Le meilleur de tous les « Astérix » portés à l’écran ? Assurément, il s’agit de « Mission Cléopâtre », réalisé par Alain Chabat en 2002. Un chef-d’œuvre d’humour, l’apothéose de ce qu’on appelait « l’esprit canal ». Aujourd’hui encore, il est en tête de tous les classements, cité comme un modèle du genre. Autant dire qu’il est déconseillé de ne pas aimer.
Et pourtant…
Je me rappelle bien de la séance à laquelle j’ai assisté dans un mégarama d’une grande ville française en janvier 2002 et de mes sentiments contrastés. Je me souviens de mes larmes de joie quand j’ai entendu la voix de Claude Rich donner les mythiques phrases d’introduction : « Toute la Gaule est occupée… Toute ? ». Je me souviens avoir constaté qu’Alain Chabat était un vrai connaisseur de cette bande-dessinée, qu’il montrait une tendresse dans l’écriture et une authentique modernité dans sa façon d’actualiser les références. Je me souviens des plans magnifiques, dignes d’un péplum. Et puis enfin, je me souviens de ma dernière impression, celle qui est restée : ç’aurait pu être un grand film, mais ça ne l’est pas. Quelque chose me gêne.
Les références publicitaires qui émaillent le film, déjà, cette façon de rendre cool ce qui ne l’est pas : la marchandisation du monde, la culture du fric. Je n’aime pas la pub, je n’ai jamais aimé. En tous cas, je préférerais qu’elle ne sorte pas du cadre qui lui est donné. Je ne veux pas la voir peupler et polluer mon univers et que, mélangée à des personnages que j’aime, elle me force à lui sourire.
Il y a cet entre-soi aussi, ces private jokes destinées aux initiés, le fameux « esprit canal ». J’aurais préféré que cet esprit ne vienne pas me dire, dans un film populaire - c’est-à-dire supposé s’adresser à tous -, qu’il y en a qui en sont et les autres, ceux qui n’en sont pas et qui restent dehors.
À cet égard, la scène finale du film est édifiante : c’est une soirée dans une boite de nuit sélect. Le message est clair : tout le monde ne fera pas partie de la fête. « Mission Cléopâtre » n’est pas un film populaire.
Dans un film populaire, tout le monde doit être invité. Dans le banquet final - à part Assurancetourix pour des raisons indépendantes de sa volonté -, tout le village est invité. Il n’y a pas un village « In » et un village « Off ». Ce film raconte malgré lui la sécession d’une élite avec la communauté, et la perte de sens du mot « populaire ».
Après la séance, je suis resté quelques minutes à l’extérieur de la salle pour observer les gens qui sortaient. C’était un village gaulois dans son entier, des gens du peuple, et tous étaient silencieux et pensifs.
Quelques mois plus tard, en avril 2002, l’extrême-droite arrivait pour la première fois de son histoire au second tour d’une élection présidentielle. Bien sûr, ce n’est pas de la faute du film. Mais quelque chose y était dit, inconsciemment, qui reflétait l’état réel de la communauté. Le malaise d’Astérix.