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Billet de blog 8 novembre 2010

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"Rationaliser" les autorités indépendantes menace-t-il le débat public ?

Dans un rapport sur la rationalisation des autorités administratives indépendantes, présenté le 28 octobre dernier, les députés René Dosière et Christian Vanneste préconisent une refonte significative de la commission nationale du débat public (CNDP). Leurs propositions représentent-elles un progrès ou une menace ? Les réflexions des auteurs sur les questions de légitimité ou l'utilisation de jurys citoyens mériteraient en effet des clarifications.

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Dans un rapport sur la rationalisation des autorités administratives indépendantes, présenté le 28 octobre dernier, les députés René Dosière et Christian Vanneste préconisent une refonte significative de la commission nationale du débat public (CNDP). Leurs propositions représentent-elles un progrès ou une menace ? Les réflexions des auteurs sur les questions de légitimité ou l'utilisation de jurys citoyens mériteraient en effet des clarifications.

Autorité administrative indépendante depuis 2002, la CNDP a donc été incluse dans un rapport du "comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques" visant à étudier les possibilités pour ces AAI de contribuer aux efforts de "rationalisation" des finances publiques, de disposer d'une plus grande indépendance vis-à-vis de l'exécutif et de voir leurs activités mieux contrôlées et évaluées par le Parlement, dont les auteurs ne manquent pas de rappeler qu'il représente le dépositaire de la légitimité démocratique.

Sans commenter l'approche d'ensemble des AAI par ce rapport (je ne doute pas que voir M. Vanneste travailler sur la Halde suscitera des commentaires savoureux par ailleurs), nous nous intéresserons ici au traitement réservé à la CNDP et, par conséquent, à la procédure du débat public. Inpirée par la convention d'Aarhus et instituée par deux lois de 1995 puis 2002, la procédure du débat public vise à associer la société civile, associations comme citoyens individuels, aux réflexions menées sur les grands projets d'aménagement (par exemple les débats en cours sur les métros Grand Paris et Arc express) ou, sur demande ministérielle, sur des options générales en matière d'environnement (tel le débat sur les nanotechnologies qui s'est achevé en février 2010). Les débats les plus importants sont organisés par des commissions particulières (CPDP) qui l'animenten suivant trois principes : équivalence (les opinions exprimées sont entendues avec la même valeur, quel que soit le statut de celui qui les prononce), transparence (toute l'information disponible sur le sujet mis en débat est accessible au public) et argumentation (toute opinion est recueillie dans le compte-rendu du débat pour peu qu'elle soit justifiée par un argument). Les CPDP elles-mêmes fonctionnent suivant un principe d'indépendance vis-à-vis du maître d'ouvrage, et de neutralité vis-à-vis du projet : à la différence d'un commissaire-enquêteur, une CPDP ne rend pas d'avis mais représente un "tiers garant" de la qualité et de l'équité des débats.

Le rapport parlementaire remis le 28 octobre propose d'une part d'intégrer la CNDP au fameux "défenseur des droits", et de recentrer les compétences de la commission autour des "seuls débats d'intérêt local" (les débats portant sur des projets d'aménagement), le Parlement reprenant en charge les "grands débats publics". Pour ces derniers, les rapporteurs préconisent la création d'un office parlementaire de la participation commun aux deux chambres et "permettant un fonctionnement consensuel entre la majorité et l'opposition". Si la proposition peut éventuellement présenter une certaine pertinence, la formulation et les justifications employées par les rapporteurs appellent certaines clarifications.

A l'appui de leur proposition de confier les débats publics généraux au Parlement, les auteurs déclarent : "Qui mieux que le Parlement lui–même pourrait disposer de l’indépendance nécessaire – et surtout de la légitimité – pour organiser de tels débats publics ?".La proposition comporte en effet une certaine logique. Lorsque le Ministre de l'Environnement saisit la CNDP d'une problématique générale (c'est arrivé trois fois à ma connaissance), c'est généralement pour receuillir les éclairages de la société civile sur l'acceptabilité de certaines réponses à un problème donné, en vue de préparer un projet de loi. Dans un contexte constitutionnel et politique où le Parlement s'avère très contraint par l'exécutif, on pourrait dès lors considérer comme un progrès démocratique le fait qu'il pût se saisir de l'organisation de tels débats publics : en ces temps, tout pouvoir reconquis par le Parlement semble toujours bon à prendre. Néanmoins, on souhaiterait être assuré qu'une telle insistance sur la légitimité parlementaire n'a pas pour but d'exclure la société civile des débats publics.

Un jury de citoyens peut-il remplacer un débat public ?

L'importance accordée par les auteurs du rapport aux jurys de citoyens renforce ce trouble, dans la mesure où le rapport propose assez explicitement de substituer cette méthode à la procédure de débat public. Indéniablement, organiser des réflexions de citoyens profanes tirés au sort est la meilleure garantie de recueillir l'avis de "vraies gens", qui dans les procédures de participation sont spontanément peu présents. Cependant, cet outil participatif représente également, si aucune garantie n'est présentée, un moyen d'exclure du débat public les organisations non gouvernementales au motif qu'elles ne seraient ni légitimes ni représentatives. Dans le même ordre d'idées, intégrer la CNDP au défenseur des droits pourrait être interprété comme un moyen de réduire le rôle de cette société civile : rappelons ainsi que le WWF, France-Nature-Environnement ou l'association "consommation, logement et cadre de vie" siègent à la CNDP. Dès lors, noyer cette commission dans un "super-défenseur des droits" regroupant des autorités relativement disparates représente-t-il réellement un progrès en matière d'indépendance, comme le prétendent les auterrs ? Enfin, le bilan des rencontres ayant permis aux rapporteurs de formuler ces recommandations est plutôt léger. Alors que 150 à 200 débats publics se sont tenus depuis la création de la CNDP, le rapport n'en cite que l'un des plus particuliers, celui sur les nanotechnologies. Or, si l'on s'en tient aux débats sur des options générales, celui sur la problématique des transports dans la vallée du Rhône et l'arc languedocien, organisé en 2006, a justement inclus dans ses moyens de participation un atelier de citoyens tirés au sort : contrairement à ce que le rapport laisse entendre, les panels de citoyens sont tout à fait compatibles avec la procédure de débat public. Mieux, ce type de méthode (et a fortiori le sondage délibératif, concernant plusieurs centaines de citoyens tirés au sort) est une piste à approfondir davantage pour ouvrir une procédure de débat public qui, il est vrai, peine souvent à intéresser "Monsieur-tout-le-monde".

Ainsi, les recommandations formulées dans ce rapport parlementaire semblent devoir, pour représenter un réel progrès, s'accompagner de sérieuses garanties :

- si le Parlement acquiert la compétence des débats généraux, conserver les règles du débat public (transparence, équivalence, argumentation), et continuer de permettre à tout un chacun (association ou citoyen) de faire valoir son avis dans le débat ;

- conserver un rôle effectif des organisations non gouvernementales et d'autres acteurs de la société civile dans la CNDP, conformément à la "gouvernance à cinq" affichée plus récemment par le Grenelle de l'Environnement ;

- clarifier la répartition "seuls débats d'intérêt local" / "grands débats" : les débats sur des projets d'aménagement, y compris les grands d'échelle interrégionale, doivent continuer à être menés par des commissions indépendantes sous l'égide de la CNDP ;

- doter l'éventuel office parlementaire de participation d'un réel fonctionnement collégial, indépendant des logiques majoritaires.

En effet, malgré tout le respect que l'on doit à l'institution parlementaire et au soutien que tout démocrate se doit de lui apporter dans sa réelle indépendance vis-à-vis de l'exécutif, remettre en cause la place conquise par la société civile dans la sphère publique semble aussi dépassé qu'illusoire. Puisque les auteurs du rapport ont cité le débat sur les nanotechnologies, reprenons cette illustration, ou l'exemple des débats sur le nucléaire, pour souligner que les organisations non gouvernementales savent désormais conjuguer une forte expertise technique avec la capacité de se mobiliser de manière spectaculaire si elles estiment biaisés les termes du débat. Si plusieurs élus (nationaux comme locaux, d'ailleurs) considèrent encore avec méfiance l'intrusion de la société civile dans une discussion publique dont beaucoup se sentent encore les dépositaires exclusifs, la participation des citoyens représente pourtant un réel moyen de rendre leur crédit à des institutions politiques subissant une inquiétante crise de confiance. Dans l'optique de l'examen par l'Assemblée du projet de loi créant le défenseur des droits, il reste ainsi à espérer que la réflexion ne limitera pas à des logiques financières, et qu'elle aura pour objectif une réelle consolidation des procédures et des institutions - la CNDP comme d'autres - permettant au citoyen de faire valoir sa parole auprès des pouvoirs publics.

Rapport du comité d'évaluation et de contôle des politiques publiques sur les autorités administratives indépendantes

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