Avec son climat délétère et ses débordements, le match de dimanche soir entre Marseille et Lyon n’a certes pas montré le meilleur de l’Humain. Il a en tout cas remis à l’agenda la question du rapport entre pouvoirs publics, instances sportives, clubs et supporters.
Curieusement, la démocratie participative si prompte à se mêler de tout reste assez éloignée des choses du football. Pourtant, à y regarder de plus près, les conflits, enjeux et jeux d’acteurs entre supporters, clubs, instances sportives et pouvoirs publics ne sont pas si éloignés de ce qu’on peut connaître par ailleurs dans le domaine de l’environnement ou des politiques urbaines. La démocratie participative n’a aucune raison de ne pas s’intéresser à la question, ce dont le football pourrait bénéficier.
La loi des postures et du court-terme
Le football et la démocratie participative ont-ils déjà été si éloignés que dimanche dernier ? Après un OM-Lyon marqué par plusieurs incidents (insultes, siffets, jets de projectiles entraînant l'interruption de la rencontre), il est frappant de constater dans les réactions d’après-match une fermeture quasi-généralisée au dialogue. Qu’il s’agisse des appels à une sévérité absolue de la part du président de la LFP et du ministre, des combats de préau entre les présidents des clubs concernés, ou encore de la lettre d’excuse de M. Mennucci à Valbuena, l’immense majorité des déclarations consiste en la stigmatisation plus ou moins raisonnée des fauteurs de troubles, des supporters dans leur ensemble, de joueurs, de clubs, de l’arbitre… bref, une multiplicité de postures servant assurément des intérêts à court terme, mais certainement pas l’intérêt général ni l’apaisement des tribunes.
Pourtant, même les décideurs semblent avoir plus ou moins conscience de l’inutilité du tout-répressif, à commencer par les efforts de parlementaires en faveur d’une représentation institutionnalisée du supportariat (facilitant l’ébauche par les associations d’un conseil national des supporters de football, nous y reviendrons dans le paragraphe suivant). L’attitude de la LFP semble quant à elle à la limite de la schizophrénie, quand, au moment où son président s’emporte dans une indignation théâtrale, elle publie une hallucinante vidéo intitulée « l’accueil de Valbuena » montrant un Vélodrome enfiévré sur fond de hard-rock (la vidéo a été effacée depuis).
Bref, si le football français a conscience de la plus-value apportée par ses supporters – il suffit d’admirer dans ce fameux dimanche le haut niveau des animations réalisées par les associations – il semble bien impuissant au moment de trier le bon grain de l’ivraie.
Un conseil national des supporters de football, justement, peut-il faciliter les relations entre pouvoirs publics et supporters ? On peut dresser un parallèle avec l’enracinement des associations environnementales dans le débat public : de la contestation « basique » des projets, les militants ont mûri et affiné leur discours, développant une connaissance et une capacité d’argumentation les rendant capables de discuter pied à pied avec les « sachants » et les décideurs. L’institutionnalisation de la procédure de débat public, avec la commission nationale du même nom, a fini d’établir des « règles du jeu » acceptables par tous. En ce sens, l’établissement d’un dialogue institutionnel avec des représentants enfin organisés ne peut qu’être une bonne chose.
Un conseil national de supporters : un premier pas, mais qui ne suffit pas.
Sauf que les écueils sont les mêmes que dans la « vraie vie » : que le pouvoir donne l’impression de ne pas tenir compte de la concertation, surtout sur les sujets plus sensibles (voir le conflit sur l’enfouissement des déchets nucléaires), et la radicalisation violente revient au centre du jeu. En matière de supportérisme, afficher une volonté de dialogue sans amender en rien une politique répressive aux marges de la légalité ne contribuerait en rien à policer les tribunes. Autre écueil lié aux instances de représentation permanentes, leur tendance à l’exclusivité, et leur faible représentativité sociologique. Tout le monde n’a pas la capacité de dégager du temps pour s’asseoir trois heures avec des représentants institutionnels. Sur les assises du supportérisme qui ont abouti à l’ébauche de ce CNSF, retenons pour l’anecdote cette citation involontairement révélatrice des Cahiers du Football :
« À ce stade encore embryonnaire, il [le CNSF] n’en constitue pas moins une avancée significative. Il offre aux supporters de la crédibilité: celle de leur capacité à s’organiser dans le respect des règles et à rassembler des protagonistes de tous horizons professionnels (avocats, professeurs d’université, fonctionnaires, étudiants) (…) »
Non, des avocats, professeurs, fonctionnaires et étudiants ne forment pas une diversité d’horizons professionnels, bien au contraire. Et c’est là une chose que l’on retrouve dans l’immense majorité des instances participatives permanentes, dont les membres ne sont pas représentatifs sociologiquement. Même quand s’y trouvent des personnes issues des classes populaires, ces instances tendent à se poser en interlocuteur exclusif du pouvoir en se coupant du reste de la société civile. Pour en revenir au contexte marseillais, c’est par exemple le cas des comités d’intérêt de quartiers, associations loi 1901 et interlocuteurs privilégiés de la mairie : de plus en plus, ils se trouvent en concurrence avec des associations « de la société civile » qui ne se retrouvent pas dans une telle relation.
Appliquée au cas pratiques des supporters, cette réserve amène une question : un conseil national de supporters, pour nécessaire qu’il soit, peut-il avoir un effet concret sur la violence dans les stades ? S’il s’agit du seul outil de relation entre pouvoirs publics, ligue et supporters, la réponse sera au mieux un effet à la marge.
Etre affreux, sale ou méchant n’est pas un motif d’exclusion de la démocratie.
Car le supportérisme, particulièrement à Marseille, porte cette contradiction intrinsèque de valoriser un discours tout sauf policé. La violence verbale, symbolique (le « pendu » à l’effigie de Valbuena) : le Vélodrome ne serait-il pas l’héritier du grand caramentran, où se brocardent le pouvoir et les puissants, où les conventions sociales se ridiculisent dans un espace et un temps délimités, et où les exclus du pouvoir et de la parole publique peuvent – passez-moi l’expression – gueuler un bon coup ? Soyons clairs, il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur sur ce qui est acceptable ou non dans un stade, ni encore moins d’excuser des comportements manifestement néfastes. Si l’on en demeure au point de vue du professionnel de la concertation, une chose est en revanche certaine : il est inutile d’espérer que les supporters soient acteurs d’un quelconque changement si l’on ne fait pas l’effort d’en écouter la culture et les valeurs. Prenons une comparaison (caricaturale certes) avec un élu qui se limiterait à considérer que la violence de certaines paroles de hip-hop fait de ses amateurs un groupe d’écervelés incapables d’un dialogue constructif : avec une telle posture, il est difficile d’attendre en retour de la part des jeunes des quartiers sensibles qu’ils adhèrent ensuite à son discours « citoyen ».
Reconnaître cette identité ultra et surtout la comprendre, c’est un préalable vers d’autres exigences, au premier rang desquels la modification d’une posture trop souvent victimaire et contestataire. Les groupes, et c’est heureux, refusent d’approuver publiquement les actes délictueux d’une minorité ; l’intérêt général leur commanderait cependant d’aller plus loin, notamment en les rendant acteurs d’une véritable politique de prévention partagée. Mais, sans dialogue ni effort de compréhension mutuelle, vouloir les faire adhérer à une telle politique reviendrait sans doute de leur point de vue à leur demander d’être les sbires du pouvoir répressif, ce qui serait totalement antinomique.
Au sein du club, un autre dialogue est possible
C’est bien sûr à l’échelle des clubs, acteurs les plus proches des supporters, que les progrès peuvent être accomplis. Cet effort de concertation n’est pas forcé de passer par les dispositifs alambiqués chers aux professionnels de la participation : connaître les groupes et dialoguer régulièrement avec eux constitue une base, dont s’acquittait le directeur de la sécurité de l’OM, Guy Cazadamont (désormais cantonné aux matches à l’extérieur). Cependant, sur ce point encore, deux principes de démocratie participative chers à notre Commission nationale du débat public mériteraient d’être appliqués : la transparence et l’équivalence.
La transparence, c’est le principe selon lequel l’ensemble des échanges est public, de même que l’ensemble des informations disponibles sur un sujet donné. Sans ce principe, tout débat sur un projet d’intérêt général tournerait rapidement à la négociation d’arrière-boutique où à la manipulation d’acteurs les uns contre les autres (caricaturalement : « faites passer l’autoroute un peu plus loin et je vous garantis que les riverains du quartier vous soutiendront. »). Cette transparence, elle peut être une échelle de sauvetage pour un club sportif tiraillé entre des groupes plus ou moins rivaux, un pouvoir central à fleur de peau dans cette fameuse « perspective de l’Euro 2016 » et un milieu politique local jamais franchement impliqué mais jamais trop éloigné non plus. En matière politique comme en matière de supportariat, les passe-droits accordés pour acheter la paix sociale ne peuvent qu’être délétères à long terme. La transparence des échanges entre supporters, clubs et pouvoirs publics semble être nécessaire à l’établissement d’un climat sain.
Quant au principe d’équivalence, il suppose que chaque argument ait un poids équivalent dans le débat. Pas « chaque personne » : chaque argument. La démocratie participative, c’est l’échange d’arguments et l’évolution du raisonnement collectif, pas un champ de bataille où les plus nombreux l’emportent. Elle garantit que chacun ait la voix au chapitre et rend inutile que les adhérents à un groupe votent « au canon » pour faire le nombre. Ici encore, par rapport à la réalité actuelle, on comprend que l'exercice demeure on ne peut plus théorique.
Et ils sont où, et ils sont où, les « concertants » ?
Les relations se montrent souvent conflictuelles entre la direction du club et les supporters ; le contexte national connaît des politique assumées d'embourgeoisement des stades, à l’image d’un Parc des Princes vidé de son identité ; localement, le contexte politique et social s'avère tout sauf serein dès qu’il s’agit de l’OM. Aussi, rien ne garantit que les réunions à venir (à commencer par celle de lundi) soient porteuses d’une réelle amélioration. Les valeurs et méthodes de la concertation mériteraient d’investir ce domaine, où les médiateurs, « concerteurs », « experts de la participation » brillent par leur absence…
Mais pour l’instant, ce billet ne relève bien sûr que d’un exercice d'imagination. Voir des progrès concrets supposerait chez plusieurs des acteurs concernés une volonté d’améliorer la situation durablement et de façon partagée, loin de la prédominance du court-terme et des calculs d’intérêts immédiats... tout en sachant qu’en fonction de l’attitude des pouvoirs publics, l’histoire pourrait de toute façon se terminer par l’éradication du football populaire au profit d’un spectacle mercantile réservés aux classes favorisées, tels qu’en rêvent un certain nombre d’acteurs économiques. Quoi qu'il en soit, si "un autre football est possible", cela ne sera pas sans améliorer le cadre et les méthodes du dialogue actuel.