Sous l’égide du Ministre, Gabriel Attal a rendu la copie du gouvernement suite à la courte mais intensive période de concertation de l’hiver dernier. 59 propositions en avaient émergé. Et c’est sous couvert d’un verbiage éloquent digne de Cyrano que le secrétaire d’État s’est présenté devant les responsables du monde associatif.
- Rassurant : Nos associations sont un trésor : sans elles, notre République n’aurait pas tout à fait le même visage
- Encourageant : Une société où l’engagement doit être l’affaire de tous
- Regrettant : Cette dynamique implique aussi un éparpillement de moyens
- Moralisant : Il est nécessaire de mettre un terme à l’affrontement entre les mondes lucratif et non lucratif
- Conseillant : Nous devons accompagner ces structures dans la transformation de leur modèle économique
- Confiant : entre les associations, les entreprises et les pouvoirs publics
- Apaisant : la confiance ne peut être que réciproque
- Anesthésiant : que plus un jeune, un citoyen, ne se dise « l’engagement ce n’est pas pour moi »
- Fessant : Trop souvent, ceux qui s’engagent sont ceux qui sont en emploi, qui ont fait des études
- Innovant : construire un « giving pledge » à la française
- Sodomisant : sans oublier les citoyens dans leur action individuelle. Non, pas seulement par leur engagement mais par leur générosité.
Disséminées dans le communiqué de presse du Ministère, ces expressions bon enfant induisent une logique implacable. La même que celle du Pauvre Plan Pauvreté, du Plan santé 2022, ou du Plan Banlieue avorté : moyens d’État au compte-goutte, rapprochement Public-Privé, peu de considération pour les professionnels du secteur et pour l’emploi, regroupements et concentrations, … Et pour tout discours, des mots pour masquer une incurie d’État. Des mots pour ceux-celles qui veulent y croire. Des mots pour endormir. Ce ne serait pas un problème de moyens, mais d’organisation. Il faudrait s’adapter, se moderniser. Et à chaque fois, malgré la mobilisation des acteurs du secteur, malgré le temps investi dans la participation à des « concertations » censées dégager des propositions consensuelles, le verdict tombe : RIEN, si ce n’est quelques mesurettes et déclarations qui ne répondent pas aux attentes fortement exprimées, jusque dans la rue par exemple lors de la suppression sauvage des Emplois Aidés.
Le Mouvement Associatif1 estime que « Ces mesures apportent de premières réponses concrètes à une partie des attentes exprimés par le monde associatif dans le rapport « Pour une politique de vie associative et une société de l’engagement ». Si il salue poliment « la dynamique d’échange et de co-construction engagée par le Secrétaire d’Etat », c’est pour mieux pointer « l’absence de mesures budgétaires immédiates, sur le renforcement du FDVA ou en matière de soutien à l’emploi », s’en remettant à « des perspectives de moyen terme » dans l’attente « qu’une ambition soit affirmée ».
Notre analyse est plus tranchée. Le mécontentement du monde associatif, qui a mené à des rassemblements inédits dans toute la France fin 20172, s’est porté sur 2 questions essentielles : le soutien à l’emploi associatif, et le mode de financement des associations. Entre la disparition progressive des emplois aidés depuis 2018, la baisse du mécénat suite à la suppression de l’ISF, la suppression de la réserve parlementaire, la systématisation des appels à projets à la place de subventions pluri-annuelles, la liste des mécontentements est longue. Les associations sont étranglées. Elles ont d’abord utilisé leurs fonds associatifs pour celles qui en avaient, et supprimé des actions parfois engagées depuis de longues années. Les fortes convictions des professionnels et bénévoles ont aussi servi d’amortisseur à toutes ces mesures dévastatrices. Mais le caractère massif et cumulatif des remises en cause associatives ne peut plus être masqué : licenciements, baisse et suppression de subventions, appels à projets généralisés, atteinte aux libertés associatives … le panel est large. On assiste à un déstructuration volontaire du secteur associatif.
Le Rapport Action Publique 20223 auquel aucun acteur associatif n’a été invité à participer, donne le mode d’emploi des réformes gouvernementales pour l’action publique : Changer de modèle ; Transformer le service public ; Éviter les dépenses inutiles. La question du modèle est centrale. « il faut d’abord et avant tout changer le modèle » « C’est un pré-requis, un préalable indispensable, le levier qui nous permettra de mener toutes les autres transformations »4 Si elle est omniprésente dans CAP 2022, c’est cette même orientation que mène le gouvernement dans son rapport à la vie associative. Comme le déclarait Jean Marc Borello dès 2013, l’objectif est affiché : « dans 10 ans il y aura 10 fois moins d’associations mais elles seront 10 fois plus grosses »5 Simple prophétie ? Celui qui est maintenant membre du Bureau Exécutif de LREM est aussi le fondateur du groupe SOS, chantre du « social-business » et promoteur du « social impact » en France. Pour lui, small is not beautiful. Loin des pratiques de l’ESS, la forme d’entrepreneuriat prônée est de fait « le profit sous l’égide de l’ESS »6
Les propositions du gouvernement par la voix de Gabriel Attal sont toutes empruntes de cette philosophie. Ce n’est pas à la société de prendre en compte le fait associatif, la richesse de ses actions menées quotidiennement auprès de millions de personnes, la force de ses bénévoles et professionnels. C’est aux associations de s’adapter aux lois du marché, et à la règle d’or européenne. Et pour cela elles doivent se transformer, se regrouper, se tourner vers les financements privés.
Que trouve-t-on dans ce « plan de développement de la vie associative » présentée jeudi dernier par le gouvernement ? Des promesses de se revoir, et une douzaine de mesurettes qui n'apportent rien de nouveau pour les associations (la plupart existant déjà il ne s'agit que d'adaptation), mais qui en disent long sur l'orientation politique du gouvernement.
On y retrouve les préconisations de M. Borello.
- un accompagnement pour la mutualisation : les groupements d’employeurs
- le développement du dispositif « Impact Emploi »
- une aide aux associations en mutation
Le mot-valise « engagement » est devenu un concept d’état. On y parle individu, compétence, formation. Il faut bien former les futurs bénévoles associatifs pour les engager dans cette transformation, ce tsunami de société.
- création de certifications des compétences et connaissances acquises durant ces phases d’engagement,
- élargissement du Compte d’Engagement Citoyen aux bénévoles encadrants
- évaluation et de rénovation de l’ensemble des dispositifs de congés d’engagement
Le bénévole est au centre, non par ses idées et les valeurs qu'il défend, mais par ses compétences qui vont lui permettre d’absorber le choc associatif. Il n’y a plus de place pour les militants, les personnes engagées pour agir localement, pour défendre une cause, pour construire la vie au cœur des territoires. Le monde de demain sera celui des dispositifs, de la dématérialisation, du renoncement à l’action publique. Et le modèle économique est exclusivement tourné vers l’appel aux fonds privés.
- faciliter les dons des TPE et PME
- développer une nouvelle culture de la philanthropie
- favoriser le mécénat financier et de compétences dans les entreprises et l’administration
Rien d’autre ! Disparues les demandes fortes pour le soutien à l’emploi et l’appui des pouvoirs publics aux acteurs associatifs, têtes de réseau, fédérations. Le gouvernement Philippe reprend la main en redirigeant vers les fonds privés la part de l’État. Nos 59 propositions n’étaient pas à prendre en bloc, entre les acteurs associatifs elles ont été l’objet de longs débats. Mais au moins un acte significatif aurait pu être posé par le gouvernement, ce n’est pas sa volonté. Le monde associatif - acteurs du social, de la culture, de la solidarité, de la santé, de la défense des droits - doit en tirer les conséquences et endosser les gilets multicolores pour vite AGIR ENSEMBLE... .
CES PROPOSITIONS QUE LE GOUVERNEMENT NE VEUT PAS ENTENDRE
Rejetées ! Voici quelques unes des propositions issues de la concertation avec le Gouvernement. Leur sens premier était pourtant de sentir une vraie reconnaissance du gouvernement en affirmant la place des réseaux et des associations dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Il en est ainsi des propositions permettant aux associations d’investir dans l’avenir : REFUSÉ
- proposition 43 : A l’instar de ce qui existe pour les entreprises, créer un dispositif d’aide aux associations en difficulté
- proposition 44 : Permettre aux associations qui ne possèdent pas suffisamment d’apports financiers personnels de bénéficier de garanties d’emprunts par l’État
- proposition 45 : Créer un fonds d’avance de trésorerie permettant des avances remboursables pour lancer des projets sur financements européens.
- Proposition 46 : Permettre d’appuyer les associations dans le suivi et la mise en œuvre de projets financés par des fonds européens en finançant les têtes de réseaux
Aucune référence explicite à la reconnaissance des réseaux associatifs, à part des mots dans le discours : REFUSÉ
- proposition 26 : Reconnaître les têtes de réseaux et leurs fonctions au service de la vie associative
- proposition 27 : Au sein des services de l’État, généraliser le conventionnement pluriannuel dans le cadre des relations avec les associations
- proposition 29 : Construire des observatoires de la vie associative inclusifs
- proposition 32 : Instaurer une modalité de soutien à l’investissement initial fait par une association pour la mise en oeuvre d’une démarche d’évaluation de l’utilité sociale,
Propositions permettant de créer une véritable politique de l’emploi : REFUSÉ
- Proposition 6 : Évaluer au niveau national la situation de l’emploi associatif et instaurer une politique spécifique de l’emploi associatif pour soutenir les activités d’utilité sociale qu’elles mènent.
- Proposition 57 : Permettre la mobilisation des parcours emploi compétences en les adaptant, ou en concevant un autre dispositif adapté aux petites associations.
- Proposition 59 : Définir une programmation pluriannuelle des enveloppes consacrées aux dispositifs d’aide à l’emploi.
Abonder à l’aide aux associations dans les territoires, ou pour soutenir l’innovation et la recherche : REFUSÉ
- Proposition 17 : Développer un programme de reconnaissance, de soutien et de financement des initiatives collectives de citoyens en faveur du lien social,
- Proposition 23 : Mettre en œuvre un programme national d’une vingtaine d’expérimentations de formes de co-construction des politiques de vie associative
- Proposition 24 : Augmenter significativement les moyens alloués au Fonds de Développement à la Vie Associative
Soutenir le modèle associatif français, à Éducation Populaire, aux actions citoyennes : REFUSÉ
- Proposition 18 : Porter politiquement les spécificités du modèle non lucratif français au niveau européen
- Proposition 20 : Évaluer l’application de la circulaire du Premier Ministre du 29 septembre 2015 relative aux relations partenariales entre les pouvoirs publics et les associations.
Enfin, lorsque le secrétaire d’État parle de confiance, il aurait été de bon ton d’entendre la nécessité absolue de respecter la liberté d’expression et le droit à information, en protégeant les associations des pressions menées par les lobbies, les GAFAM et autres multinationales : IGNORÉ
- Proposition 14 : Créer un groupe de travail associations – pouvoirs publics sur les libertés associatives
- Proposition 15 : Garantir une protection des associations face aux procédures bâillons
Il faudra aller chercher dans les amendements au Projet de Loi de Finances 2019 proposés par des groupes parlementaires, comme la France Insoumise qui proposait « un rapport d’information sur les moyens alloués et indispensables aux associations, concernant tous les domaines d’activité, au regard des conséquences dramatiques de la baisse des contrats aidés. » ou le Modem qui reprend quant à lui plusieurs de nos propositions :
- Proposition 50 : Renforcer les fonds propres des associations par la conservation des excédents
- Proposition 52 : Faciliter et sécuriser le financement par des prêts entre associations d’un même groupe.
- Proposition 54 : Ouvrir la possibilité à l’État de confier la gestion des biens mal acquis aux associations pour leurs activités
Une fois de plus, à l’instar des mouvements sociaux, le monde associatif a la confirmation qu’il n’y a rien à attendre d’un gouvernement qui applique une orientation tournée exclusivement vers le soutien aux plus riches, pensant là encore que la théorie du ruissellement agira des plus gros vers les plus petits. Il n’en est rien, beaucoup auront déjà disparu. Certains acteurs associatifs y voient la possibilité de se renforcer, d’y obtenir des gains substantiels. La concurrence sera rude. Le secteur privé est déjà en marche. Le monde de la finance s’agite. La grande majorité des associations, des réseaux implantés localement, agissant pour l’intérêt général, tissant inlassablement les liens sociaux, réparant les dégâts d’un capitalisme éhonté, n’ont rien à y gagner. Il est urgent d’AGIR ENSEMBLE. Partout, dans toute la France, avec les groupes locaux, comme au côté des grandes coordinations et réseaux nationaux, le Collectif des Associations Citoyennes s’y engagera résolument.
Le 1er décembre 2018
#AgirEnsemble
1« Le Mouvement Associatif Communiqué de presse 29/11/2018
2 journée noire des associations le 10 novembre 2018
3 Lire à ce sujet « CAP 2022,les multinationales à l’assaut de l’Etat » auto-édition du CAC / Jean-Claude Boual
4 Rapport Action Publique 2022, pages 23 et 32
5 Interview à youphil.com, août 2013,
6 voir dans Politis.fr l’analyse de JP Milesy « question de vocabulaire » sur son blog 23 août 2013