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Billet de blog 9 juin 2023

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Encre et Lumière : « Salade Grecque »

Encre et Lumière est une série de billets traitant de livres, films et séries interrogeant notre rapport à la réalité sociale. Comme autant de fenêtres vers des nouveaux univers, ces oeuvres résonnent avec le monde intérieur de chaque lecteur/spectateur. Ce billet concerne la série Salade Grecque de Cédric Klapisch, sortie sur Prime Video le 14 avril 2023.

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21 ans après L'Auberge Espagnole, 18 après Les Poupées Russes et 10 ans après Casse-tête Chinois, Salade Grecque s'annonçait comme une énième séquelle de franchise à succès déterrée des cartons par les producteurs pour remobiliser une audience nostalgique, avec toute la complicité et l'enthousiaste d'un réalisateur exalté de retrouver ses petits et un ersatz de notoriété passée. Que cette démarche soit effectivement celle qui ait déterminée la production ou non importe peu néanmoins, puisque Cédric Klapisch est parvenu à rafraîchir son oeuvre et lui conférer une substance et une philosophie propre, pour le plus grand plaisir de son ancien public millenial.

Point ne sert de mentir, commençons par convenir d'un constat simple: les personnages, les lieux, les intrigues et les thèmes de la série sont d'une trivialité et d'une prédictibilité effarantes tant Klapisch semble avoir poussé au maximum le curseur de la caricature. La jeune française rebelle en rupture de ban sociale et familiale, le jeune premier d'école de commerce obnubilé par le monde magique des start-ups, l'étudiante italienne coincée rêvant de la magistrature, ou encore l'archéologue croate tout droit sorti d'un conte soviétique sont autant de stéréotypes de la boule à facettes sociétales que l'on avait apprécié à reculons dans L'Auberge Espagnole. L'effeuillement un peu rapide des amourettes qui deviennent des passades et des amitiés qui deviennent des histoires d'amour (les vraies cette fois) rappellent la quête un peu simpliste de la relation parfaite dans laquelle on s'est vaguement identifiés dans les Poupées Russes. Les rebondissements et les fils scénaristiques sont aussi loufoques et rocambolesques que les aventures capilotractées qui nous ont fait sourire dans Casse-tête Chinois. Le tout mixé dans un lieu nouveau mais tout aussi chargé de clichés (entre merveilles archéologiques et soirées électro dans les îles), et relevé du cocktail intersectionnel de toutes les thématiques sociétales (nouvelles ou anciennes) qui électrisent nos dîners de famille (fluidité de genre, flux de réfugiés, désobéissance civile, harcèlement, etc...).

Ce portrait rudement brossé et peu aguichant a fait dire à plusieurs critiques que Salade Grecque portait le regard un peu simpliste et maladroit d'un boomer sur une génération qu'il peine à comprendre, ou l'obsession ridicule d'un millenial qui refuse d'être dépassé par la relève. Cette sentence n'est pas méritée néanmoins, et se méprend sur l'objectif réel de la série qui est justement d'expliquer à leurs aïeux comment pensent les dernières génération et, surtout, pourquoi elles n'ont plus besoin d'eux. Salade Grecque, derrière un voile superficiel de tragi-comédie burlesque, cherche à poser calmement des constats simples sur nos plus jeunes citoyens sans tomber dans le piège d'un procès émotionnel dont les élans et la surcharge affective ne peuvent se solder que par une rupture définitive: la transsexualité ne les fait pas ciller car ils ont enfin intégré l'héritage de décennies de lutte contre la discrimination sexuelle; ils se mobilisent pour les réfugiés car dans un monde en crise ils ont l'instinct admirable de privilégier la dignité humaine sur toute autre forme de reconnaissance sociale; ils s'émancipent du système socio-économique car ils en perçoivent l'échec inéluctable; ils ne débattent pas éternellement sur la réalité d'un viol car ils ont levé l'omerta sur cette épidémie sociale... en d'autres termes, ils sont les dignes héritiers des combats que nous avons mené et la jeune garde des défis à venir.

En bref, cette série doit être vue non pas comme une grande et profonde réflexion sociologique, mais comme un simple exposé, à destination des 30 ans et plus, sur l'état d'esprit, le système de valeurs, les préoccupations et les attachements de générations nouvelles auxquelles dont nous avons plus à apprendre qu'on a à leur enseigner (voir une récente enquête du Monde sur le nouveau conflit des générations avec l'irruption d'une jeunesse préfigurative, c'est-à-dire qu'elle inverse la charge de l'apprentissage et de la compréhension du monde). Loin de nous choquer, Salade Grecque nous rassure sur une jeunesse qui certes peut effrayer tant ses codes sont fluides en comparaison des absolus socio-culturels sur lesquels nous nous sommes construits, mais qui n'en est pas pour autant chaotique et en laquelle on peut croire et espérer dans un âge de ruptures et de transitions incertaines.

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