Chronical / Chronique de Palestine le 07/05/mai 2017.

[2] Bertrand Badie, à « L’info du jour », 13 heures, sur France 24, le 22 septembre 2025.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.