Le 12 septembre, sur proposition franco-saoudienne, l’Assemblée générale de l’ONU adopte par 142 voix pour, 10 contre – dont Israël et les États-Unis – et 12 abstentions, une déclaration relançant la solution à deux États. Il est précisé ce qui suit : « Le Hamas doit cesser d’exercer son autorité sur la bande de Gaza et remettre ses armes à l’Autorité palestinienne, avec le soutien et la collaboration de la communauté internationale, conformément à l’objectif d’un État de Palestine souverain et indépendant ».
Le 21 septembre, sans attendre l’Assemblée de l’ONU, La Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et le Portugal reconnaissent officiellement l’Etat de Palestine. Le 22 septembre, c’est le tour de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de Malte, de Monaco et de Saint-Marin, ce qui porte à 158 le nombre d’États qui l’ont fait sur les 193 membres de l’ONU.
En 1948, l’ONU admettait parmi ses membres d’Israël, qu’elle qualifiait sans vergogne, au sortir de la Nakba, d’« État pacifique », en ne soufflant mot d’un « État palestinien » pourtant prévu dans le plan de partage du 17 novembre 1947 contenu dans la Résolution 181 ? Il n’a fallu attendre que 77 ans pour que Français et Anglais, les responsables premiers de la situation inextricable qu’ils ont créée en 1916-1923, reconnaissent un État de Palestine à côté de celui constitué par les colons sionistes par les habitants autochtones. Mieux vaut tard que jamais, dira-t-on.
Mais cela signifie-t-il la fin du « deux poids deux mesures » exécrable qui dure depuis cette époque ? Regardons de près :
D’un côté un État surarmé et qui ne considère toujours pas avoir de frontières définies, ce qui était pourtant une condition de sa reconnaissance par la Charte de l’ONU, un État à qui les puissances atlantiques accordent toujours « un droit à se défendre » sans limite.
De l’autre côté, une entité toujours virtuelle qu’Israël empêche de vivre, elle et ses habitants. On demande par avance à cet État d’accepter d’être sans armes, mais il serait « souverain ». On lui demande aussi de se résigner de laisser agir librement, sur son propre territoire, des forces de sécurité israéliennes. On exige de lui qu’il existe sans le Hamas, faisant fi du fait que ce dernier constitue probablement, en Cisjordanie comme à Gaza, la force politique majeure. Et on prétend qu’il serait indépendant » ! Imaginez que l’Algérie ait été reconnue en 1962, mais sans le FLN.
Ce n’est pas tout. Voici qu’au dernier moment, Emmanuel Macron, stupidement accusé par certains d’aller à la pêche électorale de la « communauté musulmane », comme si la « question palestinienne » n’était pas en soi un sujet important de politique internationale, vient de consulter quelques personnalités éminentes de notre pays. Parmi elles, certaines lui ont déclaré que « reconnaître l’État de Palestine était un cadeau fait au terrorisme du Hamas », d’autres l’ont prié de « conditionner cette reconnaissance à l’élimination complète du Hamas ». Voulant répondre à leurs objections sur la reconnaissance de l’État de Palestine sans plus attendre, il a décidé l’ajournement de l’ouverture d’une ambassade de cet État à Ramallah, en l’assujettissant à la libération des otages israéliens par le Hamas. Un énième « en même temps » qui prend, pour les Palestiniens, l’allure de la flèche du Parthe, et marque encore son mépris à leur égard. Aucune pensée en effet pour les 10 000 otages palestiniens dans les prisons israéliennes, tellement bien traités que la Cour suprême de ce pays vient de dénoncer le fait qu’ils ne recevaient pas « une alimentation suffisante pour leur subsistance ».
Rien de neuf dans le discours d’Emmanuel Macron à l’ONU. Ni dans le besoin rhétorique de la paix et d’un cessez-le-feu, ni dans la dénonciation du blocage de l’aide humanitaire, ni dans le plan d’une marche vers la « solution à deux États » incluant le « démantèlement » militaire et politique du Hamas et la mise sur pied d’une force internationale avec participation française appuyant l’installation d’une autorité nouvelle en Palestine. Ni même peut-être dans la formule que le peuple palestinien « n’est pas un peuple en trop » en regard des vibrantes protestations d’amour pour Israël. C’est l’occasion de reprendre la formule : « On vous souhaite bien du plaisir »…
Il semble que 52 mairies ont arboré ce jour sur leur façade un drapeau palestinien, affrontant ainsi le risque de sanctions administratives promises, sans peur du ridicule, par le ministre de l’Intérieur. Elles ont répondu de cette manière à l’initiative de la nuit précédente, qui a consisté à illuminer la tour Eiffel aux couleurs israéliennes et palestiniennes. Les mêmes qui affichent cette prétendue « neutralité », cette fausse balance égale entre occupants et occupés, entre oppresseurs et opprimés, se sont bien gardés, le 24 août dernier, de hisser le drapeau russe à côté du drapeau ukrainien sur le même monument. Ah ! qu’il est difficile de lâcher la moindre concession pour les Palestiniens : ils ne sont pas vus pour eux-mêmes, mais par les yeux de leurs amis israéliens aujourd’hui arrivés en masse, en dépit de personnalités et de petits groupes courageux, sur la position odieuse des Pieds noirs d’Algérie qui soutenaient l’OAS en 1961-1962.
Au fait, que peut signifier, dans la vie des intéressés, les Palestiniens, le fait de leur reconnaître un État, mais sans décider dans le même mouvement des sanctions effectives et sévères pour mettre fin à la colonisation de la Cisjordanie toujours en marche, et contre le nettoyage ethnique et le génocide qui se perpétuent à Gaza ? Le valeureux journaliste palestinien Rami Abou Jamous le dit en ces mots amers : « c’est comme reconnaître un supplicié qui a la corde au cou et marche vers la potence »...
Drôle d’État, pour sûr, que cet État de Palestine porté en ce jour sur les fonts baptismaux par le couple franco-saoudien. Il ne lui est pas accordé davantage de liberté de mouvement qu’aux Bantoustans créés par l’Afrique du Sud en 1976, et non reconnus internationalement.