Le plan Bayrou n’est qu’un épisode dans un vaste plan d’attaque que mènent les classes dominantes et leurs gouvernements envers les classes laborieuses et populaires depuis quelques décennies. Considérons quelques-uns des axes de ce plan :
* Parlons du droit du travail, conçu au départ pour limiter les pressions et empiètements des entrepreneurs sur les conditions de vie des travailleurs et qui traduit ̶ de façon partielle et déformée, il est vrai ̶ un bon siècle et demi de conquêtes sociales. Si on le conservait, s’écrie le patronat qui prône au fond la liberté du renard dans le poulailler, avec toutes ses limites, interdictions et contraintes paralysantes, la concurrence internationale ne permettrait pas à nos entreprises de survivre. Il est donc impératif s’en débarrasser. C’est bien parti : il est détricoté mesure après mesure depuis 1984, et surtout rendu inutile par le développement de l’auto-entreprenariat et de l’ubérisation du travail.
* Parlons de la protection sociale, amorcée en 1900, largement étendue en 1945 et améliorée jusqu’en 1982. Ne parlons même pas du fait qu’elle cultiverait, dans l’esprit des chantres du travail – surtout le travail des autres ! ‒ oisiveté, assistanat et paresse, et réprimerait initiative et responsabilité personnelles. Si on la maintenait, si l’on perpétuait au niveau actuel les remboursements de frais médiaux, les jours de carence, les congés maladie, l’indemnisation des chômeurs, etc., entonnent les économistes de l’officialité industrialo-étatique, la sacro-sainte concurrence internationale ne permettrait pas à nos entreprises de survivre. Il est donc urgent de la liquider : cela s’opère aussi, progressivement, étape par étape, depuis 1984.
* Parlons du temps travail. Si l’on persiste sur la voie de la diminution du temps de travail ouverte par les luttes ouvrières au milieu du XIXe siècle, si l’on répugne à prendre la voie inverse de l’augmentation du temps de travail, si l’on hésite à supprimer des jours fériés et des semaines de congés payés, et à reculer drastiquement ̶ certains pensent déjà à 67 ans, d’autres même à 70 ans ̶ l’âge effectif du départ à la retraite, nous serinent-ils, cette concurrence internationale idolâtrée ne permettrait pas à nos entreprises de survivre. Et cela est devenu le bréviaire de nos gouvernements successifs.
* Parlons des « charges sociales » qui ne sont en réalité qu’une part des salaires, un salaire différé. Si l’on se refuse à les diminuer, s’époumonnent pourtant ces mêmes dévots de la liberté absolue de l’entreprise. Quant aux salaires nets, ils pèsent aussi trop lourd sur les coûts et constituent un handicap dans cette diable de concurrence ! Et figurez-vous que la hausse des salaires signifierait la diminution de l’emploi, ce qu’il n’empêche pas que la compression des salaires depuis des décennies s’accompagnent d’un chômage de plus de 6 millions de personnes ! Tous les sacrifices doivent être consentis par les salariés pour que les entreprises soient prospères : il en découlerait, selon ces prêtres de la religion du capital, un ruissèlement de la richesse dont les bénéfices atteindraient tout naturellement les bas de l’échelle sociale. Sans ce pieux dévouement des salariés, la concurrence internationale ne permettrait pas à nos entreprises de survivre. Nos gouvernements s’attachent, pour sûr, à relayer ces boniments et à les traduire en politique.
* Parlons de la fiscalité des entreprises. Les gouvernements doivent continuer à la diminuer, à réduire encore l’impôt sur les sociétés, comme cela s’opère depuis plus de quarante années, les taxes diverses qui alourdissent les coûts de façon insoutenable. Surtout, ils doivent se garder de diminuer en quoi que ce soit les aides et subventions consenties sans contrepartie aux entreprises, qui s’élèvent aujourd’hui à rien moins que 211 milliards contre 68 milliards d’impôt sur les sociétés et 93 milliards d’impôts de production… La concurrence internationale érigée en tabou ne permettrait pas à nos entreprises de survivre, martèlent encore nos braves propagandistes de l’effort des autres, persuadés qu’ils parlent au nom du bien commun. Qu’ils se rassurent : année après année, l’impôt négatif, cette aide nette aux entreprises gonfle toujours un peu plus, financée par les impôts dont la TVA, qui portent sur les consommateurs, c’est-à-dire sur tout le monde et de façon proportionnelle plus gravement sur les classes les plus pauvres.
* Parlons des impôts sur les riches. Il importe de continuer à en baisser le taux, comme cela a été fait avec la suppression l’impôt sur la fortune et l’institution de la dite flat tax dans la langue de Molière. Dans le cas contraire, nos pauvres richards seraient tentés de frauder, ou de s’expatrier, nous rabattent les oreilles les économistes à leur service, et ils ne pourront plus investir et donc préserver votre emploi : ce qui est bon pour Bernard Arnaud est bon le plus modeste balayeur qui nettoie la rue devant sa porte. Avez-vous vu, ces dernières années, un gouvernement qui ait diminué des impôts, sauf de façon homéopathique et exceptionnelle pour faire accroire au bon peuple que tout le monde participe à l’effort commun ?
* Parlons enfin de la protection de la nature, aujourd’hui mise à mal par les pillages industriels et les saccages de l’agriculture productiviste, et qui mériterait bien plus de place dans cet inventaire. Si l’on veut préserver la nature comme l’exige « l’écologie punitive », rabâchent inlassablement énergéticiens prédateurs, industriels pollueurs et tenants de l’agriculture dévastatrice des sols, des paysages et de la santé des hommes, la concurrence internationale sacralisée ne permettrait pas à nos entreprises de survivre. Il est donc impératif de jeter par-dessus bord tout ce fatras de lois qui se disent écologiques, difficilement mises en place ces dernières années. C’est exactement ce à quoi s’attachent aujourd’hui députés et gouvernants.
Doit-on s’étonner que dans notre pays, les riches n’aient jamais été aussi riches et que le taux de pauvreté n’ait pas été aussi grand depuis quelques décennies ?
Que penser d’un système économique qui pèse jour après jour sur les conditions de travail et de vie des classes populaires ?
La réalité est que sont finis les temps où le prétendu « Occident » pouvait dicter sa loi au monde. Pensez au slogan ridicule du « Make America great again », réitéré à chaque nouvelle défaite des États-Unis ! Songez à la façon dont les puissances nord-atlantiques s’accrochent au privilège de leur enfant chéri israélien en Palestine ! Réfléchissez à l’expulsion de la France de son pré carré africain !
Finie la possibilité de corrompre les classes populaires en les associant, comme cela a été fait depuis plus d’un siècle, à l’exploitation et à l’oppression du monde entier, et finies en conséquence les miettes des pillages impériaux-coloniaux qu’elles pouvaient leur concéder contre leurs coups de boutoir, ne l’oublions pas, et la peur de crises sociales graves à l’issu imprévisible pour leur domination !
Alors se font plus fortes les voix et se multiplient les mesures de division des classes laborieuses par le racisme et la xénophobie, qui portent ses parties les unes contre les autres afin d’affaiblir et de stériliser une réponse commune à la dégradation des conditions de travail et de vie et d’élever des pare-feu contre le risque d’incendie de leurs luttes, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
« Le capitalisme détruit l’homme et la terre », comme l’affirmaient déjà Fourier, Marx et tous ces socialistes aujourd’hui passés de mode. Il ne le fait pas seulement dans les autres continents longtemps dominés par lui où cela s’est manifesté dans ces proportions féroces et particulièrement inhumaines, et où sont nés désormais de puissants concurrents et rivaux, mais ici-même, dans ce vieux continent où il est né.
Les pleurnicheries, geigneries et jérémiades pour implorer, selon la formule du vieux Thomas d’Aquin, un illusoire « juste profit » pour tous à la table de négociations, pourraient-elles suffire à contrer cette tendance profonde que les classes dominantes inscrivent dans les faits avec une brutalité inouïe ?
De la concurrence économique à la propagande guerrière.
La « démocratie de marché », formule chère à Bill Clinton, c’est-à-dire la liberté absolue du marché drapée de vertus démocratiques, loin d’apporter la paix au monde, exacerbe la concurrence entre les grands monstres qui se partagent le marché mondial cet dont les batailles sont d’autant plus ravageuses que leur taille est gigantesque.
Après les 44 milliards d’économies budgétaires prévus par le plan Bayrou pour maintenir les aides nettes faites aux entreprises et sauvegarder la fortune des plus riches ̶ sans lesquels nos sociétés, paraît-il, seraient perdues ‒, un nouveau tour de vis est exigé des classes populaires pour « réarmer » le pays qui se serait laissé corrompre par les bénéfices de la paix…
Cela n’est qu’un début ! Il faut être « plus fort » afin d’être « craint ». On ressort le millénaire slogan belliciste : Si vis pacem, para bellum ! pour se mouvoir à son avantage dans la jungle internationale des cupidités, des rapacités et de l’idolâtrie de la puissance, auxquelles les peuples n’ont aucun intérêt à prendre part.
Alors se font plus fortes les voix haineuses du nationalisme et du chauvinisme, afin de faire barrage à des luttes pour la paix, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Là encore, une vieille formule : « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ». Jaurès est-il si ringard que cela ?
Il est plus que temps de nous déciller les yeux, de prendre conscience de ces réalités pour agir en conséquence.